jeudi 26 août 2021

La pente isolationniste américaine

W.J. Burns
Haut fonctionnaire et diplomate William J. Burns, directeur de la CIA

Lors du G7 virtuel de mardi dernier convoqué par Boris Johnson, le président Joe Biden a campé sur son agenda qui prévoit de sortir d'Afghanistan les dernières troupes américaines au 31 août 2021, soit mardi prochain minuit EST. Il argue d'un accord passé avec le pouvoir taliban de Kaboul pour maintenir un couloir humanitaire sûr vers les deux aéroports jusqu'à cette date, accord sans doute obtenu sur place par William Burns, le Directeur de la CIA (30 ans de diplomatie). Il est moins question dans ses propos actuels du sort des collaborateurs afghans, pour ne pas braquer le pouvoir local qui demande que le pays ne soit pas vidés de ses experts car il en aura besoin pour remonter la pente. Même si la noria occidentale pompe beaucoup d'eau, il n'est pas à exclure que les ressortissants de l'ex-coalition puissent quitter le pays par d'autres voies que Kaboul, par voie terrestre avec une sécurité assurée par les talibans en province et en frontière. Par contre pour les autres, la chose est entendue.
Le Congrès est hostile à cet entêtement sur la date du 31 août mais, apparemment, le président Biden entend rompre avec la tentation du "toujours plus", plus d'hommes, plus de temps, plus d'argent, qui a guidé dans le passé les opérations extérieures vers le fiasco. D'autres moyens sont possibles, même s'il ne semble pas connaître lesquels.

Ce qui est plus net est son refus d'entendre les supplications de ses alliés britanniques, italiens, allemands et français qui sont également empêtrés dans les procédures d'évacuation. Le motif invoqué par les services est que l'Etat islamique en Afghanistan - ennemi juré des talibans - serait en approche des pistes d'envol pour faire un carton spectaculaire avant le départ des Américains. Il est illusoire de pouvoir les détecter et les contenir sans l'appui attentif des talibans du district de Kaboul. Derrière cet écran d'ordinateur, il serait forfanterie d'indiquer un dispositif de sûreté possible. Reste qu'aucun compromis n'a été essayé par la Maison Blanche pour tenir compte des difficultés de ses alliés et que désormais se pose la question de la fiabilité du couplage atlantique.

Marc Fiorentino
Justement, dans sa lettre numérique quotidienne, Marc Fiorentino qu'on ne présente plus, donnait une synthèse très pertinente de ses considérations sur le futur isolé des Etats-Unis revenus d'un siècle de déboires diplomatiques. La voici telle qu'elle fut reçue le 23 août 2021 :

LES ÉTATS-UNIS...
...ne veulent plus être les gendarmes du monde.
Ils ne veulent plus sacrifier une seule vie américaine à des milliers de kilomètres de la mère patrie. Et, ce qui est nouveau, et qui change totalement la donne, ils n'ont plus besoin d'être les gendarmes du monde. Pour une raison simple : ils sont devenus autonomes.

AUTONOMES...
...pour l'énergie.
Ils n'ont donc plus besoin du Moyen-Orient.Autonomes pour l'alimentation. Autonomes pour la tech, à un détail près, on en reparlera. Certes leur balance commerciale est encore largement déficitaire mais pour une masse de produits non stratégiques. Les États-Unis peuvent fonctionner seuls. En toute autonomie. Plus aucune raison d'intervenir au-delà de leurs frontières.

LES ALLIÉS TRADITIONNELS...
...des États-Unis ont du souci à se faire.
Et ils s'en font. Ils doivent tous réévaluer la situation à l'aune de ce nouveau paradigme. L'Arabie Saoudite, les autres pays du Golfe ou encore Israël vont devoir apprendre à se défendre seuls. L'Europe va devoir apprendre à se défendre seule. Et Taïwan a compris cette semaine qu'aucun Américain ne mourra pour empêcher la Chine de l'annexer.

LE CAS DE TAIWAN...
...est intéressant.
Les États-Unis sont dans une course contre la montre. Taïwan a encore un intérêt stratégique: les semi-conducteurs. Les États-Unis espèrent que la Chine ne lancera pas l'inéluctable annexion avant qu'ils ne deviennent autonomes en semi-conducteurs. Mais dès qu'ils le seront, dans quelques années, Taïwan sera livrée à elle-même avant d'être livrée à la Chine.

APRES PLUS D'UN SIECLE D'INTERVENTIONISME...
...pour des raisons purement économiques, et idéologiques, la lutte contre le communisme, une page se tourne.
Les États-Unis reviennent à un isolationnisme qui leur est cher. Et cela change la face du monde. Du monde politique. Et du monde économique.
[fin de la synthèse fiorentina]


Et lui de conclure sur l'Afghanistan :
« Si les Talibans ne font pas l'erreur d'être les complices d'un attentat sur le territoire américain ou sur des personnes de nationalité américaine, ils pourront tranquillement faire régner la terreur chez eux. La realpolitik version 21ème siècle.»

Président Monroe
Le bonheur des peuples est de rester chez eux comme y obligeait la doctrine Monroe (5è président de l'Union) dans un discours resté fameux et prononcé devant le Congrès des Etats-Unis le 2 décembre 1823. Elle est restée la fréquence porteuse de toute la diplomatie étasunienne jusqu'à l'engagement des Sammies dans la Grande Guerre en Europe. Le président Wilson prit fait et cause pour les démocraties et formula sa doctrine à lui dans un discours pas moins fameux délivré devant le Congrès des Etats-Unis le 8 janvier 1918 en prélude au traité de Versailles et à la création de la Société des Nations. Ce sont les Quatorze Points de l'idéal wilsonien. Qui sont refutés aujourd'hui, selon l'axe d'approche de Marc Fiorentino. Ce nouveau défi qui bouleverserait les relations internationales en profondeur s'ajoute au défi climatique qui n'est pas affronté sérieusement par les grandes nations. Si Marc Fiorentino a une perception extra-sensorielle du futur, nul doute qu'au spectacle du chaos afghan, les think tanks américains qui font la diplomatie du pays auront la même, et que l'analyse fouillée d'un futur probable est déjà lancée. Il nous suffit d'attendre pour la lire.

Postscriptum du 27 août 2021:
Dans son allocution d'hier à la Maison Blanche, Joe Biden est apparu comme un homme fatigué, presque un vieillard. Nul doute qu'il cherchera à venger l'insulte de l'Etat islamique au Khorasan, mais il aurait pu marquer le coup plus brutalement, en décidant d'un périmètre de sûreté au delà de l'enceinte aéroportuaire, par exemple. Après avoir vu le porte-parole du Pentagone lire son prompteur pour nous parler des attentats de Kaboul, on a l'impression que la communication politique à usage intérieur a pris le pas sur l'action. Après le bon vieux clown de la téléréalité, le système démocratique américain a sélectionné un sénateur en fin de vie. Le quarante-sixième président des Etats-unis passera-t-il l'hiver ?

2 commentaires:

  1. L'ermite du gave28 août 2021 à 13:17

    Est-ce une mauvaise chose? Je n'en suis pas sûr. Car depuis le Vietnam, l'interventionnisme américain a produit plus de problèmes qu'il n'en a résolu: les Talibans d'Afghanistan sont les enfants de la CIA comme Daech est le rejeton des deux guerres du Golfe, et comme le chaos au Sahel est le résultat de l'intervention en Libye. Je citerais aussi l'hostilité systématique vis à vis de la Russie post soviétique, et les interventions militaires de l'OTAN en Serbie.
    Tout n'est peut-être pas aussi tranché, mais les ingérences américaines ont été un puissant catalyseur de déstabilisation avec des répercussions sur toute la planète.
    Si le retrait américain devait se confirmer, ce serait peut-être une chance donnée à l'Europe de (re)devenir une puissance sur la scène internationale, à condition, bien sûr, que l'Allemagne change de doctrine en reconnaissant et acceptant le poids diplomatique et militaire de la France.
    Ce n'est pas gagné car la "doctrine Merkel" (uniquement une Europe des marchands et un euro fort) est, pour le moment, le seul credo du Parlement et de la Commission.

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    Réponses
    1. Je n'ai pas de religion sur un confinement américain au nouveau monde, mais je doute des chances de l'Europe-puissance. Deux pays étaient interventionistes, la France et la Grande Bretagne. Londres est partie. Paris n'a plus les moyens. Berlin est pacifiste. Les autres ne comptent pas.
      Je n'imagine pas l'Europe gérer seule la Russie et la Chine.

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