lundi 13 septembre 2021

Et tu remercieras la source mère...

Black Monday : Nouvelles de Hong Kong

Depuis cette rentrée scolaire les discours de tonton président Xi sont d'application dans les écoles primaires de Hong Kong, en mandarin. Sa parole étant constitutionnalisée et la cité des parfums étant désormais intégrée au système continental, ce n'est que justice, même si l'obligation pour les écoliers de remercier les autorités cantonaises pour la fourniture d'eau potable* signale un trauma psycolonial indélébile derrière cette reconnaissance débile. La municipalité va-t-elle ériger des fontaines publiques à l'effigie de Xi Jinping coulée dans la fonte ?
Pour l'anecdote, un version pour enfants de la nouvelle loi de sécurité nationale a été publiée à Hong Kong à destination des bambins de quatre ans et plus. Il n'est jamais trop tôt pour faire des chauvins. Qu'importe ! Nous ne nous sommes pas levé ce matin pour critiquer la normalisation de l'instruction publique, mais pour évoquer l'évolution des mœurs économiques du territoire après sa reprise en main par le Parti communiste chinois.

Hong Kong Reservoir

Nota (*): Hong Kong n'a jamais eu de ressources hydriques autonomes autres que l'eau de pluie et ruissellement que le gouvernement anglais recueillait dans les grands réservoirs comme ceux de Pok Fu Lam (en photo). Le développement de la colonie au XXè siècle obligea à acheter de l'eau douce au Guandong à prix d'or. Il faut y ajouter désormais le remerciement de la fourniture. Une usine française de dessalement de l'eau de mer est programmée sur huit hectares à Tseung Kwan O.


La crise politique et sanitaire a fortement impacté le commerce touristique, mais les charters japonais et coréens avaient déjà diminué en effectifs à cause de la hausse du prix local des produits de luxe internationaux. Le génie propre à la race cantonaise surmontera cette dépression, nul n'en doute, sauf transfusion démographique d'ampleur. Le monde des affaires, quant à lui, ne montre pas de signes d'essoufflement plus grands que ceux observés ailleurs dans la région. Par contre l'état d'esprit des boards a changé. Hong Kong fut de tous temps un havre de paix et de certitudes pour la communauté économique internationale, de par sa position ancrée au flanc de la Chine immense et par l'environnement juridique stable qu'offrait la règle britannique. Ce second atout fut le motif retenu par les négociateurs de Deng Xiaoping pour accorder au grand port revenu dans le giron chinois un régime transitoire spécial de cinquante ans. Au terme de quoi, la province du Guandong et l'ancienne colonie anglaise aurait atteint la parité qui ouvrirait sans effort la complète sinisation de l'enclave. On n'a pas fait la moitié du chemin que le pouvoir chinois, emporté par son hybris impérial, n'a pu retenir son impatience à voir Hong Kong s'étouffer enfin de ses libertés obscènes et de ses revendications anti-patriotiques. C'est chose faite. La fuite des dissidents les arrange. Le "plan" exige obéissance et profil bas dans un contexte du contrôle social. Le pouvoir va donc acheter les opérateurs économiques d'une façon ou de l'autre.

Les administrateurs des compagnies étrangères savent désormais qu'ils opèrent sur un territoire "chinois" avec les mêmes risques que leurs homologues du continent, qu'ils soient à Shenzhen, Canton, Shanghaï, Nankin, Tianjin, Pékin ou Changchun, surtout depuis la reprise en main des cadres des partis locaux et la lutte contre toute opposition interne sous couvert d'anticorruption. Pis encore pour les compagnies internationales, l'économie chinoise est de plus en plus dirigée le long de la pyramide des pouvoirs politiques, purgés et renforcés du retour des commissaires politiques en usine. La Chine populaire est redevenue maoïste mais avec d'immenses ressources et projets de développement qui attirent toujours les investisseurs extérieurs. Sauf que !
Les phosphorants étrangers doivent serrer de près la politique quotidienne du gouvernement de Pékin désormais capable de biffer d'un trait un pan entier de son économie à tout motif légitime ou politique. Le principe d'auto-financement de la promotion immobilière par le procédé de la vente sur plans est devenu illégal du jour au lendemain, mettant en faillite le conglomérat Evergrande. Quid de l'extraction de crypto-monnaies interdite sans préavis ? Plus grave, le secteur de l'enseignement privé qui pèse des milliards d'euros en Chine populaire s'est vu transformé du samedi au lundi en réseau d'associations à but non lucratif ! Toutes les valeurs éducatives ont largement dévissé en bourse. Pareil pour la Tech : le souci du pouvoir politique de contenir ces nouveaux pouvoirs extérieurs à lui au-dessous du sien a conduit à de sévères corrections du secteur, que ce soit chez Alibaba avec la séquestration de Ma Yun, Tencent (multi-services numériques), DiDi (Uber chinois coté au NYSE) ou la joint-venture Alibaba-Ant Alipay (paiements par QR code sur mobile). S'ajoute donc à la prospective ordinaire d'une entreprise en progression sur son marché, l'anticipation par son décideur de virages politiques impromptus qui lui échappent complètement.

Hong Kong est entrée dans ce club sportif de l'économie chinoise contrôlée. Les risques y sont nouveaux et doubles : d'une part les projets de développement des activités industrielles ou tertiaires devront entrer au chausse-pied dans les plans économiques de la province visée, ce qui périme le logiciel antérieur de libre pratique adossé à la corruption municipale ; d'autre part, les dirigeants s(er)ont personnellement surveillés par des agents du pouvoir, quand ce ne sont pas de proches collaborateurs qui auront été recrutés par le renseignement général local sans possibilité de refuser.

Quelques compagnies internationales, plus sensibles que d'autres au changement de leur environnement légal et productif, ont fait mouvement vers Singapour, d'autres y renforcent leurs effectifs et les comptes de leur succursale, mais dans l'ensemble c'est la formule du Sit And Wait qui est appliquée par les sièges sociaux. Les plus prudents sortiront leur famille du territoire malgré le bon niveau d'éducation proposé aux enfants par les lycées étrangers, et la plupart apprendront des réflexes déjà connus de leurs anciens qui vaquaient en pays communiste : deux passeports de voyage pour éviter l'analyse des tampons de passage ou visas, un billet d'avion "open", une certaine retenue dans la socialization, un soupçon de méfiance à connaître une timide. Bien sûr, nos cadres moyens pleins d'avenir pourront descendre au pub après leur journée et lever une envoûtante hétaïre, mais ils seront bien avisés de parler au comptoir de leur dernier trekking au Népal plutôt que du bordel chinois à la Foire de Yiwu. Un bataillon d'entraîneuses d'Etat a certainement investi les pubs de Central pour astiquer le colosse.

Les petits entrepreneurs et autres boutiquiers malins continueront de propérer autant que la situation de l'économie locale le permettra, mais ils se verront appliquer des normes parfois différentes des normes anglaises, qui leur seront opposées maintenant par des inspecteurs continentaux formés à l'autorité sans discussion. Reste que la diplomatie de l'otage, telle qu'on la voit s'exercer sur les ressortissants canadiens ou australiens en Chine continentale, a des effets imprévisibles et que n'importe qui peut être sélectionné par les Affaires étrangères pour jouer le rôle de gage !

Entretemps, la police a confisqué jeudi dernier le matériel didactique du June 4th Museum à Mong Kok. Rappeler le massacre de Tian an Men dans un quartier populaire de la ville faisait tache ! Accusés la veille de collusion avec l'étranger, les dirigeants de la Hong Kong Alliance in Support of Patriotic Democratic Movements of China qui géraient le musée ont été embastillés, le refus de fournir la liste de leurs adhérents ayant aggravé leur cas sous le régime de la loi de sécurité nationale (source). Il est révolu le temps où, comme à Londres, Berlin ou Paris, nous parlions librement de tout, de politique, de politiciens, de filles, d'affaires et de voitures, sans observer quelles oreilles pouvaient nous entendre.
Nos expatriés ont un certain courage à se maintenir en zone contrôlée, même si Hong Kong reste malgré tout le plus beau port d'atterrissage des finances vagabondes de toute l'Asie du Sud-est !


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