dimanche 26 septembre 2021

«La mer qu’on escalade comme un mur tombé»

Le vieux patriote Algérie française que je suis resté, même pas pied-noir, lit presque chaque jour en ligne le journal d'Alger Liberté. Kamel Daoud y laisse souvent un article, toujours superbement écrit, atrocement désespéré. Parlant des Harraga qui risquent leur vie pour traverser la mer, il a une phrase magnifique que j'ai mise en titre de ce billet.
Les Harraga, ou qu'on les appelle autrement ailleurs, tapissent le fond de la Méditerranée. Ils sont la honte d'un Etat mal géré, à tout le moins ingérable et qui d'un cynisme absolu laisse fuir tous les mécontents abandonnés à leur sort ! Soixante ans bientôt d'auto-gestion pour en arriver là ! L'Algérie, qui avait tout pour elle et une rente pétrolière qui servait de caution internationale à tout emprunt de développment, s'enfonce dans une misère noire provoquée par les pouvoirs successifs. Le désordre intérieur, le futur impossible font fuir sa jeunesse par la seule frontière ouverte que sont ses plages. L'article est d'une tristesse immense. Je n'ai pas obtenu le copyright de la rédaction du journal et je publie donc l'article dans la rubrique plaisir du texte sous protocole "entame + lien actif vers la source".


jeune harraga


Le Pays se vide à cause du vide


Comment fabriquer du sens en Algérie ? Donner du sens au fait d’y rester, vivre, prendre racines et maison. Le religieux ? Il accorde, coûteusement, du sens à la patience, à la résignation, à la défaite sublimée. L’Au-delà est ce qu’on cherche à habiter et vivre quand on n’a pas de vie et de foyer “ici”. C’est une victoire par la mort, pas par la vie. Le paradis est, toujours, le contrepoids de nos échecs et de nos déserts. Il faisait rêver les plus âgés, il fait aujourd’hui rêver même les plus jeunes, et c’est une tragédie, un déboisement du monde, une falsification du réel. Le paradis, on peut y croire et l’espérer, mais chercher à en déménager au plus vite prouve surtout l’échec à habiter le monde et à le construire. Le religieux est un choix, mais un pays est un effort. Alors, qui peut donner du sens ? La mer ? La mer qu’on escalade comme un mur tombé, la mer qui promet un autre paradis, lui aussi peuplé de nos échecs inversés, de nos espoirs transférés ? La mer, c’est un peu la mort avec l’Europe en guise de paradis. Un gilet orange, une chaloupe, un moteur doublé d’un cœur en colère, une boussole, et voilà la vie débordant de sens et de risques et d’écumes, redevenue palpitante, belle et terrible, chargée d’illusions essentielles et de déceptions utiles......
→ → l'article complet sur Liberté en cliquant ici ; sa conclusion est terrible*.


URL en clair : https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-pays-se-vide-a-cause-du-vide-365482 ;
cet article de Kamel Daoud est entré en archives fermées RA pour prévenir son éventuel retrait des écrans par la censure algérienne.



Kamel Daoud
Kamel Daoud est un écrivain algérien de cinquante ans, prix Goncourt 2015. Comme ses compatriotes Boualem Sansal ou Salim Bachi, il est très réservé sur la religion islamique et les scories sociétales qu'elle charrie, y voyant un facteur d'affaissement de l'Algérie indépendante ; l'autre étant bien sûr la corruption mentale et matérielle du parti issu de la guerre de libération qui a métastasé en une bureaucratie envahissante et imbécile. Il recherche les ressorts qui animent la société algérienne et en nourrit son pessimisme. Quasiment extra-lucide dans son analyse des peuples algériens, il fait avancer la cause du Réel face à l'épopée construite sur le sable d'un roman inachevé de science-fiction qu'est celui récité par tous les pouvoirs à Alger depuis 1962. Dans son genre, Kamel Daoud est un patriote sincère, en souffrance.


Pour se changer les idées, le blues du Djurdjura avec... Idir.




Tant de pluie tout à coup sur nos fronts Sur nos champs, nos maisons Un déluge ici, l’orage en cette saison Quelle en est la raison ? Est-ce pour noyer nos parjures ? Ou laver nos blessures ? Est-ce pour des moissons, des terreaux plus fertiles ? Est-ce pour les détruire ? Pourquoi cette pluie, pourquoi ? Est-ce un message, est-ce un cri du ciel ? J’ai froid, mon pays, j’ai froid As-tu perdu les rayons de ton soleil ? Pourquoi cette pluie, pourquoi ? Est-ce un bienfait, est-ce pour nous punir ? J’ai froid, mon pays, j’ai froid Faut-il le fêter ou bien le maudire ? J’ai cherché dans le livre qui sait Au creux de ses versets J’y ai lu "cherche les réponses à ta question, Cherche le trait d’union" Une mendiante sur mon chemin : "Que fais-tu dans la rue ?" "Mes fils et mon mari sont partis un matin, Aucun n’est revenu" Pourquoi cette pluie, pourquoi Cette eau, ces nuages qui nous étonnent ? Elle dit : "cette pluie, tu vois Ce sont des pleurs pour les yeux des hommes" "C’est pour vous donner des larmes Depuis trop longtemps elles ont séché Les hommes n’oublient pas les armes Quand ils ne savent plus pleurer" Coule pluie, coule sur nos fronts.

6 commentaires:

  1. Cet article fait tristement écho au livre de JP Lledo, "le voyage interdit".
    Ce qui surprend, c'est l'acceptation par la population de l'étouffoir (politique et religieux) sous lequel elle vit. "En même temps", les récents exemples de contestation de régimes oppresseurs ne sont pas encourageants.
    Quel que soit l'époque et le régime politique, l'endormissement des populations (avec un peu de carotte et plus ou moins de bâton) est la garantie de la tranquillité de l'oligarchie en place.
    Je plains la jeunesse algérienne mais la fuite (avec l'étoile polaire en ligne de mire) n'est pas la solution: celle-ci est en eux, chez eux.

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    1. L'Algérie indépendante n'a pas été développée en fonction de sa démographie, alors qu'elle en avait reçu tous les moyens. On sait pourquoi. Le Hirak sait pourquoi.

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  2. Lu dans Liberté du 4/10/21 à propos de la visite espagnole à Alger et du silence sur la Harga :

    Le pouvoir algérien, dans sa propension à étouffer toute expression de sa défaillance, parce qu’elle viendrait appuyer sa contestation, préfère naturellement donner le moins de publicité possible à la tragédie de la “harga”. Il cultive une politique de l’expression sélective : montrer ce qui le sert politiquement et taire ce qui le dessert. En même temps, dans son rapport à la société, il n’arrive plus à s’extraire de sa démarche exclusivement répressive consistant à traquer les sources potentielles de contestation et tout ce qui pourrait perturber le bon déroulement de sa feuille de route électorale. En considérant cette raideur de principe, on se demande ce qui pourrait encore motiver nos autorités pour une démarche politique préventive.
    (lire l'article complet)

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  3. Le site JeuneIndépendant.net signale que de jeunes harraga algériens ont signé à la Légion étrangère à Aubagne (source).
    Etonnant, non ? comme aurait dit Desproges.

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    1. Si l'info se répand sur les plages d'Algérie, la France pourra bientôt reconstituer le corps des tirailleurs algériens, ce qui ne manquera pas de vous plaire, cher Catoneo.
      René

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    2. Ca aurait de la gueule, des unités qui manoeuvrent en cravate !

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