mardi 22 février 2022

Poutine, on peut aussi en voir la fin

"Grotesque" est une épithète traduite en plusieurs langues que l'on retrouve dans les réactions internationales au discours mégalomaniaque de Vladimir Poutine hier soir et à l'envahissement immédiat du Donbass oriental par les troupes russes. La mise en scène du Conseil de défense dans une rotonde du Kremlin, avec les conseillers playmobil rangés en demi-cercle à trente mètres du Tsar, est invendable. Le Guardian préfère l'adjectif "absurd" dans un article au vitriol (clic) qui n'est pas dans ses habitudes.

Vladimir Poutine

Tant le discours s'ensuivant que la posture et la crainte inspirée au petit personnel vertement tancé lors du conseil, sont l'image composée d'un pouvoir au seuil de la démence. Il faut lire la traduction en français du discours-fleuve du 21 février pour comprendre - si l'on a quand même quelques bases historiques - l'étendue de la paranoïa fondée sur une méconnaissance profonde des attentes du peuple ukrainien, peuple nié, aujourd'hui libéré de la propagande moscovite ; les autres, à l'Est, sont perdus sur ce plan, leur cerveau étant lavé en continu par les services d'intoxication mentale. Ce document historique est accessible ici. Un grand merci à Maël-Georges Moullenc. Poutine y parle de "génocide" au Donbass en oubliant de citer le vrai génocide : l'holodomor.

Dans la partie d'échecs Est-Ouest, l'Occident subit ce tantôt la diagonale du fou et perd des pions. Mais les pièces majeures sont intactes, la tour orientale du jeu russe faisant même défaut au Conseil de Sécurité des Nations Unies quand le représentant chinois réaffirme l'inviolabilité des frontières internationales, celles d'Ukraine comprises. D'ailleurs on pourrait faire un long article sur les craintes et conséquences du soutien apporté au Kremlin par le pouvoir chinois, qui mesure aujourd'hui le prix de l'aventure. Dégradation possible des marchés de consommation occidentaux clients incontournables, fébrilité des marchés financiers de devises, valeurs et titres, désorganisation des flux énergétiques imprévisibles, poids des rétorsions en Russie qui déclenchera un appel de Moscou à faire bloc, ce dont les Chinois n'ont pas envie.

A court terme, Poutine bande comme un cheval : il entre au Donbass avec l'intention mal cachée de le conquérir tout entier (les deux oblasts de Lugansk et de Donetsk sont contrôlés encore au deux tiers par Kiev), provoquant une guerre inévitable, que l'Ukraine risque de perdre jusqu'au Dniepr. Mais à long terme il perd tout, et c'est tant mieux si l'on veut que le peuple russe soit libéré de ses autocrates qui lui pourrissent la vie depuis toujours. Avant deux mois...
  • Les convictions anti-russes des Ukrainiens seront parfaites. L'histoire ancienne des peuples frères aura coulé à pic.
  • L'OTAN, l'axe du Mal, sera revigoré à l'Ouest et au sud de la Russie, et les budgets de défense européens vont reprendre des couleurs qui avaient bien pâlies, ce qui irritait terriblement Donald Trump. Les "neutres" ne le sont déjà plus, Finlande et Suède ont senti le vent du boulet et collaborent avec l'OTAN au quotidien. Restera l'Autriche pour héberger des conférences !
  • Les minorités russes aux pays baltes vont être obligées de choisir entre leur intégration et leur rapatriement, car elle deviennent pour les gouvernements de Vilnius, Riga et Tallin, l'ennemi intérieur. L'enclave de Kaliningrad devient un gage, malgré ou à cause de l'installation de fusées Iskander à capacité nucléaire ; les alliés peuvent l'étouffer facilement. On n'est pas loin d'un nouveau rideau de fer, remonté cette fois par les Occidentaux.
  • La réorientation de la stratégie énergétique de l'Union européenne devient plus facile puisque le partenaire russe s'avère ouvertement hostile à l'Europe occidentale et menace l'Europe orientale.
  • L'industrie de pointe russe va subir de graves défauts d'approvisionnements que les ressources chinoises ne pourront pas annuler (à moins de capturer Taïwan !).
  • Certains pays du tiers-monde - et le Keyna est intervenu au Conseil à New York - vont prendre leurs distances avec l'Etat lépreux de Russie dont la fréquentation ouvrira la porte aux remarques et rétorsions occidentales.
  • Et pour finir, l'oligarchie russe sera menacée dans son expatriation de fortune, pour satisfaire le caprice d'un ancien officier du KGB qui a pris le melon.
  • Je ne parle pas du système SWIFT : c'est un monde à part, mais si vous n'en êtes pas, vous êtes coupé des échanges commerciaux que portent les flux financiers instantanés. Les pseudo-alternatives sont un leurre. Reste l'interdiction de trafiquer en dollars US : pour un exportateur net d'hydrocarbures et de minerais, cette interdiction qui va peser sur tous les clients étrangers deviendra vite intenable, au vu des sommes astronomiques engagées chaque jour.

Nota bene : A l'heure où nous mettons sous presse, on ignore les sanctions décidées en Occident contre la Fédération de Russie.


Question, les industries européennes qui ont monté des chaînes de production en Russie tiendront-elles le coup assez longtemps pour passer le choc final ? Leurs homologues russes vont-ils réagir à leur tour contre la politique étrangère du Kremlin ? Le grotesque absurde de la clique d'anciens espions qui gouverne le pays doit les y inciter. J'avais le pressentiment, quand ont commencé les manœuvres de diversion en Biélorussie, que Poutine courait à sa perte parce qu'il allait s'attaquer à une complexité qui le dépasse ! Il s'y hâte lentement, mais y va !

9 commentaires:

  1. Une autre façon de dire la même chose ?
    Raphaël Chauvancy aboutit à la même conclusion que nous sur Theatrum Belli (clic) : Poutine joue et perd.

    RépondreSupprimer
  2. on a bien laissé faire pour le Kosovo

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Justement non puisque l'OTAN en a chassé l'armée de Milošević et que les USA ont installé le camp Bondsteel pour parer toute intervention russe.

      Supprimer
  3. J'ai bien ailé dans l'article de Theatrum belli sur les misères allemandes. mon sentiment est que dans 3 mois on n'en parlera plus et que dans 3 ans on ne s'en souviendra pas. Qui se soucie de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud, de la république turque de Chypre nord de la Transnistrie ou de l'Artsakh (qui récemment n'a intéressé personne). "L'oubli est la ruse du diable" Quant aux sanctions et pressions internationales contre les vilains-qui-ne*respectent-le droit, elle n'ont pas empêché Fidel Castro, les Kim de Corée ou les mollah iraniens de continuer leurs petites affaires. Et là, j'apprend début 2022 que la république serbe de Bosnie réclame à nouveau son indépendance entrainant soutient russe et sanctions américaines. Avec les Slaves, on ne s'ennuie jamais!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pensez-vous que les Slaves soient une race à problèmes ?
      J'avais des amis polonais qui en étaient convaincus jusqu'au point de ne jamais entrer en affaires avec des Yougoslaves ou qui pis est des Russes :)
      On a dit aussi que la frontière RFA/RDA départageaient bien Germains de l'ouest des Slaves importés par les rois de Prusse pour construire le royaume, lesquels étaient commandés par des ingénieurs hanovriens, tchèques, hongrois et autrichiens, sinon ils tournaient en rond en attendant l'heure de la soupe.
      Ceci expliquerait que le pays ait été découvert ruiné à la chute du Mur. Des mauvaises langues !
      C'est vrai que tout le monde s'en fout de Donetsk et Lougansk, mais le petit Tsar ne s'endormira pas avant d'avoir relié le "Donbass libre" à la Crimée de Catherine II.

      Supprimer
  4. A ceux qui douteraient encore qu'il puisse exister une histoire d'Ukraine d'avant l'Union soviétique, nous proposons cette monographie de la plus belle reine de France, qui vint au XIè siècle épouser Henri Ier : Anne de Kiev. Ceci dit pour meubler.

    RépondreSupprimer
  5. Compte tenu des circonstances, il faut positiver! Alors positivons et remercions monsieur Poutine grâce à qui nos amis allemands vont peut-être changer d'avis et nous aider à remonter notre industrie nucléaire, dont ils auront grandement besoin pour faire tourner leurs usines quand le gaz russe leur sera partiellement voire totalement coupé.
    Parallèlement, souhaitons-nous un printemps bien frais et bien humide, d'une part pour aider nos agriculteurs dont les champs sont en déficit hydrique depuis plusieurs mois, et d'autre part pour enfoncer le clou "nucléaire" dans les têtes obtuses des fonctionnaires de Bruxelles.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On se rend compte maintenant que Schröder puis Merkel ont "protégé" Poutine dans son agenda caché, l'un en toute connaissance de cause, l'autre par fébrilité femelle. Ils ont détruit leur souveraineté énergétique, en se jetant dans les bras d'un Lt-colonel russe ! C'est du Hergé !
      Qu'en pense l'avare, euh... monsieur Fillon ?

      Supprimer
  6. Dans un article aux Echos, Dominique Moïsi soutient que Poutine approche de sa fin, en le comparant à Napoléon franchissant toutes ses limites. Un article que j'aurais aimé faire :
    Le début de la fin pour Poutine (clic).

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Les plus consultés sur 12 mois