*Arakhamia, le négociateur ukrainien* |
Le négociateur russe, Vladimir Medinski, a parlé de "discussions substantielles" en promettant que "les propositions claires" de Kiev allaient être soumises au président en vue d’un accord. A lire le démenti des Affaires étrangères de Moscou le lendemain soir, on a compris qu'Attila s'était mis en colère à l'idée qu'un de ses négociateurs, réputé pourtant le plus ultra, ait pu laisser croire aux chancelleries occidentales que la Russie arrêtait les frais. Il lui faut écraser l'infâme. L'infâme s'appelle Zélensky. Espérons que ce coup de sang quotidien lui détruira le cœur, mais en attendant la libération, on peut juger la proposition de neutralité ukrainienne intéressante, même si elle soulève des difficultés en l'état. C'est ce que nous allons voir.
Que pense la géopolitique de ce pacte de non-agression ?
Les pays de garantie seraient donc les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Pologne, la Turquie et Israël ; la Fédération de Russie prenant forcément la garantie contre elle. Cela peut-il marcher ? Le doute est permis, et doublement, par la mauvaise foi récurrente du pouvoir russe à retourner tout mouvement déplaisant en une agression caractérisée contre lui, susceptible de lourdes représailles parfaitement motivées pour la communication intérieure du pouvoir. Autre pierre d'achoppement : cinq pays sur les huit cités sont membres de l'OTAN. Tout mouvement de l'un deux sera allégué par Moscou comme une menace des trente nations atlantisées. Nous ne résoudrons pas cette complexité ce soir. Par contre nous sommes capables d'examiner l'intérêt de chacun à monter dans le bandwagon de la neutralisation :
Etats-Unis d'Amérique : on sait que la politique étrangère des Etats-Unis est définie à moyen terme par le Sénat et mise en œuvre plus ou moins spontanément par le président pendant deux ans, soit la période courue entre l'élection présidentielle et les mid-terms. L'implication des Etats-Unis en Mer Noire dépendra de l'agenda du Sénat mais l'automaticité d'engagement à la défendre exigée par l'Ukraine peut aussi le rebuter comme en témoignent les termes exacts du fameux article 5 dans son original français faisant foi. A mâcher lentement pour comprendre :
Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.
L'entrée en guerre n'est nulle part "automatique" et les Nations Unies demeurent l'alpha et l'omega de la réaction attendue. On dit beaucoup de choses sur la stratégie américaine, on lui prête beaucoup de projets sournois et pourtant elle est simple : l'Amérique se dit première en tout, ce qui n'induit pas nécessairement une tentation hégémonique irrépressible. Les deux théâtres de la deuxième guerre mondiale ont vu la capitulation des tyrans entre les mains américaines : il en reste tout le dispositif de défense actuel. Concernant l'Europe et contrairement à une idée répandue, il n'y a un majorat américain que pour la seule raison que l'Europe a refusé jusqu'ici de se défendre à ses frais. Le ferait-elle - en sabrant dans le coût dispendieux de ses modèles sociaux - que l'Amérique serait bien heureuse de n'y venir qu'en touriste, en voyage de noces ou d'études. Resterait le parapluie nucléaire américain jusqu'au désarmement combiné, ce qu'avaient entrepris les présidents américains à partir de Nixon avec les accords SALT.
Chine populaire : même si elle peut apparaître comme élément modérateur ayant les faveurs de Moscou, on voit mal la Chine se lier les mains dans un accord de défense automatique à l'ouest de l'Himalaya. Toute son empreinte occidentale vise à protéger la muraille (jusque parfois très loin au Kazakhstan) ou à capter des lacs d'altitude ou bassin versant utiles comme au Ladakh. On la voit mal s'investir dans un conflit potentiel compliqué, sans base-arrière, même s'il est susceptible de dégénérer en ruine de l'allié principal dans leur politique de terreur. Où est son intérêt bien compris, où est le profit ? Etre membre permanent du Conseil de Sécurité lui suffira-t-il à se décider de signer ? J'en doute.
Pologne et Turquie ont un intérêt direct en Ukraine puisqu'elle y ont laissé des plumes dans l'histoire et qu'elles sont en frontière du problème. Leur participation à un accord régional de défense rehausse en plus la présidentialisation de leur dirigeant dans la cour des grands. La Roumanie ne pourra pas s'y joindre à cause des massacres d'Odessa de 1941.
Royaume-Uni : qu'en dire ? Allié indéfectible des Etats-Unis et bénéficiant d'une garantie spéciale de défense (Accord de défense mutuelle entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni), Londres suivra son partenaire historique, mais pourra renforcer son allié polonais si celui-ci est impliqué dans une garantie à premier appel, en fournissant de l'armement et en tenant la mer à partir de ses propres bases navales en Ecosse et à Chypre.
Allemagne : on sait les réticences allemandes. La neutralité lui plaît, la sienne. Il a fallu secouer fortement Olaf Scholz pour qu'il sorte de sa sidération orientale derrière Gerhard Schröder et Willy Brandt. De son propre mouvement il ne viendra pas sur une garantie automatique d'autant que la population allemande reste très mitigée sur le choix d'un camp dans l'affaire présente. S'il a décidé de réarmer (attendons quand même le Bundestag) et de diversifier ses importations d'hydrocarbures, c'est qu'il anticipe à terme un retrait américain dès la ruine russe acquise. Il n'a pas décidé d'aller plus loin dans une crise qui coûte déjà beaucoup à son industrie, tant pour la sous-traitance que pour le marché de consommation russes. Le far-west de l'Allemagne est à l'est comme son avenir, et Berlin capitale est idéalement placée pour ce projet.
France : si je devais faire une conférence du soir dans un cercle royaliste je commencerais par les trois fleuves : la géopolitique française dès que fut constituée une nation ou ce qui y ressemblait, fut gouvernée par trois fleuves : le fleuve de Meuse-Saône-Rhône des Gaulois, le Rhin des Germains, le Danube des Slaves. Le territoire entre les deux premiers fut conquis de haute lutte sur les impériaux ; entre le deuxième et le troisième l'histoire fut celle des soucis plus ou moins créés par les autres ; au-delà du troisième s'étendait une terra incognita de la diplomatie française qui ne s'y sentait en rien concernée. Ça en jette ! Dès le XIVè siècle, les rois de France jugèrent hasardeux et de nul bénéfice à aller au-delà du Danube défendre des intérêts étrangers. La molesse française observée à la ruine du royaume de Jérusalem ou à la conquête ottomane des Balkans le signale, comme notre désintérêt pour le siège de Vienne. Mais il serait bien étonnant que le président Macron, réélu, ne succombe à la vanité de faire plus grand que grand, à l'image de notre grand toqué de François Premier, sans cette fois encore les moyens de nos rodomontades. L'affaire est entre les mains des Turcs. Macron a trois jours de munitions et Toulon est à 5 jours du Bosphore fermé à clef !
Israël ? L'Etat hébreu n'a rien à faire là, même s'il y a des juifs partout dans les deux camps en guerre. Surtout en position d'occupant de la Cisjordanie, Donbass des sources d'eau palestinienne. Eux aussi se poussent du col et veulent entrer dans le grand jeu. Parce que Poutine enrôle le Hezbollah ? Ce n'est pas sérieux mais peu visible dans ce monde si peu sérieux.
Le projet de neutralisation de l'Ukraine par les Ukrainiens est-il compromis ? Pas encore, mais en l'état il n'est pas jouable. Les conseillers de Kyiv à la table de négociation d'Istanbul ont-ils sondé les reins et les cœurs des nations appelées en garanties ? Ils n'en ont pas eu le temps et nul n'a vu encore de réactions occidentales à ce dispositif qui a quand même le mérite de proposer un os à ronger au petit csar pour le distraire de ses fureurs nocturnes. En pure perte ! Il continue le bombardement aveugle des quartiers d'habitation. On (Mi6-GCHQ) le dit désinformé par ses proches conseillers terrifiés.
Postscriptum : Le Monde (abonnés) a publié hier un entretien de Michel Eltchaninoff (avec Nicolas Truong) qui prouve la cohérence du raisonnement de Vladimir Poutine même si les réalités affrontées divergent de la doxa nationaliste russe. Un conservatisme inébranlable, une slavophilie à toute épreuve et un eurasisme assumé pour un natif de Léningrad, l'éloignent de l'Occident. Trois auteurs sont sur sa table de chevet : Ivan Ilyine (théoricien de l'Armée blanche), Nicolas Berdiaev (philosophe orthodoxe) et Nicolaï Yakovlevitch Danilevski (slavisme spirituellement supérieur). On accède à l'entame en cliquant ici. Le document .pdf sera disponible ici dès la semaine prochaine en envoyant un message par le formulaire de contact ci-contre. L'article du Monde est fouillé et succède à des analyses poussées de l'auteur sur le cerveau poutinien.
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