dimanche 3 avril 2022

Ecologie du pouvoir russe 2022

Chacun voudrait comprendre ce qu'il se passe dans la tête de Poutine bien qu'il soit de plus en plus évident que ce ne sont pas ses névroses historicisées qui commandent aux événements mais l'écosystème de son pouvoir. Quel est-il ?

V. Poutine

L'exécutif central russe est très limité, avec d'un côté les Siloviki dont les chefs de file sont d'anciens copains du KGB depuis Léningrad, Nikolaï Patrushev, Alexander Bortnikov (chef du FSB), Sergeï Shoïgu (ministre de la Défense, peut-être le plus influent), Igor Kostyukov (GRU) et Sergeï Naryshkin (chef du Renseignement extérieur); de l'autre côté les pièces rapportées qui forment le bloc économique comme le premier ministre Mikhail Mishustin et la patronne de la Banque de Russie Elvira Nabiullina ; s'y ajoute le chef d'état-major Valery Gerasimov (arme blindée cavalerie). Et c'est à peu près tout (une source). Le reste de l'entourage, c'est la machinerie habituelle de tout pouvoir autocratique : une administration du château régie par la Crainte.

Mais le problème n'est pas ce conseil resserré. Et sans doute moins qu'on ne le pense les compétences relativement moyennes qu'il réunit du côté des espions, mais son mode de fonctionnement propre. Des kremlinologues à la mode d'antan nous expliquent que le pouvoir dirige par ruissellement, le petit csar étant l'émetteur unique des ondes, comme l'autre tyran mort à Bucarest, le Danube de la Pensée. Vingt ans de pouvoir quasi-absolu engendré par le bannissement de toute discussion et la destruction systématique de toute opposition intérieure, ont créé un tyran autiste et complexé qui commande, tranche et coupe de son propre caprice. Enorme melon ! Il sait tout. C'est lui qui sonne ! Nul ne peut l'appeler. Pourquoi donc l'affaire d'Ukraine a merdé ?

A partir d'ici, nous conjecturons. Après la mise sur pied d'une armée nickel-chrome au prix de milliards de roubles, armée pourvue des dernières capacités meurtrières inventées par la filière militaro-industrielle sauvée de la ruine de l'URSS, le refondateur de la Sainte Russie a dessiné les plans de l'Opération spéciale visant à l'écrasement de la "tarlouze" de Kiev, à la dénazification du pays (Rada et forces armées) et à l'annihilation définitive de toutes capacités militaires ukrainiennes en situation de menacer le Donbass "russe". Crayons de couleur, grandes flèches, agenda de marche et on part en manœuvre à la frontière de l'Ukraine pour se mettre en jambe et vérifier deux ou trois trucs, sait-on jamais.
Sauf que Poutine n'est pas Napoléon. Il n'a jamais commandé d'armées, si tant est qu'il ait fait un vrai service militaire pour toucher du doigt la chaîne de commandement. Il s'en est donc remis aux copains qui avaient des idées ou des prémonitions. Lesquels furent vite renvoyés dans leurs 22 dès qu'ils émirent une objection. Parce que l'armée de terre russe d'aujourd'hui, jusqu'au déclenchement de la guerre d'Ukraine, n'a jamais et nulle part dépassé le combat en unité élémentaire (compagnie, escadron), parfois mais rarement au niveau bataillon ; et pour la logistique, n'a jamais dépassé le stade du groupement tactique, l'équivalent d'un régiment de chez nous. Ainsi la percée sur Kiev de deux armées complètes avec tout le charroi et l'artillerie de campagne s'est vautrée. Même les coups de main des Forces spéciales ont échoué sauf sur l'aéroport de Hostomel. Pourquoi donc ? d'abord par une chaîne de commandement rigide ne laissant que peu d'initiative au chef de l'unité au contact, et surtout par le défaut de liant dans les corps de troupe en l'absence de sous-officiers formés et nombreux. Ceci explique le nombe de généraux tués à la guerre, dévoilant que ces haut-gradés se sont sentis obligés de monter au front jusqu'au dernier grenadier-voltigeur pour faire avancer la manœuvre.

Revenons à Moscou. On dit dans les écoles de guerre que la première victime du déclenchement d'une guerre c'est LE PLAN. Or le plan Blitzkrieg de 72 heures a très certainement été pensé par le petit csar. Faire remonter les difficultés initiales à son niveau fut certainement doublement difficile parce que d'une part, c'était lui dire que son plan était naze et maintenant inexécutable malgré les milliards de roubles détournés vers le réarmement des armées, et d'autre part, parce qu'on ne l'appelle pas, c'est lui qui sonne ! L'explication de gravure a dû être sévère puisque le fidèle Shoïgu a disparu de la circulation pendant quinze jours, avec son CEMA.

Qu'ont-ils décidé devant le délitement des troupes démotivées et mal commandées ? Vraisemblablement de mettre les pouces à condition d'avoir quelque chose à vendre à l'opinion russe pour le défilé de la Victoire du 9 mai prochain : neutralisation de l'Ukraine, désotanisation, gain territorial à définir. Mais demeure un blocage dans le cortex qui n'est pas sauté encore : au stade psychologique atteint maintenant, Poutine ne sait négocier que la capitulation de la partie adverse. On le mesure aux démentis-réflexes visant un rapprochement des points de vue des bélligérants. Des gens comme Lavrov auront-ils assez d'influence sur Poutine pour l'amener à résipiscence in petto sans qu'il ait à se coucher ? Langue au chat !

Reste au bloc économique du Kremlin a ouvrir les yeux du Chef sur le prix exorbitant des sanctions occidentales. Apparemment ce n'est pas gagné non plus, Poutine réagit avec colère quand il faudrait "penser". Seul un raidissement chinois différant le soutien appelé, pourrait lui ouvrir les yeux. Mais eux savent déjà qu'ils ont gagné au loto russe : un vassal, un client, des minerais et de l'énergie à prix cassés payables en renminbis, et accessoirement, un test grandeur nature d'opérations combinées avec tout ce qu'il ne faut pas faire (clic). Des esprits mal tournés comme le mien imaginaient Vladimir Poutine en Hitler-Second-Chance qui, après les Sudètes ukrainiens, avalerait l'Estonie, la Moldavie et la Georgie pour commencer. Finalement c'est le modèle sur-mesure de Kim Jong-un qui lui va le mieux. Les crimes de guerre instruits à La Haye vont le confiner, s'il est possible de confiner quelqu'un sur onze fuseaux horaires de longitude, certes ! Mais il est sûr que l'enfermement au Kremlin agravera son autisme jusqu'à détériorer sa santé. Nul ne lui parle aujourd'hui à moins de six mètres, après avoir traversé le portique de détection. C'est fou !

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