Le dernier contingent français en République centrafricaine a quitté Bangui ce 15 décembre pour diverses raisons, dont l'inadaptation de la politique élyséenne à la dispute tribale qui secoue le pays depuis 2013 me semble primordiale. Le porte-parole et conseiller spécial du président Touadéra a déclaré à l'AFP que « c'est avec beaucoup de regrets que nous constatons ce retrait unilatéral ; aujourd'hui nous avons une armée aguerrie, merci à la France qui l'a formée et équipée pendant soixante-deux ans...» Fidèle Gouandjika, puisque c'est de lui qu'il s'agit, se garde bien d'insulter l'avenir. Les autorités centrafricaines le placent entre les mains de la société Wagner de Saint-Pétersbourg qu'elles ont appelée en 2018 pour casser l'opposition sur le terrain. Nous reproduisons en pied s'article une notice sur ce conseiller spécial, fort intéressant, qui vit dans un palais à son nom comme l'indique sa page Facebook.
Soixante-deux ans de parrainage devaient bien cesser un jour, sinon à quoi bon décoloniser. Certes ces pays, qui produisent de réelles élites par ailleurs, laissent en même temps leur masse dans la misère et ne sont pas matures dans la gestion d'inévitables conflits sociaux qui enflamment la grille ethnique sur laquelle ils sont construits. Mais pourquoi avons-nous insisté ? Est-ce le tropisme civilisationnel à la Jules Ferry qui nous a fait maintenir une sorte de gendarmerie coloniale pour réduire le bordel généralisé au minimum acceptable ? Ou autre chose ? On sait qu'il y a des intérêts économiques assez puissants sous la Françafrique mais aucun n'est essentiel à la République française. Alors pourquoi persister à vouloir arbitrer entre les factions locales, adouber les partis moralement acceptables, soutenir la gesticulation démocratique ? Tout est expliqué là :
Les ressorts de la Françafrique chez Athena21.org.
A lire sans délai. C'est en résumé une stratégie de rentes minières et pétrolières. Dans le compromis initial des années 60, la France assure la protection militaire des nouveaux régimes contre toute attaque étrangère, en rémunération d'un droit d'accès préférentiel aux ressources disponibles. Rien d'immoral jusque là, sauf que les frontières coloniales héritées ne préservent pas des fermentations tribales intérieures qui se développent parfois en guerre civile, souvent atroce. Et le piège se referme à chaque fois, le deal d'origine se transforme en gestion de la crise politique intérieure. Nous y avons eu beaucoup de succès quand nous y allions franchement (Tchad), et pas du tout quand nous sommes restés en retrait de la main (Côte d'Ivoire). Mais il y a des situations inextricables pour n'importe quel état-major quand la grille stratégique imposée par l'Elysée coupe à angle droit la grille ethnique. L'exemple type est ce malheureux pays du Mali, notre ancien Soudan fait de ce qu'il restait comme territoire quand on a constitué tous les autres et qui englobe des ethnies hostiles depuis la nuit des temps, sans disposer des ressources nécessaires pour mettre de l'huile dans les rouages de l'Etat. L'Azawad aurait été libéré de la tutelle de Bamako que le Sahel aurait sans doute trouvé les raisons de combattre le djihadisme mafieux qui ravage la région. Une alliance des peuples touaregs et assimilés, depuis la Mauritanie jusqu'au Tchad en passant par le Niger et l'Azawad, pouvait régler le problème par éradication des rezzous islamistes. Y mettre les autorités du fleuve non reconnues au nord vouait l'affaire à l'échec. Mais bon, les africanistes savent et disent tout cela mieux que moi. Venons-en aux Wagner.
Ce sont des salopards sans foi ni loi, immoraux, sataniques, alcooliques assassins et cetera. Des mercenaires, quoi ! Les société de mercenaires remontent à l'Antiquité. Mais c'est à la Renaissance et chez les princes italiens qu'ils firent leur réputation. Ce sont des guerriers qui, normalement, ne se battent que pour le fric. De nos jours les Etats les utilisent soit pas économie (Constellis/Blackwaters pour le Pentagone), soit pour des opérations sous faux drapeau (Donbass, Crimée 2014 pour le FSB), soit pour des interventions de revers (Bob Denard aux Comores), soit enfin pour étoffer ponctuellement le service Action de la DGSE. Parfois ils se battent bien et se paient sur la bête, parfois ils se battent mal et se paient sur la bête. Leur comportement est "amoral". Inutile de les juger sur l'absence de valeurs morales. C'est carrément stupide. Une société de guerre privée ne se juge qu'aux résultats rapportés aux objectifs initialement définis.
Tant au Mali qu'en Centrafrique, la mission évidente de protection rapprochée du régime est remplie. Si une mission de pacification du territoire est contractée entre le pouvoir protégé et la milice privée, il est assez facile de voir si cette mission est remplie. Au Mali, il ne semble pas que la pacification wagnérienne fonctionne dans la zone des trois frontières, ce serait même l'inverse au vu des exactions commises par les katibas islamistes. Ça ne marche donc pas et nous en connaissons les raisons. On en revient donc à la mission essentielle, celle de protéger le pouvoir qui les paie. Cela peut durer longtemps, aussi longtemps que l'argent coule et quel que soit le mode de paiement (détournement de crédits étrangers, captation de flux d'exportation, exploitation directe de mines précieuses, tout trafic rentable). Aussi était-il sage pour nous de plier les gaules dans les deux pays impliqués dans la collaboration russe puisque nous ne pouvions pas décemment affronter la garde prétorienne du roi-nègre. En fait toute l'affaire djihadiste pèse aujourd'hui sur le contingent onusien qui ne peut pas se retirer au milieu de la guérilla islamiste. Wagner n'apporte rien. Pire, ils encombrent. La balle au Conseil de sécurité, ça nous fera de l'air.
Reste à voir ce que deviendront les effectifs que le propriétaire de la société Wagner enfourne dans le brasier du Donbass pour se faire une réputation militaire afin de participer à la distribution des cartes pour l'après-Poutine. On dit qu'il a percé à Bakhmout où ses hommes avancent en marchant sur les Mobiks morts dans les vagues d'assaut. Vivement qu'ils gèlent, ça puera moins.
NB : Sans son mentor Fidèle Gouandjika, le président centrafricain Faustin-Archange Touadera serait resté un universitaire reconnu pour ses travaux de mathématicien. Fidèle Gouandjika est de la même ethnie Gbaka-Mandja que son cadet, le président centrafricain Touadera. Il a toujours eu un ascendant sur l’intellectuel, affectueusement surnommé « le petit », au brillant parcours académique. En sa qualité de ministre et porte-parole du président Bozizé, Fidèle Gouandjika avait chaudement recommandé son « frère » au général-président, pour qui le monde universitaire était évidemment totalement inconnu.
Faustin-Archange Touadera fut ainsi bombardé dans le marigot politique centrafricain qui était aussi, pour lui, étranger. Bozizé en fera son premier ministre durant cinq ans. Le clan familial de Bozizé avait trouvé en Touadera la personnalité qui pouvait rassurer les partenaires financiers et permettre les pratiques mortifères pour le pays. Le premier ministre avala sans broncher les assassinats politiques comme celui de Charles Massi, le » hold up » électoral de 2011, la privatisation des finances publiques, la mise à l’écart des personnalités et fonctionnaires de nord- est du pays en qui Bozizé voyait « des terroristes ». Fidèle Gouandjka resta évidemment ministre du gouvernement Touadera jusqu’à sa chute en 2013. Les postes juteux des télécoms puis de l’agriculture et de l’élevage permirent à l’ingénieur d’arrondir sa fortune et de développer ses réseaux d’obligés...
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