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Depuis le phare d'Agincourt (ROC)

phare de Pengjia (ROC)
Quand il a invité Ursula von Der Leyen à l'accompagner dans son voyage à Pékin, Emmanuel Macron s'est hissé sur le pavois de l'empereur d'Europe occidentale, accompagné de son adjudant-major qui prendrait des notes. Je pense que lors du prochain Conseil européen, il va y avoir du bruit. Non pas tant que les pays au contact, qui hurlent déjà au charron en apprenant que Miquet à la Houppe a encore pris ses distances avec l'Ukraine et Taïwan en pleine crise, demanderont des comptes, que de la part de la Commission qui vient d'être humiliée dans les largeurs. Que va faire M. Borrell à Pékin dès ce 13 avril ? Recadrer la politique de l'Union à l'endroit de la Chine populaire ? Ça ne servira à rien, le découplage macronien va être accru par les services chinois qui sont plus retors que ceux du Catalan, outre le fait qu'il est débordé déjà par la Deutschland AG qui suit son propre agenda industriel, distinct de celui de Bruxelles.

De quoi s'agit-il au fond ?

D'autonomie stratégique européenne. Dans son entretien donné aux Echos (clic), M. Macron vante ses succès sur cette voie, étroite et périlleuse, d'immodeste façon en ces termes : « Il y a cinq ans, l'autonomie stratégique était une chimère. Aujourd'hui, tout le monde en parle. C'est un changement majeur. Nous nous sommes dotés d'instruments sur la défense et sur la politique industrielle. Les avancées sont nombreuses : le Chips Act (ndlr: semiconducteurs essentiels), le Net Zero Industry Act (ndlr: rapatriement des industries de la transition verte) et le Critical Raw Material Act (ndlr: production dans l'UE de matières premières rares essentielles), ces textes européens sont les briques de notre autonomie stratégique. Nous avons commencé à implanter des usines de batteries, de composants hydrogène ou d'électronique. Et nous nous sommes dotés d'instruments défensifs qui étaient complètement contraires à l'idéologie européenne il y a seulement trois ou quatre ans ! Nous disposons à présent d'instruments de protection très efficaces.»
S'il ne s'agit encore que d'une montée en puissance, l'élan est donné dans le bon sens, après des années d'errances idéologiques dans le brouillard de la mondialisation heureuse. Mais est-il besoin pour y atteindre de braquer les Etats-Unis en ce moment ? Qui pis est, de tracer en pointillés une ligne de fracture au sein de l'Europe entre les pays échappés du bloc soviétique et les pays occidentaux préservés par les Accords de Yalta ? L'Europe seule n'a pas les moyens de se défendre contre le chef paranoïaque du Kremlin, capable de tout pour passer à la postérité comme Ivan-le-Terrible Reloaded. Six mille têtes nucléaires (dont quelques unes marchent encore) sont à sa disposition pour déployer le cauchemar atomique sur son étranger proche dès qu'il se convaincra qu'il est perdu. La menace n'est pas qu'un bluff sur le tapis vert puisqu'il enfreint aussitôt la demande chinoise de non-prolifération des ogives en décidant d'en placer en Biélorussie. Rien ni personne n'arrêtera les effets de cette névrose en dehors du premier cercle, seul capable de commander les sicaires qui achèveront une bonne fois la "vision impérialiste" de M. Poutine.

Alors, découpler maintenant les intérêts européens et américains comme le propose M. Macron, est plutôt malvenu, même si la démarche est légitime sur le long terme. Mais achevons le travail d'abord, m.... ! Cet propension irrésistible à communiquer sans retenue est un des plus gros défauts de notre vibrionnant foutriquet et nous ne pouvons que souhaiter qu'on le lui dise en face lors du prochain Conseil européen. Je crois qu'il y a des volontaires pour le lui crier fort et clair. Reste l'idée en soi :
Il est difficile de croire que le coup de couteau dans le dos que nous avons reçu dans l'affaire des sous-marins pour l'Australie n'aurait rien produit dans le cercle des pouvoirs français. Il est plus que probable qu'il a accéléré la re-gaullisation de notre politique étrangère en amplifiant les marges de désaccord. De par notre présence et par l'histoire aussi, nous sommes partie prenante dans la zone indo-pacifique, mais à notre mesure sur des théâtres assez bien définis. Ce n'est pas parce que nous avons baptisé le phare d'Agincourt au large de Formose et que la base navale chinoise de Zhanjiang s'est appelée jadis Fort-Bayard que nous avons des intérêts "vitaux" dans le Détroit de Taïwan. Ni même dans le Pacifique-nord. D'autant que les moyens budgétaires que nous laisse une politique de providence sociale exacerbée mise au compte de nos générations futures, limiteront fatalement nos interventions s'il faut un jour y aller pour de vrai.

Une autonomie stratégique de l'Union européenne serait la queue de trajectoire d'une politique étrangère souple et déterminée à vingt-sept ou plus, ce qui revient à en reconnaître l'impossibilité. Que reste-t-il à la France en ce cas ? Remonter en puissance sur nos propres zones d'effort afin de ne plus dépendre des alliances géopolitiques, même s'il est dans notre intérêt d'y participer. Mais sans vassalisation matérielle. Pour y parvenir, il faudra réduire la dépense publique et pas qu'un peu. Sauf à abandonner nos outremers et les fruits annoncés par la ZEE française, la deuxième du monde !

Commentaires

  1. Dans les opérations spéciales de la France au Sahel, les Etats-Unis ont fourni la logistique lourde et le renseignement à première demande. Puis se sont investis dans les drones de chasse à partir du Niger.
    Le désalignement français souhaité par Macron lors de son voyage en Chine populaire est perçu à Washington comme une ingratitude (bien dans l'ADN français). D'autant que nous avons, d'une certaine façon, été défaits au Sahel en laissant les portes ouvertes.

    Comme à l'accoutumée, notre président ne mesure pas les effets de ses proclamations et se croit au-dessus de tout ça, mais il se pourrait que la France soit éjectée de la stratégie Pacifique pour ôter un élément d'incertitude dans les plans alliés.
    Après 1966, le SHAPE avait éliminé ce paramètre flou en l'appelant "The French Denial". C'est reparti pour un tour d'au moins quinze ans !

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  2. Ca n'a pas traîné !
    Josep Borrel étant empêché par une crise Covid-19, c'est la ministre allemande des affaires étrangères qui s'y est collée. Arrivée à Pékin, elle a priix le contrepied de l'approche vaseuse et non consensuelle d'Emmanuel Macron, adjurant son homologue chinois de ne pas mettre le bins dans le détroit de Taïwan, un vrai film d'horreur.
    Le Guardian nous dit tout ici.

    Image de la conférence de presse du 14 :

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  3. Analyse de Guillaume Ancel des deux voyages d'Emmanuel Macron en Chine et aux Pays-Bas, qui conclut :
    Emmanuel Macron donne ainsi l’image d’un Napoléon hors du temps et de la réalité, incapable de comprendre les limites de son autorité, ni de réaliser son incapacité à convaincre. Imposer semble désormais son seul moyen de gouverner, perturber son unique moyen de se faire remarquer. Sa place n’est-elle pas plutôt dans un musée, celui de l’arrogance et d’une culture de la gouvernance aussi inadaptée que dépassée ?
    (l'article par ici)

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  4. "Incapable de comprendre les limites de son autorité "
    Cela s'applique également à ses choix sur le drame que vit l'Ukraine et où il s'arroge le droit d'envisager des conditions de "paix" sans tenir compte du gouvernement élu des Ukrainiens.

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    1. Intellectuellement, Emmanuel Macron vit dans un ménage à trois entre Brigitte Trogneux et Alexis Kohler. Tous les autres sont subalternes.

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