Son Excellence l'ambassadeur de Chine populaire à Paris n'est pas un perdreau de l'année (clic). Son cursus est solide, que nous résumons ici pour le lecteur pressé.
Issu du milieu estudiantin francophile de Nankin célébrant les Droits de l'homme et du citoyen, il se rabat, faute de mieux, sur la CFAU de Pékin (China Foreign Affairs University) et intègre la section francophone destinée à l'Afrique. Comme tous, il fait ses premières armes dans la Francophonie, pour lui c'est en Guinée-Conakry où il entendra pis que pendre de la période coloniale, puis à Dakar où il croisera la Françafrique. Après un stage de remotivation au Comité central du PCC en charge des affaires étrangères, il rejoint Ottawa pour se heurter à l'imbroglio "Huawei" avant de prendre son poste à l'ambassade de Paris en 2019.
Dans l'almanach diplomatique chinois, Paris est la troisième destination par importance, dès lors que la France est le cinquième membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et que la Fédération de Russie est "traitée" directement depuis le ministère à Pékin. Ceci veut dire que le gouvernement chinois n'attribue pas ce poste à un yuppie décérébré mais à un haut-fonctionnaire chevronné bien dans la ligne diplomatique du parti. C'est ce qui donne toute son importance aux déclarations récentes évoquant le flou des frontières relevées après la dislocation de l'Union soviétique en 1991.
Et au plan personnel, M. Lu Shaye est trop intelligent pour s'être laissé emporter par les provocations débridées de Darius Rochebin.
Quels sont les pays niés ? Du nord au sud, les trois Etats baltes, la Biélorussie, l'Ukraine, la Crimée, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et tous les Stans. C'est exactement l'axe d'effort de la résurgence de l'empire russe activée par le Kremlin poutinique, qui, dit le géographe, n'a jamais eu de frontière.
Malgré le tollé soulevé en Europe, la mise au point du porte-parole du MAE chinois, tout en langue de bois, n'est pas accompagnée d'un rappel de l'ambassadeur en Chine pour consultations. Notre propre analyse fondée (...) nous suggère que les déclarations outrancières de M. Lu reflètent la pensée dominante dans les couloirs du MAE chinois, au motif premier et dernier de ne rien faire qui pourrait conduire à la dislocation de la Fédération de Russie. Si la sincérité des propos n'est pas une donnée importante en diplomatie, toutes les actions entreprises ou tolérées dans le dossier "Russie" sont jaugées à l'aune de cette exigence stratégique. Donc si le doute des frontières profite à la diplomatie Lavrov, celle de la plus mauvaise foi possible, il est permis d'en faire état, publiquement s'il le faut.
Doit-on rappeler cette obsession du temps long chez les Chinois ? La Fédération de Russie doit rester gérable de longues années encore afin de pouvoir négocier avec un seul interlocuteur une emphytéose chinoise sur l'extrême-orient russe, queue de trajectoire qui sera un jour imposée à Moscou par une sorte de grand remplacement en Sibérie orientale et sur les terres chinoises immémorielles capturées par le Tsar au XIXè siècle. C'est ça leur truc et la liste des motifs est précise.
Pour résumer et revenir à l'affaire d'Ukraine dans laquelle l'Elysée et le Quai d'Orsay veulent à tout prix s'impliquer, la Chine populaire - attentive aussi à son commerce extérieur - doit geler le conflit sur les lignes de front actuelles, laissant l'application des principes intouchables de la Charte des Nations-Unies à un modus vivendi de coexistence pacifique donnant du temps au temps, jusqu'à ce que la confrontation des "peuples frères" s'apaise. La Crimée pour sa part au conflit est dans un sous-dossier, mais il n'y a pas que la Chine populaire à l'avoir séparée de l'Ukraine continentale, les Etats-Unis et quelques pays d'Europe occidentale le diront en temps utile par une formulation à l'étude dans les chancelleries.
Petite note : M. Lu est souvent qualifié de "loup guerrier" par la presse, comme participant d'une nouvelle génération de diplomates chinois décomplexés et moins timorés que leurs prédécesseurs. Nous lui préférons celui de "loup-combattant" : 战狼 = loup de guerre ou loup employé pour combattre à la guerre (comme on avait des chiens de guerre chez les lansquenets de la Renaissance): donc loup-combattant est la traduction la plus proche du sens original.
Une attitude qui me plaît bien chez l'ambassadeur chinois est de ne pas en rabattre devant les questions poisseuses des petits marquis de la presse qui se prennent au premier degré pour le 4è pouvoir, alors qu'ils ne sont que les valets sur gages !
RépondreSupprimerMoi-aussi !
SupprimerQuand vous parlez d'une "liste de motifs" c'est quoi au juste ?
RépondreSupprimerMerci
Jean-Paul
Les motifs ont déjà été donnés sur Royal-Artillerie mais on peut les reprendre ci-dessous :
Supprimer- Légitimité : les terres russes en question ont été arrachées à l'empire dégénéré des Tsings par le traité (inégal) d'Aïgoun de 1858 et la Convention internationale de Pékin de 1860. La pression russe remonte en fait au XVIIè siècle. Tous les écoliers chinois connaissent la superficie des terres "volées".
- Terres arables : par l'artificialisation échevelée des sols en Chine populaire, le besoin de terres cultivables devient crucial au point même que l'Etat chinois en achète à l'étranger ; mais c'est souvent dans des pays lointains plus difficiles à contrôler qu'une région mitoyenne.
- Développement : Moscou s'est de tout temps avéré incapable de développer l'extrême-orient russe et la prise de terres sur la Chine comme sur le Japon qu'on laisse ensuite en jachère faute d'envie, ne laissent d'irriter ces deux pays. A l'arrivée d'Eltsine au pouvoir en 1991, le Japon avait proposé un deal de développement industriel de la Sibérie orientale auquel le gouvernement de Moscou n'a jamais répondu.
- Bascule stratégique : la Russie d'aujourd'hui et pire demain n'est plus l'hégémon que fut l'URSS. Elle est en plus vénale. S'ouvre donc la période de rectification des rapports du fort au faible qui se sont aujourd'hui inversés.
Lire aussi : https://major-prepa.com/geopolitique/fleuve-amour-entre-puissances-russe-chinoise/
Comme Al Capone est tombé pour fraude fiscale, Lu Shaye pourrait bien recevoir l'ordre de retour pour une affaire complètement déconnectée de la diplomatie : un chantier enfreignant toutes les règles du travail avenue de Breteuil à Paris;
RépondreSupprimerAux limites (parfois franchies) de l'esclavage, voici les conditions de travail des ouvriers chinois. On n'y croit pas :
https://actu.orange.fr/france/comment-un-chantier-en-plein-paris-a-cree-de-grosses-tensions-entre-la-france-et-la-chine-magic-CNT00000236o9A.html
Selon des sources généralement bien informées, Lu Shaye est rappelé à Pékin.
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