Demain, il y a 234 ans, s'ouvraient à Versailles les Etats Généraux qui allaient liquider l'Ancien régime. Au lieu de grands développements nous avons choisi d'évoquer les mœurs sociales des années qui les précédèrent en province dans une petite ville cévenole et l'exemple vient de Sumène*.
« Le chevalier Joseph Henry du Fesq, marquis de la ville territoire et dépendances de Sumène, seigneur de Saint Julien, Solanon, Férussac et autres places, était un fort bel homme ayant la cervelle un peu à l'envers ; mais jovial et lutineur de filles, aimant sonner de la trompe de chasse comme aussi de banqueter avec la jeunesse. On lui donna un conseil judiciaire** qui fut M. de Massanne.
« Ce seigneur bon vivant était bien le chef qu'il fallait à cette société du 18è siècle tant aimée des faiseurs d'opéras comiques : gentilshommes égrillards, abbés coquets, bourgeois grognons, intendants fripons, paysans madrés, et les femmes toutes mignonnes, toutes jolies, avec un esprit d'enfer et une vanité de démon, tout cela poudré, pailleté, lisant des vers et prétendant à la sensibilité de Jean-Jacques ou de Diderot.
« Les meubles avaient une grâce charmante, les habits un luxe ravissant et les femmes portaient ces étoffes de soie chiffonée feuille morte ou gorge de pigeon dont la nuance effacée faisant ressortir la blancheur de leurs dents et l'éclat quelquefois emprunté de leur teint. Certes Sumène était bien reculé, bien confiné. Ses dames sentaient fort la province et ses cavaliers n'auraient pas donné le ton à la Cour. Cependant, il s'y trouvait une société assez nombreuse, aimant fort le monde et reflétant en raccourci les manières et les opinions du siècle. Beaucoup ayant couru les garnisons et les villes rapportaient les mœurs et les usages de Paris et des provinces.
« Le marquis de Sumène avait gardé les allures du mousquetaire. MM de Ménard et de Boisserolle brillaient par la légèreté et la raillerie voltairienne. MM. de Massanne étaient aimables cavaliers. Le vieux M. de Labro portait chaque matin un bouquet aux dames avec cette galanterie un peu surannée qui sied si bien aux vieillards. On y trouvait l'abbé de Villaret et l'abbé de Ménard ; les graves parlementaires comme MM. de Boisserolle et de Ménard père n'y manquaient pas. Les marchands eux mêmes alors moins cloîtrés qu'aujourd'hui dans leurs chiffres et derrière leur comptoir, cultivaient l'épigramme et le madrigal, surtout ceux qui venaient de Lyon, Marseille et Bordeaux. On y avait une tessiture de philosophie. M. de Sumène recevait l'Encyclopédie et M. Durant l'aïné passait de bonnes heures dans son jardin en la compagnie de Jean-Jacques Rousseau, Raynal et des autres. On y faisait des vers à la mode de cette époque [...]. On y faisait quelque peu l'amour, on n'en doute pas.
« Cette jolie société avait bien quelques défauts ; elle était frivole, pointilleuse, jalouse, possessive, mais elle allait mourir souriante et parée, et notre démocratie aura bien de la peine à enfanter sa pareille pour la politesse et l'esprit. »
Faible d'esprit mais excellent cœur n'ayant jamais vexé personne, le marquis Joseph Henry du Fesq s'éteignit en février 1814. On l'ensevelit sans mausolée ni épitaphe au milieu de ses anciens sujets. Deux mois plus tard, à l'annonce de la proclamation de Louis XVIII comme roi de France, M. de Massanne en grande tenue précéda la foule enthousiaste des Suménols à l'église paroissiale pour entonner le Te Deum. L'auteur du livre précise qu'alors « les catholiques chantèrent beaucoup, crièrent beaucoup mais ne firent aucun mal ni dommage aux patriotes. Tous les partis maudissaient Bonaparte. » Puis vint la Terreur blanche, sans que le sang ne coulât à Sumène, mais c'est une autre histoire, histoire qui se continue encore dans cette ville jadis prospère devenue aujourd'hui un village nécessiteux.
« Le chevalier Joseph Henry du Fesq, marquis de la ville territoire et dépendances de Sumène, seigneur de Saint Julien, Solanon, Férussac et autres places, était un fort bel homme ayant la cervelle un peu à l'envers ; mais jovial et lutineur de filles, aimant sonner de la trompe de chasse comme aussi de banqueter avec la jeunesse. On lui donna un conseil judiciaire** qui fut M. de Massanne.
« Ce seigneur bon vivant était bien le chef qu'il fallait à cette société du 18è siècle tant aimée des faiseurs d'opéras comiques : gentilshommes égrillards, abbés coquets, bourgeois grognons, intendants fripons, paysans madrés, et les femmes toutes mignonnes, toutes jolies, avec un esprit d'enfer et une vanité de démon, tout cela poudré, pailleté, lisant des vers et prétendant à la sensibilité de Jean-Jacques ou de Diderot.
« Les meubles avaient une grâce charmante, les habits un luxe ravissant et les femmes portaient ces étoffes de soie chiffonée feuille morte ou gorge de pigeon dont la nuance effacée faisant ressortir la blancheur de leurs dents et l'éclat quelquefois emprunté de leur teint. Certes Sumène était bien reculé, bien confiné. Ses dames sentaient fort la province et ses cavaliers n'auraient pas donné le ton à la Cour. Cependant, il s'y trouvait une société assez nombreuse, aimant fort le monde et reflétant en raccourci les manières et les opinions du siècle. Beaucoup ayant couru les garnisons et les villes rapportaient les mœurs et les usages de Paris et des provinces.
« Le marquis de Sumène avait gardé les allures du mousquetaire. MM de Ménard et de Boisserolle brillaient par la légèreté et la raillerie voltairienne. MM. de Massanne étaient aimables cavaliers. Le vieux M. de Labro portait chaque matin un bouquet aux dames avec cette galanterie un peu surannée qui sied si bien aux vieillards. On y trouvait l'abbé de Villaret et l'abbé de Ménard ; les graves parlementaires comme MM. de Boisserolle et de Ménard père n'y manquaient pas. Les marchands eux mêmes alors moins cloîtrés qu'aujourd'hui dans leurs chiffres et derrière leur comptoir, cultivaient l'épigramme et le madrigal, surtout ceux qui venaient de Lyon, Marseille et Bordeaux. On y avait une tessiture de philosophie. M. de Sumène recevait l'Encyclopédie et M. Durant l'aïné passait de bonnes heures dans son jardin en la compagnie de Jean-Jacques Rousseau, Raynal et des autres. On y faisait des vers à la mode de cette époque [...]. On y faisait quelque peu l'amour, on n'en doute pas.
« Cette jolie société avait bien quelques défauts ; elle était frivole, pointilleuse, jalouse, possessive, mais elle allait mourir souriante et parée, et notre démocratie aura bien de la peine à enfanter sa pareille pour la politesse et l'esprit. »
L'auteur*** rejoint là le mot de Talleyrand-Périgord :"Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1780 n'a pas connu le plaisir de vivre" auquel j'ajouterais "pour peu qu'on ait du bien"
Note *: Dans l'arrondisseemnt du Vigan (Gard)
Note **: ou dit autrement, un curateur
Note *** : Histoire de Sumène écrite pas Isidore Boiffils de Massanne en 1864
Note **: ou dit autrement, un curateur
Note *** : Histoire de Sumène écrite pas Isidore Boiffils de Massanne en 1864
Faible d'esprit mais excellent cœur n'ayant jamais vexé personne, le marquis Joseph Henry du Fesq s'éteignit en février 1814. On l'ensevelit sans mausolée ni épitaphe au milieu de ses anciens sujets. Deux mois plus tard, à l'annonce de la proclamation de Louis XVIII comme roi de France, M. de Massanne en grande tenue précéda la foule enthousiaste des Suménols à l'église paroissiale pour entonner le Te Deum. L'auteur du livre précise qu'alors « les catholiques chantèrent beaucoup, crièrent beaucoup mais ne firent aucun mal ni dommage aux patriotes. Tous les partis maudissaient Bonaparte. » Puis vint la Terreur blanche, sans que le sang ne coulât à Sumène, mais c'est une autre histoire, histoire qui se continue encore dans cette ville jadis prospère devenue aujourd'hui un village nécessiteux.
Ce témoignage est à la fois très intéressant et amusant et si bien corroboré par les propos de Talleyrand-Périgord. Mais ne trouvez-vous pas que tout ceci peut rappeler aussi, quelque peu, la période des Trente Glorieuse et la "révolution invisible" de Fourastié ? Le progrès (le vrai, scientifique et technique pour éviter de parler de l'illusoire que l'on continue de nous vendre) était partout, tout paraissait désormais et pour longtemps possible, les carrières étaient ouvertes à tous les talents pour peu que l'on ait du courage et que l'on ne compte pas ses efforts, la corruption n'avait pas atteint les degrés d'aujourd'hui, etc. etc. Mais j'arrête là avant que vous ne m'accusiez de croire que "c'était mieux avant" !
RépondreSupprimerJYP
La société des trente glorieuses connaissaît les mêmes travers et différences que celle d'aujourd'hui mais l'espace social n'était pas communautarisé, à la seule exception des rues "chaudes".
SupprimerIl n'y avait pas de ghettos.
Parcourir le Grand Paris revient à faire l'inventaire des ethnies et "orientations". On est obligé de faire attention après huit heures du soir partout.
A contrario, les chances de s'en sortir par l'étude sont à mon avis intactes, c'est plutôt le courage des étudiants qui a diminué.Ils sont prisonniers d'une virtualité qui les trompe et attribue leur maigre score au milieu ambiant. D'autres voient la situation réelle de leur écosystème et saisissent les opportunités.