lundi 15 mai 2023

Et la révolution bordel !

Las des foutaises césariennes de la classe politique aux manettes qui gouverne par interdictions, j'ai relu le billet de Bertrand Renouvin déplorant la crise démocratique (ici) et j'ai écouté avec attention le dernier débat des Visiteurs du soir animé par Frédéric Taddeï sur la chaîne "fachiste" CNews (là). Vous pouvez tout aussi bien faire comme moi et vous dispenser du énième billet de Royal-Artillerie sur la démocratie en crise, en visionnant cette émission avec, entre autres, Olivier Dard et François Bousquet. Est passé aussi ce même samedi à la télé, l'excellentissime Richard de Sèze qu'on ne présente plus, pour son dernier bouquin En arrivant au paradis*. Sinon quoi ?
Note* : Ce livre est présenté par l'auteur sur Ligne Droite.

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La démocratie est en crise génétique en France et dans les pays latins parce qu'on n'y apprend pas à contenir ses émotions et à dominer son sujet au-dessus des contingences personnelles. En Europe, on voit que la carte des désordres civiques latents ou exposés est circonscrite à l'arc latin, prolongé jusqu'à la péninsule grecque. Il y a depuis quelques mois la même effervescence en Angleterre mais pour d'autres raisons qui tiennent d'abord à des mesures de coercition coûteuses pour les gens, décidées par une classe politique usée jusqu'à la corde, qui s'est mis la tête dans le sac du Brexit.
Ce régime, plaqué sur des peuples effervescents qui croient être les patrons de leur nation, est un paradigme complexe dont le réglage fin convoque des vertus spéciales qui ne sont pas données à tous. L'Europe du nord y atteint, parce que ses gouvernements écoutent la base - le défi de l'immigration y est emblématique et par exemple, le criblage des entrées au Danemark a ramené l'extême-droite à l'étiage (2%) en appliquant simplement les mesures réclamées par les gens. Sinon, comme disait l'abbé Sieyès, l'apathie du peuple est requise pour que ça fonctionne... mais pas garantie non plus, ajoutons-nous. A défaut, le citoyen doit être mis en confiance de ses dirigeants - un peu de charisme ne nuit pas - ou carrément dépolitisé : la politique, il y a des gens pour ça ! En Gaule aussi ?

La politisation du peuple date ici de la Révolution française quand les actes furent jugés "au nom de lui". On revint deux mille ans en arrière, au pavois gaulois des tribus ingouvernables. Mais la Révolution ne changea pas les chaînes de pouvoir, elle les maintint différemment, sauf que l'aristocratie laissa la préséance à la bourgeoisie. Ces deux groupes n'étaient pas tout inclus dans les deux ordres de la Noblesse et du Tiers comme on le croirait. Bien des administrateurs de talent du royaume venaient de la roture et des bourgeois d'affaires étaient devenus des nobles fiscaux. Le plus sioux fut pour eux de saisir le prétexte de la "liberté" pour se jeter sur le labeur en l'atomisant afin de le mettre à leur merci. Et il y a des cons insoumis qui, le poing levé, se réclament de cette prédation. Quand le peuple s'aperçut que les mouches avaient changé d'âne pour que tout redevienne comme avant, il se souleva, en 1830, en 1848, en 1870, en 1936, posa le fusil en 1940, expulsa les rationnaires de la IVè République en 1958, et ceux qui l'étaient devenus sous la Vème en 1968 ; il dit stop en 1981, en 2005 et se souleva à nouveau en 2018 (GJ), quel que soit le régime en place finalement. Le bouillonnement continue aujourd'hui, non tant contre une réforme mal faite des pensions par répartition de Ponzi que par un agacement général contre la morgue des pouvoirs publics captés par une élite déconnectée des réalités, sous la férule d'un satrape aussi fier que limité dans l'emploi.

Comme le disait la philosophe Barbara Stiegler chez Taddeï, quand Bruno Le Maire déclare connaître le "peuple" parce qu'il l'a rencontré (sic), il s'exclut du demos pour gravir l'Aventin du cratos qui nous surplombe. Le même avait prédit qu'il ne ferait pas un grand score à la primaire UMP car il était trop intelligent, trop décalé de la masse. Cette position d'instituteur d'un peuple incapable d'ordre et de vision est partagée par l'actuel chef de l'Etat, et déteint sur tous les ministres et cabinets qui rédigent en continu projets de loi, ordonnances et décrets. Outre l'abscondité des textes, les intérêts du peuple sont trop souvent écartés au profit, non pas du bien commun qui les prime, mais du bien de quelques-uns qu'il faut pérenniser. A la fin, le peuple submergé par une gouvernance imbitable leur dit merde. Aux deux-tiers, disent les instituts de sondage. A ce niveau de rejet, la machine démocratique se grippe, d'autant plus que le vase d'expansion de l'Assemblée nationale ne joue plus son rôle d'amortissement, à cause de la bordélisation systématique des débats, qui laisse croire que l'antiparlementarisme primaire a fait son lit dans l'hémicycle. Pas besoin de refaire le pont de la Concorde du 6-Février, les députés vont se détruire tout seuls. "Tous pourris" dit la rumeur ? Ils en rajoutent.

Quid de la suite ?
Soit M. Macron dissout l'Assemblée nationale le 15 juillet prochain, soit il ne le fait pas. En ce dernier cas, il entre dans la spirale de la révolution. C'est l'histoire de L'insurrection qui vient. Soit il dissout la chambre en recherche d'une majorité qu'il peut d'ailleurs obtenir par un réflexe d'ordre du corps électoral. Encore une "chambre introuvable". Soit il ne dégage pas de majorité claire et entre dans le tunnel des compromis au cas par cas avec qui veut bien de lui. Son narcissisme laisse augurer d'une démission en réponse à ce qu'il prendra pour un affront personnel. Ce qui ne résoudra rien si le cadre politique (=constitutionnel) reste le même. C'est pour ça qu'il faut retirer l'essentiel de l'Etat du carnage politique d'une démocratie en crise récurrente parce qu'il s'est inscrit dans la durée. Reste la question à mille dollars : par qui le remplacez-vous dans les capacités requises ? Vertige du vide.

3 commentaires:

  1. Je déjeunais hier chez de très proches qui, au fond, partagent votre pertinente analyse. A la question qui fâche "mais, bon sang de bois, pourquoi avez-vous réélu Macron en 2022 (car ils l'ont fait !) après ce que vous avez vu au cours des cinq années précédentes ?", c'est ce qu'il me fut répondu : "par qui le remplacez-vous dans les capacité requises ?" (Catoneo, sors de ce corps !).
    A ce train-là, nous ne sommes pas sortis de l'auberge... et il nous faudra attendre de toucher le fond (ça ne va pas tarder) et d'en passer par du dur, du vraiment dur.

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  2. Puis-je ajouter que les protagonistes de l'opération Barkhane devront décidément, eux aussi, boire le calice jusqu'à la lie (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/05/16/derriere-l-enlevement-du-journaliste-olivier-dubois-au-mali-les-man-uvres-et-les-rates-des-autorites-francaises_6173597_3212.html) ? JYP

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    1. Olivier Dubois s'est pensé plus fort que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ; à raison d'ailleurs puisque lui n'est pas mort. Risque inconsidéré, faiblement sanctionné.
      L'opération éclair de François Hollande était justifiée. La France devait libérer Tombouctou, ville mythique du Soudan français, chargée de souvenirs et mystères coloniaux. L'affaire bouclée, il fallait se regrouper sur les bases atlantiques et à Djibouti dans une posture menaçante, mais sortir du jeu malien, incompréhensible si l'on n'a pas servi dans les Compagnies Sahariennes.

      Evidemment, M. Macron n'eut de cesse ensuite de battre l'estrade pour améliorer la situation dont il héritait en l'européanisant au maximum, toujours à la poursuite de la chimère franco-française d'une défense européenne autonome.
      Il s'est complètement ensablé, entraînant nos partenaires et la Minusma dans son échec, car il ne connaît ni l'Afrique ni l'armée.

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