lundi 18 décembre 2023

La grande stratégie empêchée

On sait l'ambition du président chinois à monter sur un trône impérial virtuel par l'accomplissement du China Dream qui consiste à faire revenir partout la République populaire sur les marches de l'empire défunt. C'est dans cet esprit que sa pensée a été "constitutionnalisée" et fait partie des programmes scolaires et universitaires. Mais cela, les lecteurs de Canon Gaillon le savent depuis longtemps. Ce qui est moins connu est l'effritement actuel de l'économie chinoise adossée d'une part à la mondialisation jadis heureuse qui ne l'est plus et d'autre part, à une capitalisation sauvage de l'économie privée qui correspond tout à fait au goût chinois du lucre.

promotion de l'université des sciences de Pékin

C'est la masse des candidats à la fonction publique qui a fait tilt cette année. Les Chinois parlent de ruée vers "le bol de riz en fer" comme on nomme l'emploi sous statut public. Quelques chiffres pour comprendre : selon le Global Times du parti, il y a 77 postulants pour chaque emploi offert par l'administration. Chaque année, le troisième cycle déverse plus de dix millions de diplômés sur le marché du travail (11,6 millions en 2023) et le chômage des jeunes diplômés atteignait 21,3% en juin dernier avant que le service du Travail n'arrête la publication du chiffre. Plus de trois millions de diplômés sont allés cette année aux examens d'entrée dans la fonction publique, du jamais vu. Certes, l'emploi public paie mal et y progresser n'est possible que par obéissance à la ligne imposée par le Parti omniprésent, mais on s'arrête à 17h et le week-end est libre. Une couverture sociale correcte plus des primes pour les fêtes et divers petits passe-droits sont appréciés des parents d'étudiants qui les poussent à postuler. Sans ambition personnelle ou pour toute autre raison, c'est un refuge, mais auquel n'accèdent que quelques dizaines de milliers de candidats ! Que faire des autres ? Facile, puisque le président Xi y a passé sa jeunesse, on va "revitaliser" les campagnes et malgré le fumet de Révolution culturelle qui s'en dégage, vont renaître les chantiers de jeunesse chinois dans certaines provinces surchargées. Aussi la course au job, même un petit boulot, est devenue l'autre ruée afin de ne pas être appelé par la Nature.

Qu'y a-t-il de stratégique là-dedans ?

L'économie chinoise est en difficulté (le désinvestissement étranger dépasse les nouveaux investissements) et s'y ajoute une grave crise de la promotion immobilière qui a pompé l'épargne de millions de primo-accédants-sur-plan issus des classes populaires, lesquels forment d'immenses cohortes de mécontents qu'on mate par des gangs aux ordres de la police locale. L'instabilité relativement normale dans un pays en développement rapide mute doucement en insécurité, même pour les comptes bancaires des particuliers, et le marché du travail est précarisé. Le gouvernement central n'a pas encore de réponse adaptée hors des slogans convenus, sauf à incanter pour une croissance libératrice des énergies, et il laisse faire les gouvernements provinciaux qui bricolent chacun dans leur coin. Les dirigeants sont assez éduqués pour comprendre qu'ils se sont laissé asservir par la mondialisation des économies et que sa déstabilisation peut entraîner des retours de flamme catastrophiques sur la société chinoise elle-même. Mais acceptent-ils que parmi les faiblesses de l'économie, la pire soit de tourner sur un schéma complètement archaïque où règne "une collusion totale entre les objectifs politiques et le pilotage de la sphère économique et financière (source Les Echos)"? On en peut douter ! Tous les chiffres compilés par le gouvernement central dans les comptes régionaux sont faux, mais on est à peu près sûrs que la dette souveraine globale a dépassé le produit national brut¹ déclaré, sans compter celles des collectivités régionales et locales qui n'y sont pas incluses (9200 milliards de dollars selon le FMI - pour référence PIB France = 3000 Mds$). L'agence Moody's ne voit pas d'embellie, la croissance est atone, et donne une perspective négative à sa note A1. Il est maintenant visible que les usines sans commandes de l'étranger ont débarqué pas mal d'ouvriers désœuvrés qui font autant de mécontents après des carrières en 996 (de 9h à 21h, six jours sur sept) et nous sommes encore en temps de paix.
(1) Pib nominal 2022 de la RPC : 18000 milliards de dollars US (source Banque mondiale 2023).


Est-ce le moment pour allumer la mèche de Taïwan en profitant de l'élection présidentielle sur l'île rebelle comme certains instituts payés au drame le supputent ? Certainement pas, même si la fureur patriotique convenablement gérée pourrait occuper un temps les esprits continentaux ; mais l'effondrement des exportations de biens qui en découlerait jetterait à la rue ceux qui travaillent encore. Soutenir par ailleurs les délires grotesques de Vladimir Poutine dans sa "guerre" à l'Occident pourrait avoir le même effet dévastateur sur la société chinoise si la mondialisation se grippe. Avez-vous observé que depuis les proclamations à la vie à la mort des présidents respectifs, les entrepreneurs chinois ne sont pas venus nombreux en Russie et commencent même à surveiller les canaux de contournement des sanctions du G7. Insécurité domestique, instabilité dans l'étranger voisin, bruits de guerre s'approchant mettant en péril la confiance des marchés de consommation solvables, le taïpan de base se méfie et attend. Tous ces gens ont appris à l'école la formidable aventure de la révolution communiste. Ça pourrait donner des idées aux masses laborieuses et démocratiques laissées en plan. Le communisme même capitalistique n'est pas le régime adapté aux sauts de carre, et si la jeunesse arrivant aux affaires voit son inventivité châtrée par la caporalisation des comportements aux ordres du commissaire politique de service, c'est une économie de moutons qui s'annonce. Cette économie ne performera pas. La Chine ne rattrapera pas les Etats-Unis d'Amérique.

2 commentaires:

  1. Dans un article de ce matin sur Al Jazeera, Erin Hale depuis Taïpeh cite le FMI qui estime la dette des collectivités locales à 12,6Mds$ soit 76% du produit de l'économie.
    Le reste de l'article recoupe et détaille les informations de votre blogue préféré sur une économie, dirigée certes, mais mal. Il s'appuie sur des sources internes (règles publiées) et externes (Natixis, Brookings, Bain & C°...). On y voit que le Premier ministre a été dépossédé de la conduite de l'économie qui est remontée au niveau de la présidence. Or le Premier ministre avançait à dires d'expert sur tous les sujets, ce que ne fait plus la présidence, obsédée par la nouvelle orthodoxie de Xi Jinping. Beaucoup d'info, à lire sur le lien ci-dessous :
    https://www.aljazeera.com/economy/2023/12/22/after-bumpy-recovery-chinas-economy-faces-serious-headwinds-in-2024

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  2. Un court article de GEO sur le désenchantement de la jeunesse chinoise va dans le même sens que votre article :
    https://www.geo.fr/geopolitique/laisser-pourrir-deprimee-et-en-crise-la-jeunesse-chinoise-demissionne-en-masse-et-se-tourne-vers-la-spiritualite-218045
    René

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