mercredi 24 janvier 2024

Balfour, l'héritage maudit

#2234 - Ce billet est le premier post de la vingtième année du blogue. Il s'agit de retourner aujourd'hui en Terre sainte où les Français ont une légitimité ancienne depuis le royaume franc de Jérusalem que nous fûmes incapables de ressusciter sous une autre forme quand en 1920 nous reçumes mandat de la Société des Nations sur la Syrie. Henry Laurens du Collège de France explique dans un bouquin¹ que nous avions reçu l'héritage d'une influence ancienne pour la protection des chrétiens d'orient et posions ce faisant la République comme une puissance musulmane d'importance depuis la source civilisationnelle des Omeyyades jusqu'au rivage de l'océan atlantique. La première visite du général Gouraud à Damas fut pour Saladin devant la tombe duquel il proclama : « Réveille-toi, Saladin, nous sommes revenus ». Nous avons aujourd'hui perdu toute notion de ce que fut l'étendue et le prestige de notre empreinte géopolitique, et même si nous maintenons aujourd'hui un contingent au Sud-Liban dans le cadre onusien de la FINUL et certains relais au Liban dans le champ plus vaste de la Francophonie, nous existons peu en fait. Il faut remonter à juin 1940 pour comprendre comment ce prestige s'est éteint. Aucune allégeance contrainte ne pouvait tenir longtemps envers une nation battue aussi sévèrement que nous le fûmes alors, mais sur le moment personne ne l'a vu. Le dernier président français impliqué au Proche Orient fut Jacques Chirac - il avait la gueule de l'emploi et fut aussi le dernier dans ce registre - mais il ne put faire cesser la riposte d'Israël de 2006 au nord du Litani et fossoya l'avenir de la France qui s'avéra incapable d'ôter les tapes de bouche pour faire triompher son droit de protecteur. Nous passâmes à la trappe et nos "petits présidents" n'ont jamais pu faire l'écart, le dernier en date moins encore.

Note 1 : France, Syrie et Liban, 1918-1946 (Ifpo 2002)


Lord Balfour et le temps des colonies

Lord Balfour
Quand en 1917 le secrétaire anglais au affaires étrangères promeut un foyer juif en Palestine, il n'avait pas prévu la mèche lente qu'il allumait à la bombe du Proche Orient. Pourtant c'était bien la grande révolte arabe qui avait permis aux Britanniques d'enlever Aqaba, Gaza et Jérusalem aux Turcs. L'article de la Wikipedia est très bien fait (clic). Etait-il avisé d'implanter des colons juifs au cœur de la Palestine arabe ? On sait depuis l'avant-guerre que non, par les nombreux affrontements sanglants inter-communautaires que subirent les juifs. Dès qu'il fut légitimé en Etat par les Nations-Unies, et à juste raison, Israël pratiqua l'exclusive systématique tout au long d'un siècle de guerres ouvertes ou larvées.
Mais en 1917 l'époque était aux colonies qu'on prenait sur toute la surface du globe, qu'on échangeait, revendait, sans demander l'avis des résidents premiers car il y en avait toujours. Le reflux et le démembrement de l'empire ottoman allait requalifier les territoires à découvert comme terra nullius, à la disposition des vainqueurs du moment, prêts à toutes les déportations de population. Cet état d'esprit d'une arrogance inouïe mais typique d'une époque hégémonique au Foreign Office a aveuglé les chancelleries qui n'ont pas vu ce véritable complot des poudres en devenir.

La Terre sainte est le point de convergence des religions du Livre

Sauf que ce ne sont plus les clercs de l'une ou l'autre religion qui font la loi, mais des laïcs entravés par leurs propres intérêts, soutenus par l'instinct de puissance ou par une idéologie particulière de capture, captage et captation dans le droit fil de la conquête de Canaan². Définir les séquences d'occupation de ce territoire ne nous avancera pas beaucoup, mais prétendre comme le font les Juifs d'Israël que les Arabes sont des squatters sur les terres bibliques du Grand Israël, c'est sous-estimer l'écosystème des croisades (1095-1291) qui virent s'affronter les Arabes et les Francs ; des juifs il n'en fut nulle part question, sauf au souk. Des siècles plus tard, les trois religions y ont maintenu leurs marques, ce qui ne les privent pas de se combattre pour une pierre, un symbole, un trou d'eau, le plus fort aujourd'hui montrant une intolérance de tous les instants envers les deux autres par moult vexations gratuites. A croire qu'abonder au tonneau de la haine fait partie du Plan !
Une question qu'on est en droit de se poser : pourquoi l'Etat d'Israël constitutionnellement juif n'a pas relevé le Temple à Jérusalem ? Les juifs orthodoxes vous répondront que les conditions préalables ne sont pas réunies, tant pour l'accueil d'une majorité du peuple juif en Israël que pour l'exécution des rites précis gouvernant le service de la maison de Dieu.

Note 2 : relire à l'occasion l'Ancien testament


Vivre avec la haine

Les deux groupes antagonistes sont de taille démographique comparable. Tant le pogrome du 7 octobre que les massacres de Gaza qui le vengent achèvent leur séparation. L'absence de déploration des atrocités du Hamas par les grandes voix de l'islam d'un côté comme la négation de toute souveraineté arabe entre la mer et le fleuve exprimée du fond du cœur par le premier Nétanyahou, ont achevé le mur de la haine entre les deux communautés. Tous les acteurs étrangers sur zone, quelque camp qu'ils soutiennent, consolident ce mur dès qu'ils équilibrent la masse des horreurs réciproques.
il n'est plus pensable d'apprendre aux parties un mode de coexistence, doublé d'une collaboration technique sur les utilités ; et il devient dangereux de laisser la partie surarmée faire sa loi sur tout l'espace parce que le procédé va exacerber la résistance passive et active des opprimés. Alors quoi ?

Il faut forcer la paix. Les grands empires de jadis avaient cette fonction qui réunissaient des nations concurrentes sous une même couronne dans un projet de coexistence pacifique sur une longue période. Ce temps est révolu et le seul moyen d'y atteindre assez rapidement serait-il de cessez tout soutien aux parties ? Quand les pays du Golfe cesseront les virements aux institutions arabes de Palestine, quand les Américains cesseront la fourniture d'obus et l'endos de garanties financières sur emprunts auprès des institutions financières internationales à Israël, les adversaires seront bien obligés de dire "pouce" et d'établir entre eux le plus mauvais protocole viable à l'exclusion de tout autre ? mais c'est occulter que toute ruée arabe sur un Etat hébreu moins armé peut déclencher le syndrome de Massada³ et l'apocalypse nucléaire promise à la génération juive menacée d'éradication, comme en représailles à tous ses voisins.
Que celui de nos lecteurs qui trouvera l'esquisse d'une solution à ce problème jamais résolu - c'est comme un défi mathématique - veuille bien nous en faire part dans un courrier de contact. A défaut, il faut déjà brider le plus fort, juger les voleurs de terres et de sources, contenir les colons juifs qui terrorisent leurs voisins arabes, débarquer le chef des furieux dont l'apparition sur les écrans de la Rue arabe déclenche des AVC, et faire son droit à chaque communauté ; ça commence par ça ! Pour qu'au moins au prochain pogrom s'il échet, les belles âmes ne protestent pas dans le registre du "oui mais".
Dans la foulée, on sera bien inspiré de dissoudre l'autorité palestinienne qui vit sur la bête sans vergogne et de remettre l'administration du territoire contesté (gestion des espaces, réseaux et adductions, police des chemins et des marchés, police criminelle, tribunaux de première instance) à des services communautaires protégés et gérés par le seul Etat en capacité de gouverner, Israël. Ce n'est qu'une suggestion, mais cette vieille ganache de Nétanyahou aurait-elle raison à la fin ?

Note 3 : aujourd'hui c'est sur le plateau de Massada que les soldats de Tsahal font le serment de fidélité à l'idéal sioniste.


Entretemps, l'administration Biden devrait mollir sur le soutien à l'opération spéciale de Tsahal à Gaza car elle ne pourra pas longtemps fournir les consommables du massacre des Gazaouis à l'insu du Grand Israël d'un côté, et dénoncer l'impérialisme russe qui menace l'Europe orientale rebellée contre Moscou de l'autre.

A moins qu'il y ait un fait nouveau qui relance les dés - comme une bombe atomique chiite qui vitrifierait tout le Proche Orient - le monde euro-méditerranéen est condamné à supporter ce furoncle de Palestine et à s'accommoder des réactions erratiques qui vont s'y enchaîner. La fente dans l'armure israélienne est le procès en colonisation/apartheid que veut lui intenter le Sud global. Jusques à quand l'Occident restera-t-il prisonnier de la Déclaration Balfour ? Eternellement !

7 commentaires:

  1. "La fourmi n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut".
    Imaginer qu'après le 7 octobre Israël puisse restituer des espaces aux Palestiniens pour huiler la cohabitation est un exercice de style.
    Comme vous l'avez déjà dit, et plus que jamais, les deux belligérants veulent tout le territoire entre le fleuve et la mer.
    René

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    1. Franchement, René, je ne vois pas par où il faudrait commencer, et suis bien aise qu'on ne me demande rien.

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    2. D'autant qu'il faut bien l'avouer, tout et en tout cas beaucoup, a déjà été si bien résumé en quelques mots par De Gaulle, en 1967 après la guerre des six jours : "Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est à dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient depuis 19 siècles : l'an prochain à Jérusalem." JYP

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    3. Les juifs d'Israël que je connais n'envisagent pas une minute d'être jetés à la mer après deux mille ans d'errance. Par ailleurs, j'ai la perception que le projet d'Eretz Israël est en passe de faire l'unanimité chez eux, ou alors les autres se taisent.
      Pas d'alignement des planètes pour un processus de paix sérieux.
      Il n'est pas difficile de croire que la symétrie du raidissement gouverne également les Palestiniens, même si je n'ai pas de contact personnel avec eux.

      La solution-mantra des deux Etats c'est du bruit pour occuper les chancelleries. L'hypothèse d'un Etat unique multiconfessionnel avec chambres à part n'est pas la plus idiote.

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    4. je voulais juste rajouter un additif lié à ma culture protestante ayant été élevé (et y étant resté fidèle) au protestantisme dit "fondamentaliste." Les catholiques sont intimement liés à la pensée de Saint Augustin qui considérait que les Juifs ayant crucifié Jésus, ils avaient rompu l'alliance que Dieu avait passée avec eux. Rien de tel chez les protestants. Lord Balfour était un "chrétien sioniste". C'est à dire issu d'un courant dispensationaliste qui considérait que dans le cadre eschatologique Israël gardait une place privilégiée dans le plan de Dieu. John Nelson Darby, filleul de l'amiral éponyme fut le premier de la lignée: Cyrus Scofield, un américain célèbre commentateur d'une traduction de la Bible, pour s'inscrire dans cette "lignée" fut un véritable théoricien de cette théologie. Lord Balfour y adhéra pleinement. Aujourd'hui nombreux sont les évangéliques américains (et Anglo saxons) qui y adhèrent intégralement. Plus que les Juifs américains , ils sont les véritables "vecteurs" de la diplomatie US vis à vis d'Israël. C'est par eux que D. Trump reconnut le statut de Jérusalem comme capitale d'Israël. Et malgré le wokisme et le libéralisme qui semblent prospérer aux USA, ils tiennent la barre et se considèrent comme les héritiers de Cyrus (le Perse) qui réimplanta les Juifs en Israël après l'exil babylonien et permit la reconstruction du temple de Salomon. Si j'étais palestinien, j 'émigrerais et vite: aux dernières nouvelles, il n'y a qu'une seule hyper puissance dans ce monde! Et le Département d'Etat a plus de mémoire que le Quai d'Orsay

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    5. On apprend à tout âge, merci Camisard.
      Le tunnel des deux états est bouché et les Etats arabes voisins n'exagèrent pas leur hostilité envers l'Etat hébreu. C'est autre chose pour ce qui concerne les peuples très remontés contre l'occupant. Il se pourrait donc que quelque chose se passe, qui prendra de court toutes les chancelleries.

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  2. Merci à Camisard pour son éclairage. Mais il n'y a pas que les Palestiniens qui ont du souci à se faire et, comme vous le rappelez, l'amnésie chronique de nos pays européens en sera la clé.

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