lundi 26 février 2024

Le roi du passe-temps

carte à jouer du roi de pique
#2242 - Un ami d'enfance qui partit bac en poche sur les chemins du monde - nul ne savait où - est revenu pour sa retraite et m'a retrouvé. Malaisie, Birmanie, Indonésie, difficile de faire plus humide ! Après avoir giberné deux heures sur nos parcours respectifs, je lui posais la question de ce qui l'avait le plus surpris dans la France actuelle. Il me répondit sans réfléchir que c'était de voir toutes les églises fermées à clef sauf dans les grandes villes. Il avait déjà compris que c'était pour réduire leur cambriolage par des chiffonniers du voyage, balkaniques souvent. Puis il voulut savoir de quoi étaient faites mes journées ; et je lui fis part de mon addiction au royalisme qui m'occupait l'esprit entre deux tournées au jardin ou en campagne. Nous devisâmes donc sur cette excentricité méconnue du monde malais. Quand il eut reçu toute l'information qu'il attendait sur le royalisme et ses espérances dans une République stabilisée sur des fondations sûres, il me dit tout à trac :
- finalement c'est un passe-temps !
J'allais lui répondre par la négative quand je me tus subitement devant cette révélation.
Faut-il continuer ? Etait-ce ça ?

J'avoue m'être souvent posé la question de l'avenir du royalisme en France, à comparer son empreinte dans les années 50 et celle des années 20 aujourd'hui. Que le lecteur se rassure, je ne vais pas le barber avec la marmite dans laquelle je suis tombé petit ; mais pour faire court, nous avons plutôt rapetissé. S'il fallait extraire une seule cause de cette stagnation, laquelle choisiriez-vous ?
Pour moi c'est une enfilade d'erreurs de positionnement malgré la haute valeur de la "doctrine". On ne peut être longtemps irréprochable intellectuellement tout en se fourvoyant dans des tunnels sans fond qui nous décrédibilisent aux yeux de nos concitoyens. Et ça a commencé en 1940. Plusieurs alternatives se sont présentées ensuite à nos chefs qui ont chaque fois choisi celle qui n'avait pas d'avenir. La dernière est d'hier. L'Action française communique officiellement sur un choix que nous devrions faire entre la France ou l'UE pour régler les crises que nous traversons. Texto c'est par ici et le brûlot se termine ainsi : « Mais quand le pouvoir politique refuse de passer à l’acte, c’est bien souvent le peuple qui s’en charge… S’il veut éviter d’en arriver là, il doit d’abord rompre avec les règles européennes et le modèle mondialiste, quoi qu’il en coûte, et probablement en coûtera-t-il moins cher si le pays réel reprend le contrôle. Avec le scrutin qui vient, il faudra choisir : L’UE ou la France… ».

Ce n'est ni plus ni moins qu'un Frexit ! Or nous savons (mais pas tous) qu'il est impossible, et nous avons osé le démontrer ici. Extrait du 30/11/2020 :

- [La France] n'a pas de monnaie alternative à l'euro (même Marine Le Pen s'en est rendu compte, c'est dire).
- Sa géographie la place au cœur des flux logistiques européens qui ne peuvent l'éviter qu'en traversant les montueuses républiques alpines. Elle bloque la péninsule ibérique jusqu'au Maroc (prochain candidat au Marché commun).
- La place financière de Paris, si elle monte en technicité, ne sera jamais une place de premier plan, enchâssée qu'elle est dans une République socialiste, ennemie du succès et des profits (la Bentley du Garde des Sceaux élevé par une veuve femme de ménage fait jaser les jaloux).
- Son domaine ultramarin ne lui est d'aucun secours puisqu'elle le porte à bout de bras et que les ZEE immenses n'ont de valeur qu'exploitées. Nous ne les exploitons pas faute d'investisseurs, à peine si nous avons les moyens de les défendre dans le domaine de la pêche industrielle. Et pour la citer, la Francophonie reste cantonnée à la culture et aux valeurs humanistes ; elle n'est pas transformable en zone de libre-échange ayant du sens.
Tout comme chez les Anglais, la libération des chaînes européennes achoppe devant l'imbrication économique bien plus nouée chez nous puisque nous sommes un pays-fondateur de la CEE au centre du jeu. Le marché des produits français est d'abord le marché européen, bien avant la grande exportation pour des produits de niche comme le luxe, la nourriture chère, l'armement. Si l'aéronautique est une coopération industrielle franco-allemande hors-sujet mais souvent citée, défaire les mille liens européens en France relève des travaux d'Hercule et nous n'avons aucun Hercule au bataillon. Personne en France, à notre connaissance, ne s'est sérieusement attelé à l'étude des travaux nécessités par le Frexit en chassant le diable dans tous ses détails, à part Michel Barnier. N'ayant aucunement la prétention de lire dans les feuilles de thé, nous attendrons donc le 2 janvier 2021 pour amender le constat d'impossibilité à la lumière de la séparation effective du Royaume-Uni de l'Union européenne.
On sait depuis lors ce qu'il est advenu du Brexit ; mais cela ne touche en rien la doxa souverainiste de "la France seule" ! Un concept qui a pris l'eau quand les Sammies ont débarqué à Saint-Nazaire en 1917 !

Ce que nous ne savons pas faire, parce que nous sommes le pays gaulois du "tout ou rien", c'est l'optimisation fine de nos dépendances. Mais pour ce faire, il faudrait des politiciens d'épaisseur, de la trempe d'un Giulio Andreotti ou Mark Rutte par exemple, et pas un Foutriquet du "quoi qu'il en coûte". Tiens, l'AF réutilise l'expression pour souligner l'urgence du divorce. Encore un tunnel !

Alors quoi ?
Notre pays a besoin de retrouver l'autorité naturelle qui était la sienne sur le continent européen afin d'optimiser ses coopérations contraintes et retrouver l'autorité morale qui va avec. Il ne suffit pas de le dire. Il y a une condition sine qua non qui gouverne les autres, c'est de réparer d'abord l'Etat et de réformer nos régimes sociaux. Nous savons ce qu'il faut y faire, nous savons aussi que l'impopularité des mesures nécessaires est grande et que les ennemis de l'intérieur mettront tout en œuvre pour combattre dans un troisième tour social ce qu'ils appellent l'austérité quand il ne s'agit que de bonne gestion du pays. Car, comme le disait Mark Rutte à Emmanuel Macron en 2017, quand celui-ci, tout feu tout flamme, arrivait à Bruxelles pour réformer l'Europe : "commencez par réformer votre propre pays avant de nous lancer dans une réforme de l'Europe". Et c'est toujours vrai.

On ne va pas énumérer nos trois déficits, indignes d'un pays doté comme la France, ni la dette monstrueuse qu'a provoqué le clientélisme démocratique latin. Nous ne sommes plus aux yeux d'autrui le pays qui dit la loi, qui se projette dans l'avenir, appuyé sur une culture universellement reconnue. La France de Sarkozy, Hollande et Macron ne fait plus envie autant que jadis (sauf pour la CAF) et certainement plus peur à personne. Elle est devenue le paon de la cour tout en arrogance. C'est cela qui doit changer tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Nous n'avons pas à décréter notre assistance humanitaire au Maroc sans son avis, ni à faire la leçon à Macky Sall sur l'organisation de sa succession ni à régler la gouvernance du Liban corrompu jusqu'à l'os.
Réparer notre Etat invasif, il y faudra deux générations et des sacrifices, du moins un ajustement de la redistribution dans les limites du soutenable. Nous n'en prenons pas le chemin puisque les programmes électoraux en cours d'élaboration pour la présidentielle de 2027 sont des plans de dépenses, d'amélioration du niveau de vie. Alors, un Frexit qui ruinerait notre agriculture et ce qu'il nous reste d'industrie ? laissez-moi rire.
En tant que monarchistes, nous serions plus crédibles à enfourcher le cheval de la rigueur et du régalien.

4 commentaires:

  1. Cher ami, vous avez mis le doigt sur... la quadrature du cercle. Nous sommes allés (entendez que nos élites nous ont conduits) trop loin dans le déclin et sommes devenus trop dépendants des illusions, des faiblesses, des mensonges et de l'incurie des uns et des autres pour échapper à présent à leurs conséquences. Nous sommes quelques uns (mais pas tous comme vous le rappelez justement) à connaître parfaitement les causes de ce malheur mais ne voyons nulle part l'ombre d'un soupçon de début de courage et de résolution. Malheureusement, je reste persuadé que nous ne le trouverons pas non plus en restant pieds et poings liés à cette association de malfaiteurs que l'on nomme l'Union européenne !
    Alors... c'est probablement foutu car trop tard. Il aurait fallu agir avec détermination il y a déjà quelques décennies (De Gaulle l'avait pressenti et quelques uns avec lui). Avec l'UE c'est l'esclavage consenti et sans l'UE c'est la mort assurée. Dans les deux cas notre civilisation est tout près de son terme. Et ce n'est pas le "sang nouveau" qui nous arrive par les routes méditerranéennes qui annoncera la moindre renaissance. Quant aux royalistes ils continueront à "embrasser les marches du Temple sans voir qu'il est en ruine" quand d'autres se perdront dans des prophéties sans lendemain.
    Tout cela n'est pas bien gai. Alors, pour qu'on puisse s'amuser un peu, présentez-vous aux élections européennes ! Vous aurez ma voix + une bouteille de muscat de Frontignan, ce n'est pas si mal. JYP

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    1. Il ne faut pas plaisanter avec le muscat de Frontignan. Ma mère le plaçait au-dessus des saintes huiles.
      Des fois, je joue au savant en soutenant que nous revivons le Bas-Empire en phase finale ; d'autres fois, j'essaie d'y voir plus clair par les yeux de mes descendants qui, eux, ne se trompent pas quand ils craignent leur arriver dessus l'extinction de l'espèce humaine dans le four promis par le déréglement climatique.
      Il ne nous reste plus qu'à apprendre des oeuvres de science-fiction comment les hommes menacés parvinrent à survivre. Avouons que c'est proprement désespérant.
      Quand aux chapelles royalistes, elles exploitent un commerce qui ne les fait plus vivre, par habitude, ne sachant quoi faire d'autre que ce qu'elles connaissent, comme le sabotier de Moyrazès qui pousse la gouge jusqu'à quatre-vingt ans et empile les paires que personne n'achète, parce que ses journées s'écoulent depuis toujours dans ce format de besogne. Il ne sait pas même réfléchir. Les autres non plus.

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  2. Cet ami a probablement raison, c'est un passe temps. Et alors? Il faut bien s'occuper!

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    1. Et Caton d'ajouter parlant de la vieillesse : Si vero habet aliquod tamquam pabulum studi atque doctrinae nihil est otiosa senectute iucundius.

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