jeudi 14 décembre 2006

Charpente féodale (1)

Ou fragments d'histoire d'un territoire cévenol de la hutte celte au marquisat poudré. En trois parties.

Partie I : le territoire envahi

baronnie d'Hierle en Cévennes
Quand on veut envahir les Cévennes en venant de la voie domitienne qui forme un arc le long du Golfe du Lion, le plus simple est de remonter le long des fleuves côtiers ou les affluents du Rhône. Il n'y en a pas tant que cela : de l'orient à l'occident, le gardon d'Alès et Anduze, le Vidourle et l'Hérault. Dès que l'on monte vers le nord, on passe de la plaine cultivée à la garrigue basse, puis à la garrigue haute et l'on atteint un piémont torturé et défendu par un relief agressif, fendu par ces rivières. Ainsi l'Hérault qui nous intéresse ici surgit au confluent de trois défilés en patte d'oie, qui forment la porte naturelle d'un territoire homogène et chaotique à la fois. C'est le pays d'Hierle.
Jusqu'en 1730 un seul passage fut praticable entre deux murailles rocheuses, en remontant la rivière de l'Est, souvent à sec par un affaissement souterrain de son lit ; les deux autres forment des gorges dangereuses où les eaux montent subitement au premier orage et noient les sentiers de rives.
Si le pourtour de ce pays difficile d 'accès est protégé par de hautes montagnes, le parcourir dans tous ses recoins une fois entré, est paradoxalement facile, des cols assez bas et nombreux permettant de passer d'une vallée à l'autre. C'est un pays de châtaigniers depuis toujours, ce qui permet de penser que les Celtes y installèrent des villages importants à chaque confluent de torrents. On relève qu'ils inventèrent la barrique à vin au bénéfice des Romains, et Hierle depuis des temps immémoriaux fut un pays de tonnellerie alors qu'on y produisait très peu de vin ; ce qui prouve que le châtaignier fut exploité là très tôt. Ce point n'est pas anodin.
Les historiens disent que les Cévennes furent peuplées bien avant la plaine de Bas-Languedoc à cause de la ressource inépuisable du châtaignier, et pour le confort dû à l'absence de moustiques et de miasmes des marais saumâtres. L'arrière-pays par rapport à la mer était vraisemblablement plus riche que la plaine d'ajoncs brûlée de soleil.

La pax romana
Les Romains qui conquirent la plaine et fondèrent la Narbonnaise un siècle avant JC, ne pouvaient ignorer les territoires plus peuplés de l'intérieur, au moins pour les taxer. Hommes de la ville, ils n'investiront le territoire pas plus avant que pour la collecte du Fisc, mais habiles administrateurs, ils perceront une voie de part en part pour le patrouiller aisément jusqu'au Rouergue et Gévaudan plus riches. Colonialistes avisés, ils bâtiront un oppidum à l'entrée de la souricière : Ganges ! Qui restera très longtemps une entité étrangère au pays d'Hierle. De nos jours, Ganges appartient à un département différent et même ses habitants ont des particularismes assez différents de ceux du Vigan ou de Sumène.
Pays enclavé, il y eut donc peu de mélanges en Hierle, sauf aux meilleurs de partir vers les emplois rémunérateurs de la Province où les Romains avaient fait pousser des villes admirables, de Narbonne à Nîmes et Arles.
L'influence nouvelle est néanmoins traçable en pays d'Hierle par le repli des cultes druidiques aux sources des torrents, laissant l'espace libre pour des édicules ci et là abritant le génie du lieu. On les consacrera plus tard à la Vierge Marie ! Finalement il restera de cette domination civilisatrice, le cadastre fiscal, le droit romain ou raison écrite, remarquable de logique et de hardiesse, et in fine la propagation discrète d'une foi nouvelle à partir du deuxième siècle de notre ère, qui au fil des siècles deviendrait un puissant ferment de discorde.

En attendant, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes modernes quand le barrage qui contenait les Barbares, céda. 399 ! Déferlent sur la Narbonnaise les Vandales et autres hordes hurlantes qui pillent et cassent tout ce qu'ils ne comprennent pas, et laissent derrière eux, en route pour l'Espagne torride, une terre brûlée. Quinze ans plus tard déboulent les Goths. 416 ! Ce n'est plus la horde de guerriers, c'est tout un peuple en armes, avec femmes, enfants et vieillards, plus doux de moeurs et déjà dégrossi, qui préférait la nature aux ruines glorieuses des cités romaines qu'ils ne relèveront d'ailleurs qu'assez tard. Pour paraphraser Charles Maurras, le Goth " veut vivre, s'emparer, s'assurer d'une multitude de biens; il est tout yeux, tout âme pour les astres, la mer, les prairies, les jardins, les vignes et les blés, un peu ivre de tout ce que lui manifestent la terre et le ciel (La musique intérieure)".

Les Wisigoths, les Francs
Les Goths qui avaient une perception de l'administration romaine pour avoir longtemps séjourné aux limes de l'empire d'Orient, se répartirent le cadastre avec une incroyable minutie et fondèrent un empire depuis le Piémont transalpin jusqu'en Catalogne et Aragon et plus bas encore. Le royaume d'occident fut dit wisigoth car attribué aux sages, aux avisés. Les nouveaux venus appliquèrent leur droit féodal que tient debout une pyramide d'hommages, et diffusèrent un droit canon de l'Eglise arienne, car c'était aussi des chrétiens. Le royaume fonda une unité de moeurs dont il ne reste aujourd'hui que cette langue dite occitane, parlée de Gênes à Barcelone.
Le pays d'Hierle où les Goths laissèrent beaucoup de terres aux anciens propriétaires - c'est l'origine des alleux -, coula des jours paisibles sous l'aimable joug wisigothique, dont la vie quotidienne était codifiée dans le Bréviaire d'Alaric. Ceci jusqu'à l'attaque des Francs du roi Théodobert qui déboula du Gévaudan en 526. L'Eglise qui poussait derrière pour écraser la concurrence du schisme arien, fonda le diocèse d'Hierle, et c'est à partir de cet évêché franc que le pays devint une entité politique distincte de l'ancienne Narbonaise. Ce fut aussi la première guerre de religion en ces contrées qui allait en subir d'autres.

Cent ans plus tard, le diocèse qui s'avérait contrôler au meilleur endroit la route Provence-Rouergue, fut complété d'une administration militaire et civile pour devenir une baronnie, la baronia arisdii. Mais sa configuration accidentée, sans doute aussi le caractère têtu du peuple de ses côteaux, et plus sûrement la grande distance de l'autorité morale religieuse qui résidait à ... Metz, laisse penser que le baron d'Hierle rechercha la suzeraineté des Wisigoths qui s'étaient maintenus au bord de la mer, à portée de voix.
La stabilité ne dura que cent ans.

Les Sarrasins
Ceux qui allaient venir laisseraient les Vandales au rayon des comiques à moins que ce ne soit les descendants des mêmes qui avaient pu échapper aux sables maurétaniens. 720 ! les Maures remontant l'Espagne en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, passent les Pyrénées et ravagent la Septimanie wisigothique. La baronnie d'Hierle n'est pas épargnée, même après que Charles Martel descendant de Poitiers, ait récupéré Nîmes en incendiant ses arènes en 752. S'ils ne s'installèrent dans le pays cévenol pas plus longtemps que pour monter des camps de pillards - on en connaît les emplacements par la toponymie - le saccage fut total. Le reflux maure ne fut terminé qu'en 790.
Le pays d'Hierle ruiné n'avait plus assez d'habitants pour justifier un diocèse et la baronnie fut rattachée à Nîmes, comme à la fin de la période romaine.

Charlemagne
L'administration carolingienne stabilisera tout le royaume et son régime féodal. En 892, le comte de Toulouse Raymond II joignit à ses domaines le comté de Nîmes duquel découlait tout le reste. Après cinq siècles de troubles, la société apaisée, délivrée des invasions, se recueillit dans l'indépendance individuelle en réaction contre le collectivisme gallo-romain ou l'oppression sarrasine, et la terre fut divisée en presque autant de parcelles qu'il y avait de feux, toutes administrées par un codex de droits et devoirs réglant la condition de chaque propriétaire et ses contributions à l'Etat. Ce régime féodal que l'on détecte avec précision dans les archives dès l'an 900, subsistera jusqu'en 1789. La baronnie ne redevint ni gauloise, ni romaine, ni même mérovingienne, mais wisigothe !

(à suivre)

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