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Indépendance par la mer

Ce billet est le troisième et dernier d'une réflexion sur l'indépendance de notre Nation.
[1/3] 26.04.08 - De l'indépendance ou comment gérer nos interdépendances économiques à notre avantage.
[2/3] 29.04.08 - Indépendance et guerre directe ou la force de dissuasion nucléaire, arme suprême de souveraineté.
[3/3] Venons-en aujourd’hui aux menaces militaires indirectes sur notre souveraineté. Avons-nous encore un espace d'indépendance ?

Ayant bloqué la guerre directe par sa propre force de dissuasion nucléaire, la France fut soumise très tôt au harcèlement des guerres indirectes qui ne la provoquaient pas dans ses oeuvres vives mais essayait de l'entamer outremer. S'y attelèrent nos adversaires du camp soviétique sur notre zone d’influence africaine, et quelques amis aussi, comme l'Australie qui parvint à déstabiliser la Nouvelle Calédonie aussitôt que les Nouvelles Hébrides prirent le nom de Vanuatu !

le C-130
Afrique
C'est sur l'Afrique que nous subîmes le plus la stratégie indirecte, et nous y résistèrent fort bien jusqu'à passer pour les "French Cubanos" après avoir promu les "French Doctors". Ne sommes-nous pas d'ailleurs la seule puissance occidentale impliquée à demeure sur le continent noir ? Nul n'a su nous en chasser. Sauf à vouloir nous-mêmes décrocher, comme les rumeurs le disent, nous y sommes pour longtemps, du moins jusqu'à ce que nos amis africains accèdent à leur majorité.

L'environnement dans lequel s'exerce notre indépendance (cf. billet [1/3] : UE, Euro, Occident, Chrétienté) s'accroît donc d'un paramètre où nous sommes encore autonomes : l'Afrique noire. Bien des contempteurs de notre présence ont essayé de faire mieux. Aucun n'y est parvenu durablement, pour la simple raison que le retour espéré sur investissement est grignoté par les accommodements subalternes avec les principes de saine gouvernance et que la maile de la toile est trop large pour rapporter beaucoup. Les gesticulations pseudo humanitaires des Etats-Unis au nord du Sahel et sur le Golfe de Guinée ne sont pas concluantes, même avec la complicité active du président Wade et du roi du Maroc, qui se partageraient bien le fer de Mauritanie. Seuls les Chinois communistes dénués de toute morale ont lancé une entreprise de pourrissement des moeurs politiques à contre-courant des efforts de la TICAD, n'ayant pas encore compris - mais ça viendra - qu'ils proféraient ce faisant leur mépris par l'insulte aux droits élémentaires ; le boomerang est lancé.

La difficulté pour les autres de se maintenir en Afrique nous apporte une réelle indépendance vis-à-vis de nos alter ego du Conseil de sécurité de l’ONU. Le dernier avatar de la stratégie indirecte visant à nous diminuer fut le NEPAD, glorieusement enterré faute d'entrepreneurs africains d'envergure et volontaires, une catégorie professionnelle inexistante à l'état natif ; nous, nous le savions !

L'Afrique borde aussi les couloirs d'énergie empruntés par les importations du camp occidental. Quand on termine un cours de stratégie on aboutit toujours à la même exigence : sécuriser les couloirs d'énergie, parce que nos pays modernes pulsent à l'essence comme la vie marche au sang.
Finalement nous nous retrouvons avec deux zones d'intérêts, vitaux, les couloirs d'énergie, et non vitaux, nos zones économiques exclusives.

Couloirs d'énergie
Le couloir principal vient du Golfe persique, traverse le détroit d'Ormuz, puis le Bab el Mandeb, porte étroite de la Mer rouge, et le canal de Suez. Deux autres portes nous intéressent, les Dardanelles et le détroit de Gibraltar. Le couloir secondaire fait le tour de l'Afrique par le canal de Mozambique et aboutit sur notre façade atlantique.

Frégate classe lafayetteSous un angle militaire, les occasions d’offensive d'envergure ne se trouvent actuellement que dans ces couloirs d'énergie bordés de pays puissants, sinon en passe de le devenir. Or pour la raison simple que l'énergie est une chasse gardée des pétroliers anglo-saxons, nous entrons là sur des théâtres d'opérations alliés où nous participons sans décider de la stratégie. Ces couloirs sont balisés par le camp occidental et pourvus de bases et de gros moyens d'attaque.
A quoi sert dès lors dans notre quête de l’indépendance un système offensif puissant mobile comme une escadre, s'il est subordonné à un état-major allié ou étranger ? A figurer honorablement dans la salle de débriefing ! A renforcer l'Alliance ? Même pas ! Notre système d'armes offensif actuel représenté par le groupement du Charles-De-Gaulle s'il est de qualité, reste très sous-dimensionné rapporté aux groupements américains de même type. Le porte-avions français ne fait pas la moitié de son concurrent américain standard (40.000T et 40 aéronefs, contre 80-100.000T et 80 aéronefs). Nous n'engageons notre plus forte puissance que dans des opérations alliées. Nous allons revenir sur ce point plus bas.

Z.E.E.
Frégate de souverainetéD'autres intérêts que l'Histoire nous a légués sur Terre sont à préserver pour des questions d’affect et d'influence globale française. Ils sont la justification de notre universalité et plongent leurs racines parfois très haut dans le temps. Ce sont les départements et les territoires d'outremer qui marquent notre présence en Atlantique Nord-ouest, aux Antilles, en Amérique du Sud, dans l'Océan indien occidental, dans l’Océan antarctique et par tout le Pacifique. Nous sommes une grande puissance maritime en termes d'espace : onze millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive ! La métropole ne fait qu'un demi million de km². C'est assez énorme.

Nos zones d'influence traditionnelles sont menacées de stratégie indirecte régulière mais aussi de guerre asymétrique. Sauf sur les couloirs d'énergie, nous n'avons pas intérêt à appeler nos "alliés en stratégie directe" à collaborer sur la ZEE. Ce serait un abandon de souveraineté irrattrapable. Défendons nos zones de pêches, poliçons nos côtes, barrons la route aux pirates, maintenons l’ordre chez nous, éradiquons les menaces terroristes, etc. avec les moyens du type actuel dont il conviendrait de renforcer les dotations pour vraiment dissuader les malfaisants. Frégates de souveraineté et de surveillance, avisos, patrouilleurs, démineurs.

Les moyens déployés
On comprend que la question des moyens nécessaires pour répondre à ces défis est cruciale, surtout en ce moment où l'Etat est impécunieux ! Notre puissance doit être navale d'abord et dispersée. Même si la Marine n'est pas tout à fait dans les gènes gaulois, même si l'angle continental Nord-est de la métropole reste ouvert et à terme dangereux, c'est par elle que nous existons dans le monde. Cela revient cher mais la Marine doit passer avant le gavage des jeunes vieux du papy boom, à peine de couvrir la France d'hospices, mentalement ! Gouverner c'est choisir ; là sont toutes mes craintes.

« Montrer la force pour n'avoir pas à s'en servir (Lyautey) » pourrait être la devise d'une stratégie indirecte rénovée, tant la riposte est difficile, l'ennemi volatile polymorphe et dispersé. Encore faut-il que la force soit adaptée aux menaces, et qu'elle soit épaulée d'une résolution indéfectible de frapper si nécessaire. Les trois derniers présidents de la République nous permettent de mettre en doute cette "résolution". Auriez-vous la plus belle escadre, armée des meilleurs marins, que si vous rechignez à l'engager - de peur de la perdre, ou par peur des "complications" internationales - elle ne vous rend pas le service offert par les sacrifices budgétaires consentis par la Nation. Notre dernière dépression nerveuse nous la passâmes au Liban en 2006 où nous avons propulsé un ... ferry-boat chypriote pour récupérer nos binationaux bombardés et quelques navires de guerre pour prendre des photos.
La dernière fois que nous avons attaqué un pays lointain, plus ou moins capable de se défendre, ce fut en 1956, l'Egypte ! Et nos "tuteurs" nous retirèrent du champ de manoeuvre car ils en étaient agacés. Redevenons sérieux :

Savoir ce que l'on veut
Primo, qui voudrions-nous attaquer aujourd'hui dans notre sphère d'influence indépendante ? Poser la question, c'est y répondre. Notre seul "partenaire" de taille normale dans une vraie guerre serait le Brésil qui voudrait confisquer la Guyane, territoire sur lequel nous pourrions amasser des moyens de défense, qui, si nous le quittions pour riposter depuis la mer, serait irrémédiablement perdu.

avisosQui du coin tiendrait tête à notre belle escadre aux Antilles, à la Réunion, en Polynésie, en Nouvelle Calédonie ? Personne, sauf à se confronter avec un intrus, l'un des nouveaux empires émergents si tant est qu'il ressente un destin maritime dans les vingt ans qui viennent. Serons-nous plus courageux contre l'escadre chinoise approchant la Nouvelle Calédonie ou contre l'escadre indienne menaçant la Réunion que nous ne le fûmes contre le Japon débarquant en Indochine ? Ou saisirons-nous plutôt le Conseil de Sécurité ??

Deusio, qui pouvons-nous attaquer sur les couloirs d'énergie où nous sommes subordonnés aux Américains dans un cadre de mission multilatérale ? Personne de notre propre chef, sauf sur autorisation, incinérer vingt pouilleux dans une grotte du Pamir. C'est la fable de l'ours et l'amateur des jardins.

Si sur notre zone de souveraineté éparpillée nous n'avons pas avant vingt ans l'emploi d'un système d'armes offensif puissant ;
si sur les couloirs d'énergie partagés avec nos alliés, un tel système est subordonné à un état-major étranger disposant par ailleurs d’une puissance sans commune mesure avec la nôtre ;
à quoi sert le système d'armes "Charles-De-Gaulle" ? Relire Le désert des Tartares de Dino Buzzati.

Sur les théâtres d'opérations majeurs, prêtons plutôt nos excellentes compétences de radaristes et de missiliers à nos alliés par nos groupements de frégates AA et ASM que tout le monde nous envie. Et économisons nos sous dépensés inutilement sur des systèmes complexes mais comparativement petits quand ils sont rapportés à leurs concurrents d'outre-atlantique. Bien sûr, nous avons le groupement CDG qui va sortir de grand carénage après 300 millions d'euros de rénovation. A part la surveillance aéroterrestre à longue portée, les frappes chirurgicales dans les opérations multinationales et les missions humanitaires, je ne vois pas un meilleur usage de cette force de frappe classique, stratégiquement pataude et gourmande en effectifs. Un gros manche sur un petit marteau. Mais il est là.

Question subsidiaire : à quoi servirait-il de le dupliquer ?

Les autres volets de notre préparation à la guerre indirecte ou asymétrique concernent l'Armée de Terre et ses moyens de transport et d'appui aérien. Il semblerait que les retards s'accumulent dans tous les compartiments, à tel point que le moral des professionnels serait touché. Mais c'est une autre question, que l'on pourrait poser au déserteur Morin ! Il la fuira !

Métropole
Eurocopter NH-90Pour terminer, il faut dire un mot de la défense du territoire métropolitain qui est au cœur du concept « indépendance ». Les délais de construction de tout système d'armes moderne et ceux de la formation à leur emploi obligent à maintenir un coeur d'armée continentale conséquent. Si la dissuasion nucléaire s'avérait inopérante jusqu'à ce que nous soyons menacés de submersion par des armées classiques non atomiques, nous devrions réagir de manière classique jusqu'à la dernière extrémité avant le bouquet final. Nous devons donc défendre nos côtes - nous avons une flottille de sous-marins de qualité - et disposer d'un corps de bataille musclé, construit pour le choc, prêt à l'emploi.
Il n'apparaît pas possible de descendre sous les niveaux actuels de dotations – à condition quand même de réhabiliter les matériels - même si le ratio galons/puissance de feu peut être encore amélioré, comme surent le faire nos voisins britanniques.
Economisons les galons et les ministres, pas les hélicoptères ni les chars.

chars Leclerc

Comme nous venons de le voir c'est sur l'ancien empire que nous sommes encore indépendants, d'aucuns diraient souverains. Le surgissement du Tiers Monde crée de fortes tensions sur tous les espaces économiques et notre ZEE ne sera pas épargnée. Celle-ci est notre brevet d'universalité sans laquelle la France, déjà coincée dans le dispositif européen qu'elle subit aujourd'hui plus qu'elle ne l'influence, deviendrait un beau pays de tourisme et culture à consommer sans modération, mais c'est tout ! Nous sommes convoqués sur les sept mers à défendre notre rang. Préparons-nous à des sacrifices budgétaires dans tous les autres domaines pour armer et exploiter au bénéfice de toute la communauté française la ZEE française. Ceux qui n'y consentiront pas au motif d'urgences clientélistes métropolitaines pourront être assignés comme traîtres à la Nation. Et bannis aux Kerguelen !

Points d'appui de la Marine
- Couloir principal d'énergie :
Abou Dhabi (en construction), Djibouti. Nos alliés disposent des bases de Manama (Bahreïn), Diego Garcia, Akrotiri & Dhekelia (Chypre), Naples, Rota et Gibraltar, plus les bases métropolitaines italiennes et espagnoles.

- Couloir secondaire d'énergie :
Djibouti, Libreville, Port Boët (jusqu'à la fin de l'opération Licorne en Côte d'Ivoire), Dakar. Les Américains construisent deux bases à Sao Tomé et à Tan Tan (Maroc).

- DOM-TOM : 5 points d'appui :
Fort Saint-Louis (Antilles), Dégrad des Cannes (Guyane) base fluvio-maritime, Port Réunion (La Réunion), Chaleix (Nouvelle Calédonie) et Papeete (Polynésie) avec la base aéronavale de Hao en sommeil.

Pour être complet, ajoutons que les moyens métropolitains s'ordonnent sur 3 bases navales importantes, Cherbourg, Brest et Toulon, supplémentées de 6 bases aéronavales à Hyères, Nîmes-Garons, Lanvéoc, Landivisiau, Lann-Bihoué et Lanvéoc-Poulmic.

Signalons aussi un excellent site "marine" sur Internet : Netmarine.



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Commentaires

  1. La question demeure de savoir si un Etat en déconfiture peut soutenir une souveraineté aussi dispersée que celle de l'ancien empire colonial.
    Le vent de l'Histoire souffle vers l'affranchissement des territoires ultramarins, qu'ils en crèvent ou pas n'est d'ailleurs jamais mis en débat.
    L'important est de "coller au Progrès".

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  2. Vous faites l'impasse sur les forces amphibies (porte-chalands, fusilliers marins, troupes d'assaut) qui à partir de plateformes mobiles comme les porte-hélicoptères et les porte-avions, doivent compter dans une stratégie "maritime".

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  3. L'impasse est involontaire, mais pas tout à fait.
    La doctrine d'emploi de forces amphibies ne colle pas exactement avec le maintien d'une souveraineté outremer, car il s'agit alors de "récupérer" du territoire conquis par un ennemi.
    Mais nous pourrions avoir nous-aussi notre guerre des Malouines.
    En outre les forces amphibies sont insérables dans une opérations alliée de débarquement.
    Votre remarque est acceptée, j'amenderai le billet lors du tiré-à-part des 3 chapitres.

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  4. Les ZEE sont justement perçues par les mouvements indépendantistes des DOM et Territoires d’Outre-mer comme des enjeux économiques sur les lesquels ils appuient parfois leur idéologie et leur polémique voire leur stratégie, pour dire, de façon souvent démagogique, que celles-ci les rendraient économiquement viables. C’est en tout cas parfois le discours.

    Mais auraient-ils réellement les moyens de les exploiter par eux même ?
    Notamment en ce qui concerne les nodules poly métalliques : ferro-manganèze, nickel, cuivre, cobalt, silicium, aluminium, baryum, titane etc.... sur lesquels certains indépendantistes misent beaucoup.
    (Pour l’instant, il semble que ce soient seulement les japonais qui continuent encore à s’intéresser à l’exploitation de ce marché, au-delà des explorations et recherches, que d’autres pays comme la France ont pu mener.)
    Pour la pêche industrielle ? Mais il faut aussi de gros moyens, surtout au-delà du plateau continental (souvent inexistant). Tout comme pour affirmer sa puissance et la défense de sa propre zone..

    Par contre notre ZEE (11.035.000) km² est, en effet, comme vous le dites, très importante et quasiment équivalente à celle des USA. Ce qui fait de nous la deuxième puissance, à ce titre, dans le monde. Et crée certainement des envieux, du fait de son importance géostratégique.

    D’où l’intérêt de ne pas laisser les DOM et Territoires d’Outre-mer s’échapper vers des aventures aux lendemains pour eux-même indécis (et parfois encouragés de l’extérieur, voire de l’intérieur ou tout simplement par un désintérêt diffus de la métropole, surtout de l’opinion publique), mais plutôt les inciter à participer à cette puissance commune et à sa défense.

    Une France qui oublierait ses départements et territoires d’Outre-mer, souvent à tort qualifiés de confettis, ne serait plus qu’une France encore une fois plus rabougrie et perdrait beaucoup.

    Mais pour cela faudrait-il une continuité sur le long terme dans notre politique ultramarine, et basée, si possible, sur autre chose que de la démagogie qui ne peut-être que de court terme.

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  5. L'exploitation des fonds marins est le type même de l'entreprise capitalistique, et les DOM-TOM n'ont pas de disponible.
    Le schéma "pétrolier" de mise en valeur par des compagnies étrangères disposant des capitaux nécéssaires s'applique mal ici, l'exploitation offshore lointaine étant incontrôlable.
    Les DOM-TOM ont intérêt à continuer leur destin français car ils bénéficient d'une métropole peu cupide, sinon elle les aurait largué depuis bien longtemps.

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  6. Les DOMTOM ne sauront jamais vivre seuls et leur éventuels nouveaux maîtres risquent bien de les mettre en exploitation comme les Etats-Unis ont sû le faire de l'Amérique centrale. Ceux qui ont des ressources minières sont les plus menacés, par l'Australie entre autres.

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