Depuis les émeutes de Vitry-le-François et les gaîtés pyrotechniques du 14 Juillet en banlieue, les armureries de province font mentir les statistiques de la récession économique. Est venu le temps de la minute nécessaire de monsieur Cyclopède sur le sens commun du patriotisme.
Le premier sens immédiat du patriotisme est de continuer la "foi de nos pères" sur la terre dans laquelle ils gisent. L'approche est un peu "rurale" mais elle fonde ce sentiment. La cohésion raciale et religieuse qu'elle suggère est le meilleur mortier patriotique ; mais depuis l'assaut des légions à Alésia et les déferlements barbares successifs, c'est l'alchimie de Mendel qui a pris le relais. De petit pois en petits pois que reste-t-il de la cohésion gauloise ? Une histoire commune ; mais pas pour tous.
Si le patriotisme se fonde sur l'exaltation de l'Histoire de France il doit forcément la réécrire un peu s'il se veut entraînant. Déshonorer nos pères dans l'Histoire est nous déshonorer nous-mêmes. C'est tout le problème de la critique historique dès qu'elle déborde dans l'Opinion. Nous, royalistes, ne vibrons pas à la commémoration de Valmy que nous savons être une non-bataille truquée. La fin tragique du jeune Guy Môquet est moins une exaction de l'occupant réagissant à des attentats qu'un châtiment immérité à l'examen des faits, très étrangers à la Résistance...
Et même au milieu de nous passe une démarcation entre ceux qui pleurent au martyre de Louis XVI et d'autres qui soutiennent que les trois derniers Bourbons régnants étaient des incapables confits en bondieuseries, la progression capétienne s'étant arrêtée en 1774.
Si nous devions tracer toutes les fractures qui morcellent l'histoire de France (heureusement pour moi que chaque lecteur ici les connaît), vous verrions que l'histoire de nos pères n'est peut-être pas le ciment idéal pour réunir toute la Nation. Alors je suis parti voir des nations sans histoires qui sont malgré tout "patriotes" :
La plus intéressante et accessible à la fois est la nation américaine, mais il y en d'autres : l'algérienne, la séoudienne, même la finlandaise dont l'aventure nationale ne commence qu'aux jeux olympiques de 1912. Certes, toutes les villes de ces nations ont chacune leur histoire, mais la juxtaposition de celles-ci ne forme pas une histoire nationale.
Les Etats-Unis d'Amérique dont la préhistoire commence à l'atterrissage du Mayflower au Cap Cod le 11 novembre 1620, ne furent créés comme état responsable que le 4 juillet 1776 ; ils n'ont ni histoire (232 ans seulement) ni cohésion ethnique, juste un passé ; et pourtant ! Quel est le pays d'occident plus patriote que les Etats-Unis ?
Est-ce la fierté d'appartenir à un vaste territoire ? Est-il besoin d'ailleurs pour les Américains de comparer leur pays aux autres pour en être fiers ? Nullement ! C'est comme votre famille, vous ne la passez pas à la toise des comparaisons pour la juger ; vous l'aimez parce que c'est la vôtre ; c'est la vôtre parce qu'elle vous appartient. L'Amérique n'a pas le col de Roncevaux, les fastes enfuis de Versailles ou le soleil d'Austerlitz, elle a "La Petite Maison dans la Prairie" ; et ça marche ! Si son président est un cowboy, ça lui va !
En fait, c'est de partager tous les valeurs exaltées dans la "Petite Maison" et simultanément pour tous de pouvoir caresser la probabilité d'acquérir la même un jour, pour y faire vivre à l'intérieur ces mêmes valeurs, qui diffuse le sentiment d'appartenance commune et de commune propriété en quelque indivision.
La propriété foncière acquise ou attendue est un puissant ferment de patriotisme.
S'y ajoute pour beaucoup la conviction que l'Amérique est un projet, un "progrès" exigeant qu'on lance le grappin à l'assaut du Futur.
Le président Kennedy citait parfois Goethe dans Faust qui sacrifiait la liberté de son âme à l'éternité de l'instant : "Arrête-toi, tu es si beau ! " et convoquait plus tard les 4 fées Carabosse : Pauvreté, Dette, Détresse et Soucis. Le meilleur avenir est dans le mouvement, disait-il. Le mouvement et les efforts nécessaires à la roue rapprochent les efforts de toutes les strates sociales. Nos Capétiens le savaient.
Dans la période que nous vivons, notre pays exclut, cantonne, rejette, et son mouvement général est nul ; pire, il perd chaque jour de sa substance. Aussi le patriotisme est-il à l'étiage.
Si dans les "cercles éclairés" le patriotisme fut souvent débiné pour se confiner à l'amour des choses concrètes, c'est parce qu'il laissait au bord du chemin les idéaux libéraux. Un pays ne devrait être aimé que pour les idéaux qu'il poursuit et non pour lui-même. Ainsi en France, pays autoproclamé des droits de l'homme et de la liberté, le patriotisme ne serait digeste que s'il exacerbait ces valeurs formidables qu'à nous croire, le Monde nous envie. On crée ainsi une sphère commune éthérée qui éclatera telle une bulle boursière quand soufflera le mauvais vent.
Un patriotisme tout mental ne résiste pas à l'épreuve des temps difficiles, pour parler clair : à la guerre.
Mais la provocation a un sens : déraciner le concept pour y faire entrer les déracinés eux-mêmes. C'est de la part de ses promoteurs une supercherie à moitié acceptée par ce peuple ; on est loin des tombeaux moussus de Chateaubriand ou de Maurras. Il suffirait de se penser français ?
Et les nouveaux ?
Les couches allogènes superposées à chaque marée migratoire, du moins celles qui ne reflueront pas au jour de la ruine annoncée de notre pays, doivent en attendant s'enraciner matériellement et non pas seulement en idées lumineuses. Outre la quête d'une propriété, il faut aussi franciser l'esprit. Le matériau intellectuel nécessaire à l'enracinement comprend notre histoire vraie ; il est inclus dans la musette du parfait patriote à côté de nos traditions culinaires, de notre architecture et de la connaissance de nos divers terroirs. Il faut un peu marcher pour être un bon français et lire le soir un peu d'oenologie.
L'Education nationale a de lourdes responsabilités pour éveiller et nourrir le patriotisme, mais elle se trouve handicapée par un défaut d'objectifs clairs et "indiscutables". Elle dispose des ressources suffisantes et nécessaires de ses acteurs en nombre et en qualité, rapportées à ce que l'on constate dans tous les pays comparables.
Il est dommage que le défi de l'enracinement soit contrebattu par des meneurs corporatistes obsédés par l'adoration des vessies lumineuses, du niveau d'Aschieri et consorts. Les kärchers ne sont pas mis en batterie au bon endroit !
Au fond, c'est un déficit d'amour simple de notre pays qui nous plombe.
Reste l'avatar républicain du nationalisme. Si le patriotisme se suffit à lui-même, en ce sens qu'il baigne naturellement la communauté nationale - du moins doit-on s'y appliquer -, le nationalisme s'affronte à son alter ego, le nationalisme d'autrui. Sans nationalisme concurrent, il n'y a pas de nationalisme. Nous y reviendrons un jour encore, plus tard. Les deux concepts sont parfois mis en cohérence en temps de crise et se renforcent, mais dans la vie ordinaire ils sont presque antagonistes.
Nous terminons par une sorte de quizz : pour manifester notre patriotisme, devons-nous porter un pin's tricolore à la boutonnière, une épinglette fleurdelisée ou rien ? Si vous allez à un débat-conférence "mainstream" sur la tacheture carrée des girafes ou pour libérer les otages de la Jungle, portez l'épinglette. A la première question car il y aura question, attaquez sur le voyage de Bougainville et son Supplément par Diderot pour équilibrer. Ils s'en souviendront. Si vous courez au meeting souverainiste, ne mettez rien pour ne compromettre personne, mais posez des questions sur le traitement des députés européens. Ils s'en souviendront. Si vous allez à la Fête de l'Huma, portez le pin's tricolore car l'épinglette fait trop "couture", et vous obtiendrez toutes les questions nécessaires à l'expression amusée de votre différence. Ils riront beaucoup, mais se souviendront.
Ne confondons pas non plus le patriotisme et le port d'un bout de fer blanc à la boutonnière. Le patriotisme c'est un principe actif.
Vive la France quand même !
[ce billet a été publié dans la 22° livraison du Lien Légitimiste paru le 20 août]
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