vendredi 20 février 2009

La porte du Nord

bannière Eurocorps
Le dernier article otanesque se terminait sur l'agrément difficile du greffon européen au sein de l'OTAN, constaté par le président Sarkozy et Mme Merkel ensemble avant le Davos de la Sécurité à Munich. L'Eurocorps étant officiellement l'instrument conjoint de l'UE et de l'OTAN - c'est dans sa devise - sa mutation hybride sonne le glas d'une défense européenne autonome, chimère combattue par bien des Etats européens. Mais on avait mesuré déjà sur le terrain la supériorité tactique du schéma OTAN sur le schéma EURO...

Afghanistan
C'est la mission Afghanistan qui désinhibera les dirigeants français. Quand Chirac, déçu peut-être de ne pas voir "son" corps expéditionnaire de 60.000 hommes prendre forme, tenta de se rattraper aux branches de la réalité, il honora la signature de Robert Schuman en application de l'art. 5 du Traité atlantique qui nous conviait à dépasser la solidarité dialectique due aux Américains après le Onze Septembre. Nous partîmes en Afghanistan pour trois missions ...
- la reconnaissance aérienne avec appui air-sol (premier engagement des Rafales), - la chasse à l'Homme¹ (forces spéciales) - la formation d'une armée nationale afghane (forces conventionnelles). Nous avons aussi montré le pavillon sur mer avec le groupe aéronaval du Charles-De-Gaulle.
logo FIASN'ayant d'autre solution en propre que celle de l'Alliance, et surtout aucune solution logistique, le théâtre étant enclavé et notre "neutralité gaullienne" ne nous ouvrant aucune voie d'accès, nous intégrâmes le dispositif NATO-ISAF qui regroupe pour les coordonner et les servir TOUS les pays de l'Alliance atlantique, plus quinze autres qui se sont ralliés au son du canon, parfois pour marquer le coup symboliquement comme l'Azerbaïdjan, la Jordanie, les Emirats ou ...Singapour.
Pour la première fois depuis 1966, les unités élémentaires françaises ont travaillé au sol dans un conflit ouvert au sein d'un dispositif dense multinational, comme l'a montré la vidéo du dimanche 15 février sur ce blogue-ci. Les cadres ont compris que la réintégration de nos chaînes de commandement dans les procédures alliées était incontournables, si nous devions être impliqués plus tard dans une guerre de haute intensité. La rapidité des appuis aériens des Fairchild A10 les a impressionnés, plus que le montage en aveugle d'une reconnaissance de col à pied comme au bon vieux temps de la Coloniale !

Le fait même que l'embryon Eurocorps ait pour souci premier d'obtenir une certification OTAN, prouvait que le schéma atlantique était insurpassable au plan technique. Le cavalier seul français complètement dépassé faute de procédures et moyens mobilisables à l'instant T en zone Z sous un délai D, montrait la distance de notre déclassement technique dans des opérations terrestres. L'embuscade du 18 août a tout expliqué (clic), l'insuffisance de la chaîne de commandement d'abord. Nos dernières missions autonomes sont le maintien de l'ordre en Afrique, missions dispensées des trois contraintes ci-dessus, où nous avons toujours l'initiative, contrairement à l'Afghanistan où nous ne l'avons jamais ou pas encore.



Le Livre Blanc
Concurremment à cette évidence, l'inventaire des tableaux de dotations actives des armées françaises à l'occasion du Livre Blanc d'Hervé Morin (clac) fit apparaître des taux de disponibilité incroyablement bas des matériels. En gros et en moyenne, la moitié des équipements en dotation sont soit obsolètes soit arrêtés en panne ou immobilisés en attente indéfinie de rechanges. Les équipements les plus touchés par la misère budgétaire sont les aéronefs et les blindés.
Par contre la piste aux étoiles est trop petite pour contenir tout l'effectif de généraux et officiers supérieurs dont aucun poste n'est vacant. Il y aurait beaucoup à dire sur la fonctionnarisation des cadres. Vous allez rire, mais notre effectif mexicain ne peut trouver d'emploi que dans la réintégration de nos officiers dans les commandements intégrés. Ceci peut vous faire comprendre pourquoi les objurgations souverainistes trouvent si peu d'écho dans la Grande Muette.

A part nos étoiles surnuméraires, notre espace aérien de 550.000 km2 correctement surveillé, le groupement aéro-naval d'attaque du "Charles-De-Gaulle", et la tenue au feu de notre infanterie, nous n'avons pas grand chose à apporter à l'OTAN, nos équipements modernes activés étant rares et livrés au compte-gouttes. Obtenir dans ces conditions un commandement naval comme celui d'Oeiras relève de l'exploit. D'un autre côté, confier la direction du centre de prospective de Norfolk à un pays aussi critique que le fut la France gaulliste, marque le fait que cette ère est désormais révolue.

La menace
Ceux qui disent que l'ancienne menace a disparu sont des fous. Elle s'est estompée sous la pression de contraintes socio-économiques énormes et par rupture du glacis soviétique ; ses motifs ont changé mais sa réalité demeure. Et qui prendrait la responsabilité de débander le pacte atlantique en se promettant de le restaurer dès qu'une menace réapparaîtrait ? C'est de la théorie en chambre de bonne. Il n'est que de voir la zone de collision arctique² des intérêts primordiaux de l'hémisphère nord pour s'en convaincre à l'aube d'une compétition économique exacerbée.

carte arctique
Cette zone n'est accédée que par trois portes maritimes : (1) le détroit de Bering tenu par les Etats-Unis et la Russie, dont les premiers utilisateurs outre ceux-ci seront le Japon et la Chine ; (2) le détroit de Davis entre le Canada et le Groënland qui ouvre le passage du Nord-Ouest au bénéfice premier des Etats-Unis, de l'Europe occidentale et de toute l'Asie septentrionale ; (3) les détroits de Danemark et de Norvège qui forment les couloirs "européens".

En limite de propriété, nous voyons six pays dont quatre sont OTAN (EU, CAN, ISL, NOR), un pays danois mais colonisable par n'importe qui, le Groënland, et la Fédération de Russie qui tient 160° de longitude soit 7/8è de la moitié de l'arc arctique (180°). Pour amortir l'image nous avons choisi la carte polaire qui donne l'isotherme 10°C de juillet et donc la frontière polaire. Toute la stratégie de cette zone arctique est à l'évidence suspendue aux projections dessinant l'avenir de la Russie :

- Soit la Russie réforme sa société, s'arrache à son sous-développement chronique et rejoint le club capitaliste pour élever sensiblement le niveau de vie et de consommation de ses peuples ; elle participera alors massivement à l'économie de l'hémisphère nord et cherchera son bénéfice dans le commerce international des denrées, matières et produits car son handicap démographique en s'aggravant, lui interdit toute expansion : malgré la beauté slave de ses génitrices, l'homo russicus boit plus qu'il ne baise.

- Soit elle ne parvient pas à se désafricaniser et reste cette Haute Volga dotée d'une force nucléaire massive qu'elle finira bien par jeter dans le plateau de la balance quand elle se sentira larguée par le reste de l'hémisphère nord. Laissera-t-elle revenir en position de la coloniser le Big Bizness Occidental comme sous Boris Eltsine. Jamais ! C'est dans cette circonstance qu'elle deviendra un partenaire-adversaire hyper-dangereux, surtout si elle parvient à rebâtir une armée conventionnelle offensive d'importance en laissant capter les revenus d'exportation de son énergie primaire par le complexe mlilitaro-industriel toujours puissant, et en sacrifiant corrélativement le bonheur des peuples, qui chez ses dirigeants n'est qu'un slogan à l'eau de rose.

Même si nous aimons les Russes jusqu'à penser qu'ils ont une certaine complicité romantique avec les Français, nous ne devons pas baisser la garde comme nous nous y sommes abandonnés depuis quarante ans, du moins si nous voulons "exister" au tour de table de l'hémisphère nord qui va bientôt être convoqué par la fonte de la banquise.

parade russe à Sebastopol

La poussée vers l'Est
Si l'Alliance atlantique est le plus sûr moyen de contenir le mauvais karma russe, il n'en demeure pas moins que les "extensions" apportées au concept d'alliance atlantique ne sont pas toutes pertinentes. Certes elles participent de la nécessaire mutation des organisations humaines qui maintiennent à flot les positions personnelles acquises en leur sein. Imaginez la stupeur des fonctionnaires OTAN quand le Mur tomba ! Retourner dans les fonctions publiques nationales sous les quolibets de leurs collègues imposables dépourvus de privilèges diplomatiques ? Se mit en marche alors la créativité stratégique pour sécuriser les positions bureaucratiques.

L'analyse de Heinz Gaertner que l'on trouvera ici, si elle ne la dénonce pas, résume assez bien la dérive surtout à partir du Onze Septembre.
Plus spécialement, je trouve la marche vers l'Est très aventureuse pour de tout petits bénéfices, et les couloirs transcaucasiens d'énergie que l'on soupçonne gouverner l'annexion du glacis russe, ne méritent pas que l'on retourne à la guerre froide. C'est de la part des Etats-Unis une démarche d'aubaine plus qu'un programme de capture de l'espace eurasien. Le coup d'arrêt russe au tunnel de Roki s'il a anéanti la guerre privée de Dick Cheney pour Texaco en Géorgie, a surtout marqué la "limite de fourniture" de l'occidentalisation. A venir, la crise de Sébastopol entre l'Ukraine et son grand frère. Soyons prêts à ne rien faire.

SS22 iranienL'autre source de graves dangers est le Moyen-Orient avec deux pays nucléarisés qui ne nous aiment pas. L'Iran des mollahs vociférateurs est une vraie menace autant par son soutien aux groupes terroristes que par ses ambitions atomiques. Le Pakistan est à la merci de son armée, travaillée par l'islamisme. La vallée de Swat vient de légaliser la Charia. Elle peut basculer dans le camp iranien avec qui elle a frontière commune au Baloutchistan. Là encore nous rencontrons la Fédération de Russie qui agite tous ses anciens dominions d'Asie centrale en soufflant le chaud et le froid, et qui joue à contre-emploi dans la crise iranienne, uniquement pour tailler des croupières aux Américains et avantager sa propre filière nucléaire. C'est mesurer par là une certaine puérilité des deux stratèges du Kremlin, qui sous le masque glabre du joueur d'échec, manquent terriblement de sérieux. Ils nous l'ont montré encore récemment par la guerre des mafias gazières.

Ces menaces (nord et sud-est) ne se traitent pas entre adversaires de bonne foi autour d'une grande table de conférence. Toute négociation d'ampleur doit être appuyée sur des forces concrètes et jusqu'à plus ample informé, l'OTAN, même très réduite dans sa mobilisation immédiate, est l'organisation qui persiste à faire peur. C'est sa principale légitimité. Et je témoigne que cette peur était bien réelle parmi les élites des pays de l'Est avant 1989. C'est la même peur qui obligea les Yougoslaves à lever les crosses quand, pour des motifs de calendrier, on engagea l'OTAN sur mandat ONU plutôt que les Casques Bleus. Sans l'intervention de Chirac qui sauva les ponts du Danube, la Serbie aurait été nivelée sans état d'âme par AFCENT. La dissuasion au fond, c'est : si je bouge, ce sera terrible !
Dans le monde de demain, qui ne sera pas l'Ile Enchantée, nous aurons besoin de faire peur au même moment que nous afficherons notre amour des peuples du monde et multiplierons les coopérations de tous ordres. C'est d'ailleurs ce que font avec plus ou moins de réussite les Américains qui bombardent d'une main et bâtissent de l'autre, en irritant les peuples autant qu'ils impressionnent les Etats.

L'avantage industriel
Le commandement intégré mutualise les moyens logistiques et tous les appuis qui nous manquent, pour former un bloc militaire capable de sortir des amphithéâtres de stratégie théorique, et d'entrer sur les théâtres de la guerre vraie, servir le feu ou porter la menace de son déclenchement, et in fine couper les griffes aux contempteurs de l'Occident. A rester dans l'Alliance, la France doit s'impliquer dans le core business de la terreur légale et non pas dans des dérives périphériques humanitaires où elle fait double emploi avec les agences onusiennes et les ONG. Mais notre "avantage" à revenir n'est pas seulement stratégique et tactique, il est aussi industriel :

Typhoon
Les programmes communs que nous lançons seraient bien plus efficacement produits s'ils étaient définis au sein des structures intégrées qui vont se battre avec. Combien de jurons entendus en opération contre les concepteurs lointains d'équipement inadaptés ou fragiles. L'exemple majeur de l'avion de transport militaire A400M démontre que les dérives nationales détruisent le programme quadripartite parce qu'elles visent à utiliser les crédits consentis par chacun à la satisfaction de ses besoins exotiques personnels, voire de caprices infondés. Quel plaisir trouve-t-on à surcharger les spécifications d'un équipement déjà difficile à construire ? L'histoire des chars européens est du même tonneau. Seul l'hélicoptère franco-allemand Tigre a fendu l'armure "nationaliste", encore qu'il sorte en deux modèles, mais trop sophistiqué (pourquoi peut-il voler sur le dos ?) et trop cher, il ne se vendra pas beaucoup.
Si les doctrines d'emploi sont intégrées, les équipements seront similaires et nous pourrons les fabriquer en grande série de taille équivalentes aux séries américaines, voire même d'entrer dans celles-là. Bien sûr cela n'est pas inscrit dans les gènes de l'Alliance mais nous pouvons travailler à la redistribution des plans de charge industriel entre les deux rives de l'océan. Pour y parvenir nous devrons travailler à autre chose qu'à la retraite des cadres et faire des propositions inédites à nos clients avec des équipements éprouvés.

Conclusion
Au pantographe de la globalisation, le monde a fortement rétréci. Le temps des petites armées nationales est révolu, sauf pour patrouiller les campagnes, les montagnes, les banlieues maintenant, et nos eaux territoriales ; en fait, du travail classique de gendarmerie sans porte-avion atomique ni char Leclerc qui tire en courant. Tout conflit majeur de type continental dans lequel la France serait impliquée à son corps défendant, risque de lui coûter cher en termes d'accès à l'énergie et de dépendances indesserrables, si elle ne peut participer à la destruction de la menace au premier rang.
Or dans l'état d'abandon de nos capacités budgétaires, et pour longtemps, nous n'avons plus les moyens d'entrer seuls en premier sur un théâtre de haute intensité (Morin le croyait juqu'aux inventaires). Ce qui veut dire que nous devons nous allier ou chérir le destin du Portugal. Ceci étant accepté, il vaut mieux être à la passerelle du vaisseau que dans le carré des fusilliers-marins si on veut prendre son bénéfice.

Donc le petit reître a raison de réintégrer l'OTAN, mais cette décision implique de retrouver une certaine puissance militaire qui, lorsqu'elle s'ajoutera à une puissance économique revenue, ouvrira l'option d'une forme accessible d'autonomie par optimisation de nos dépendances. Ce qui n'est plus le cas depuis que les Sammies débarquèrent en 1918 à Saint-Nazaire pour régler notre vantardise et encaisser ensuite les fruits de leurs sacrifices. Une France heureuse et respectée n'est pas celle du "maître d'école" qui dit son fait à tout le monde et cherche l'exception de sa posture dans les enceintes internationales de peur qu'on l'oublie. C'est simplement une France sereine assez forte pour afficher tranquillement la défense de ses intérêts vitaux sans avoir à en parler du matin au soir et qui donc n'aura plus besoin de pitres diplomatiques pour exister. Un roi sait très bien faire ça.

Et notre force de dissuasion nucléaire ?
Si la dissuasion nucléaire est une langue morte qui a cessé de dire quelque chose depuis la chute du Mur, elle a été supplantée par la riposte graduée qui accentuait la réalité de l'holocauste atomique par la progressivité du brasier, puis par le tabou nucléaire. Pour que ce tabou persiste, il oblige à maintenir une menace atomique d'un certain niveau. C'est paradoxal !
Dès lors que nous disposons d'une force nucléaire, nous devons la conserver en bon état, même si elle ne dissuade plus personne d'utile au concept d'origine, mais fait peur aux nouveaux impétrants qui s'immiscent à la table de poker menteur sans connaître les codes. Et tous comptes faits, c'est le deterrent le moins cher, ce qui n'est pas à négliger en nos temps d'économies budgétaires.

missile M51
Pour finir de façon académique et récupérer la prébende de M. Chauprade, on peut lire le discours du secrétaire général OTAN Jaap de Hoop Scheffer à la 45è Conférence de Sécurité mondiale de Munich le 7 février dernier. Le texte mélange l'anglais et le français comme il en va souvent et cerne complètement la question atlantique actuelle.

Récapitulation :

Le dossier OTAN de Royal-Artillerie se compose à ce jour de quatre articles :

- PESD in NATO du 25 juin 2008
- L'étoile polaire du 13 février 2009
- L'aimantation atlantique du 16 février 2009
- La porte du Nord, présent billet du 20 février 2009

Un tiré à part de ce dossier en .pdf est en cours en vue d'un mailing avant le débat parlementaire. La liste de diffusion sera communiquée plus tard.



Note (1): On m'a signalé que nos OPS avaient éclairé par deux fois le Séoudien sans recevoir l'ordre de stop. Il n'apparut plus jamais ensuite dans aucune alidade.
Note (2): Lire à ce sujet le billet de Schizodoxe du 4 février et la déclaration de Jaap de Hoop Scheffer sur la question arctique.






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