Le bataillon de chasseurs alpins monte à pied depuis sa garnison méridionale jusqu'à Epinal. Ce choix du commandant avait-il pour intention de terminer la cohésion de corps d'une unité constituée de rappelés avant de les jeter sur les Bavarois ? Peut-être avait-il des problèmes de discipline. A St Dié, les compagnies sont embarquées sur la ligne de Fraize (ligne 18-5 de la Cie de l'Est¹) qui monte comme une ensileuse bien réglée les troupes d'assaut vers les crêtes. La marche au front fut efficace, au pied du Bonhomme, les compagnies manoeuvrent comme un seul homme, les mulets de la section de mitrailleuses sont fringants, les fusils dégraissés, et le prestige du chef de bataillon rehaussé par une manie adoptée tout au long du voyage : il marchait en tête de ses troupes d'un pas infatigable et ne montait en selle que pour traverser les bourgs et y saluer les édiles qui lui souhaitaient gloire et médailles.
C'est ainsi que l'on arrive au matin dans les sapins sur le Hun. Là-haut une mitrailleuse commence, premières salves, les ordres criés, regarder son caporal, s'arracher au sol, sur la ligne, monter, devant, en-avant ; la mitrailleuse..., les premiers morts, les premiers blessés, les premiers hurlements, le silence. Les culasses claquent, la mitrailleuse à nouveau, les ordres criés, relève-toi, sur la ligne, monter, devant, en-avant, devant, des morts, à droite ou à gauche ça passe, mais devant soi ça serre les tripes. Gémissements sous le bruit de mitraille ! Devant je vois rien. J'en vois pas. Regarder la caporal. Monter, comme pour s'échapper. En-avant, devant. Le caporal. Plus là. C'est le serre-pattes. Il lève la main. Des ombres dans les sapins. Stop. Baïonnette-au-canon. Réapprovisionner, armer. On y est. On va courir. Vingt mètres ? Le sang aux tempes. Il lève la main. Ça a bougé dans les sapins. Dernier tir, putaing. Le serre-pattes, en-avant, dos courbé bras tendu. Devant moi. Assaut ! On va piquer du boche.
Les Vosges se souviennent encore du sacrifice des Alpins. Les noms des crêtes sont associés à d'énormes sacrifices : Tête des Faux, Hilsenfirst, Breitfirst, Langenfelkopf, Sondernach, Braunkopf, Hartmannswillerkopf (Vieil Armand) où seront consommés des milliers de braves par compagnies entières², Lingekopf. Partout des stèles, des croix. A part l'invasion temporaire de la plaine d'Alsace méridionale au tout début de la guerre, la ligne de front se confondra avec celle des crêtes jusqu'à l'armistice au prix de combats féroces de part et d'autre. On en arrivera à ce délire de la guerre de tranchées où, comme à la Tête des Faux, les fortifications ennemies se toucheront sur les angles par endroit faute de place dans l'escarpement ! Il faut le voir pour le croire. Outre les chasseurs alpins et leurs dérivés à pied, les Vosges consommeront des tirailleurs indochinois et sénégalais, qui à douze cents mètres dans la neige ne devaient pas être à la fête.
Classés troupes d'élite et chargés normalement de la conquête des sommets et la tenue des cols, les chasseurs alpins, libérés par la neutralité des Italiens, furent employés partout, en plaine comme en montagne, et payèrent un lourd tribut aux opérations, que l'on estime à quarante mille morts, plus deux fois autant de blessés. Certaines unités furent reconstituées trois fois, à l'exemple du 24° BCA de Villefranche-sur-mer et de sa formation dérivée, le 64°, qui perdirent 240 cadres et 2590 chasseurs, avec plus de 6000 blessés, pour un effectif initial de 2000 hommes.
Son frère d'armes savoyard, le 51°BCA disparaitra corps et biens en trois jours à (La Bolle, col d'Anozel et Ban-de-Sapt) les 26, 27 et 28 août 14. Mille deux cents croix à planter !
En avril 17, on sacrifiera au Chemin des Dames, la 66° Division d’infanterie alpine et le 159° RIA de Briançon, pour rien. Mais le 159ème reconstitué prendra Reims en 1918.
Un nom traversera l'histoire des Alpins de la Grande Guerre, celui du général Bataille, le bien nommé : ancien d'Indochine, il est mobilisé en août 14 au 7e corps d'armée (81°Brigade dont le fameux 152è de ligne de Gérardmer) et conduit ses troupes en couverture entre le col de la Schlucht et le col de Bussang dans les Vosges. Sa brigade est engagée dans la bataille d'Alsace et combat vers Mulhouse et Colmar. Le 3 septembre 1914, il prend le commandement de la 41e division d'infanterie. Toujours devant, il est tué cinq jours après sous le bombardement de son état-major, au col du Bonhomme le 8 septembre 1914. Il donnait ses ordres au milieu de ses chasseurs alpins. Une stèle rappelle cela. Mon grand-père était au 7. Il eut la "gueule cassée" dans les sapins au col du Bonhomme, mais ramassé le lendemain il survécut !
Souvenons-nous qu'alors tout le monde en fut.
Peu de planqués, mis à part les gérontes qui avaient déclaré cette guerre civile européenne. Parmi les morts au champ d'honneur, cinq cents écrivains de France et parmi eux des célébrités qui ne se défilèrent pas sur les Champs Elysées, comme Ernest Psichari (août 14 sur sa batterie à St Vincent-Rossignol), Frédéric Charpin (août 14 à Courbesseaux), Alain Fournier (septembre 14 à la Tranchée de Calonne), Charles Péguy (septembre 14 à Villeroy), Joseph Vidal de la Blache (janvier 15 au Bois de la Gruerie), Jean Maspero (février 15 à Vauqois sur l'Argonne), Louis Pergaud (avril 15 à Marcheville), Paul Drouot (juin 15 à ND de Lorette), Jules Leroux (juin 15 à Neuville St Vaast), Léon de Montesquiou (septembre 15 à Souain), Augustin Cochin (juillet 16 à Maricourt), Marcel Alvernhe (avril 17 à Buzancy), Lionel des Rieux (février 15 à Malancourt), Appolinaire (blessé en novembre 18, trépané deux fois avant de décéder), ...
Si des hommes politiques participèrent au combat, l'enthousiasme fut moins général parmi les 292 députés et 11 sénateurs mobilisables. Seuls 36 voleront au secours de la patrie en danger les armes à la main, mais cela n'étonna personne.
Sans doute trouvez-vous certains jours que la Nation - ce qu'on appelait jadis la race - manque de ressort. Souvenez-vous des 1470000 morts pendant la Grande Guerre, au meilleur âge de l'homme , auxquels on doit ajouter les 90000 braves de la bataille de France de 1940 qui, en moins de soixante jours, infligèrent des pertes sévères à la Wehrmacht et à la Luftwaffe, et sauvèrent l'honneur. Dès l'armistice on décida de les oublier, la légende de la lâcheté et de la débâcle arrangeait tout le monde, et préservait une autre légende à suivre.
Pour commémorer cette année le quatre-vingt-onzième anniversaire de la Victoire et des sacrifices consentis par notre peuple, l'Action Française organise un hommage particulier en haut des Champs-Elysées le 11 au soir à 19h, devant la plaque bleue de la manifestation estudiantine du onze novembre 1940. Dépôt d'une gerbe et allocutions. Venez.
Note (1): une ligne à l'écartement Decauville sera posée dès 1915 vers Plainfaing et au-delà pour accélérer l'intendance et la relève. Cette ligne sera masquée par des artifices de camouflage [source]. Les Allemands en feront autant des Trois Epis au Schratzmännele.
Note (2): on parle de 30000 morts de notre bord au Vieil Armand et presque autant de l'autre bord, ce qui est proprement effarant.
Note (2): on parle de 30000 morts de notre bord au Vieil Armand et presque autant de l'autre bord, ce qui est proprement effarant.
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Un lecteur qui s'est exprimé par MP me donne l'occasion de faire le raccord avec le billet Kuehnelt-Leddihn qui pourfendait la Levée en Masse et l'appétence à la haine stupide qu'elle induit.
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