... et l'industrie refleurira !
Ce billet est la seconde partie du Moment de l'Histoire.
Nos dirigeants, aux abonnés absents pour les questions majeures, se refont la cerise sur l'arrêt de la Bridgestone à Béthune. Nous avons tout entendu déjà depuis la crise de Florange, mais la volaille politique caquète les deux pieds dans la merde : il faut en être, ne pas laisser passer (l'outrage ou l'occasion), être "révolté", oui ça fait bien d'être "révolté". Mais il n'empêche que la filière est quand même en péril. Michelin, Continental, GoodYear ont réduit leur exposition en France. La faute aux pneumatiques asiatiques sans doute moins bons mais bien moins chers. Pourquoi le Japonais Bridgestone ferait exception ? D'autant qu'un pacte de compétitivité a été refusé par les ouvriers l'an dernier, façon de gifler le patron. Et pourtant il ne s'agissait que d'augmenter la capacité de production de 16000 à 18000 pneus/jour tout en baissant le coût de transformation. Pour ce faire, les salariés devaient passer de 32,04 heures à 34,70 heures par semaine, mais avec une augmentation de salaire la première heure de plus (source FranceInfo).
Vu de Sirius ou de Tokyo, quel intérêt y a-t-il à investir chez le plus mauvais élève de l'OCDE ? Et finalement le plus cher, après que l'on a consommé les aides à l'installation. Impôts de production trop lourds, code du Travail monstrueux, normes européennes augmentées par leur francisation, tracasseries administratives à tous les étages, syndicats révolutionnaires qui ne participent pas.Sans parler du socialisme rampant d'un Etat qui envahit tout l'espace économique et se prend maintenant au jeu délétère du Gosplan soviétique pour relancer la machine qu'il a contribué à éteindre. Vu de Sirius ou de Tokyo, il est patent que l'Etat recule sur ses missions essentielles (le fameux domaine régalien en souvenir de nos rois) et ne cesse d'enfler sur le domaine économique et social. Jusqu'où l'entreprise pourra suivre le délire socialiste français ? Jusqu'à sa propre faillite ? Les Japonais ont tiré un trait sur la chimère française.
La question de la compétence de la classe dirigeante française se pose. Dans son Industrie pour les nuls, Loïk Le Floch-Prigent explique bien les ressorts de l'industrie qui fonctionne dans une vision pragmatique de la mondialisation, et sur les capacités d'entrepreneur des investisseurs, avec leur acceptation du risque en contrepartie de celle de leur succès, ce qui est loin d'être le cas chez nous. Quand on met un François Bayrou à la tête du Plan, on comprend que nous en soyons très loin.
Ceci pour dire que l'environnement politique et social n'est pas favorable au rapatriement de certaines filières, sauf dans des cas très précis de souveraineté industrielle (comme les turbo-alternateurs des centrales nucléaires), et que ce serait perdre son temps et son énergie à vouloir l'organiser. Mieux vaut industrialiser le pays sur de nouvelles bases technologiques et pour ce faire, libérer les énergies créatrices en cassant les codes et les contraintes de toute sorte. Bien sûr on trouvera à redire à Gauche, les libertés y ont mauvaises réputations (vous savez la fable du renard dans le poulailler). Et puis qui dit industrialisation dit prospérité. Quel est le carburant des partis comme des églises d'ailleurs ? La misère. La prospérité contrevient au programme, elle entame la prébende ou le magistère ; et elle pourrait donner goût au risque capitaliste ! Quelle horreur !
Mais il y a quand même plus pervers. Dans son entretien au Point, M. Le Floch fonde l'industrie sur l'homme en termes non équivoques : « Sans chef d'entreprise, pas d'industrie vivante et fructueuse. Les hommes et les femmes qui constituent le tissu industriel s'organisent en entreprises de production. Ce tissu industriel regroupe des compétences variées, scientifiques, techniques, financières, commerciales, juridiques… et chaque entité a besoin d'une stratégie, d'une vision, d'un enthousiasme en général personnifié par un chef d'entreprise qui permet à un ensemble disparate de se donner à fond pour faire réussir un projet devenu commun. Il n'y a pas d'exception à cette règle simple, elle peut choquer ceux qui défendent les coopératives ou la lutte des classes, mais ils pourront observer que les coopératives ont toujours eu besoin d'un leader et que les luttes ouvrières réussies ont débouché sur des accords patrons-salariés qui ont pu assurer le succès industriel. Sans chef d'entreprise, qu'il soit officiel ou "de fait", pas d'industrie vivante et fructueuse.» Problème ! Le dirigeant politique - qui en France n'a jamais fait que de la politique - supportera-t-il que le succès du grand chef d'entreprise lui fasse ombrage ? On l'a vu dans l'affaire Carlos Ghosn. Le patron de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a été lâché en rase campagne dès le début de la crise par le gouvernement français. Quand on sait qu'il a osé tenir tête au gamin du Touquet qui a trafiqué l'équilibre des actionnaires au détriment des Japonais, et à l'endive de l'Eure qui contestait sa gestion des usines en France, on comprend certaines choses. Ces grands patrons à succès - ne citons que Jean-Pascal Tricoire de Schneider-Electric - surclassent les vainqueurs politiques du moment, et ont tout motif pour s'en moquer. "On" ne les aime pas !
Bien sûr le titre de ce billet est une provocation. L'Etat essentiel demeure indispensable, mais tout le lard qui l'entoure doit fondre pour libérer des ressources, même si on met au chômage des milliers de politiciens professionnels sous-calibrés. C'est mieux que de les fusiller. Et puis, va savoir, certains tenteront peut-être l'aventure de l'industrie et achèteront un jour une Bugatti... électrique ?