lundi 19 avril 2021

Des bœufs et des chiens

bull baiting painting

Notre époque est stupéfiante de naïveté peut-être feinte dans le camp occidental. Doit-on accepter d'être gouvernés par les idiots du village global ? Depuis une dizaine d'années, les pays de l'Occident n'ont plus d'autre feuille de route que celle de contenir leurs contempteurs... du mieux possible... en fonction des "circonstances"... sans froisser les pays jadis colonisés et en tenant compte des retours de flammes sur la politique intérieure... On peut se limiter à citer les pays disposant d'une diplomatie active globale, finalement peu nombreux : Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni, France et en second rang l'Australie, l'Italie, l'Allemagne et c'est à peu près tout. Nos adversaires, qui nous reprochent tous une agressivité mal dissimulée sous la protection des lois internationales, établies par nous bien sûr à notre bénéfice, nous prennent pour des chiens qui aboient et ne mordent plus. Nos armes d'exportation que furent la démocratie magique et les droits de l'homme adaptés à l'histoire de chacun ne fonctionnent plus. Tous les émergents ont appris à s'en passer, qui pis est, à le faire savoir ! La police des mœurs et la morale des nations sont de plus en plus souvent remplacées dans les chancelleries par le droit de la force, ce qui a relancé une course à l'armement conventionnel que l'on croyait reléguée au rayon des cotillons et confettis de carnaval. Des pays où le peuple est pauvre, mal soigné, mal nourri, mal traité, engloutissent des budgets colossaux dans la ferraille de guerre au motif irrationnel de prévenir toute attaque du pays voisin qui en fait autant. C'est tout le progrès de la Société des nations qui s'annule, même si on en conserve les formes.
Dernier outrage : la répression sanglante de la junte birmane est protégée par deux membres du Conseil de Sécurité qui craignent plus que tout l'ingérence d'autrui dans leurs propres crimes et bloquent toute sanction à l'endroit des généraux birmans. Il n'est même pas la peine de les citer ! Si d'aventure ils s'énervent, les pays occidentaux contourneront l'obstacle en tapant où ça fait mal, au porte-monnaie personnel des putschistes. Dans la communauté internationale le climat est pestilenciel puisqu'à divers motifs la guerre ouverte est revenue comme à l'époque de la guerre froide et l'hostilité réciproque des blocs est communément admise comme allant de soi. Aux guerres entre pays s'ajoutent les guerres asymétriques dont se servent les Etats déstabilisateurs pour augmenter le désordre à leur profit.

Les bœufs sont au nombre de quatre. La Turquie aurait pu faire un bon cinquième mais son objectif "ottoman" est par trop risible et quand sa monnaie disparaît, elle emporte avec elle toute crédibilité. L'Iran d'abord :

La République islamique avance lentement contre vents et marées vers la production d'une arme atomique. Elle accepte pratiquement d'en discuter avec tout le monde tant que ça reste au niveau des discussions, et les ayatollahs ont toute la patience nécessaire à faire traîner les choses en longueur et mensonges. Les Occidentaux en sont bien conscients, surtout depuis l'annonce récente d'un enrichissement de l'uranium à 60%, taux proprement extravagant pour une utilisation civile. Mais nous devons faire semblant de croire à une certaine bonne volonté. C'est ainsi ! Jusqu'au clash final qui engagera la survie d'Israël et vitrifiera Téhéran... L'Etat hébreu n'a aucun doute sur la marche du bœuf chiite, à peine ralentie par les sanctions américaines. Pourquoi l'Iran veut-il une bombe atomique ? D'abord pour entrer dans le club des puissants en souvenir de l'empire perse ; ensuite pour établir sa suprématie morale et stratégique sur le monde sunnite ; accessoirement pour bloquer les rêves d'expansion du Likoud israélien. D'autres avantages mineurs en sont attendus comme de discipliner ses clients syrien et irakien. Rien ne les détournera de ce but. C'est la même chose avec la Corée du Nord.

Le royaume communiste des Kim, qui dispose aujourd'hui de la bombe atomique, a deux objectifs entrecroisés : perpétuer la dynastie par tous moyens à l'intérieur - la famine n'étant pas un obstacle moral - et à l'extérieur, neutraliser le frère méridional en faisant sortir les troupes américaines d'occupation de la péninsule, quoiqu'il en coûte de promesses, main sur le cœur. Les négociations engagées par le département d'Etat et Donald Trump avaient été acceptées par Pyongyang, de la même façon que les mollahs avaient discuté énergie nucléaire avec le Five plus one à Genève. Parlons, parlons, ça n'engage à rien mais continuons d'avancer lentement, sûrement. Trump a vu la partie de poker tourner au bonneteau et sa générosité non feinte en a pris un coup. Donnons-en acte, même s'il avait balayé d'un revers de main les avertissements de son Département d'Etat qui savait que le leader coréen le baladerait sans sortir de ses rails. De toutes façons, personne et la Chine non plus, n'a réussi à faire dévier les Kim de leur objectif.

La Chine populaire a un jeu stratégique plus ouvert depuis qu'elle a décidé de proclamer urbi et orbi son projet. Nous en avons parlé plusieurs fois sur ce blogue. Le but du Parti communiste est d'avoir recouvré, avant le centenaire de la République populaire, la suprématie impériale sur toute l'aire stratégique définie par les empereurs de jadis. C'est le Chinese Dream de Xi Jinping. Les points de friction périmétrique(1) sont nombreux dans l'espace géopolitique mais rien n'arrêtera - sauf la guerre ouverte - la marche au limes d'une part et la caporalisation du peuple de l'autre, afin de prévenir toute instabilité des masses de l'intérieur. La parité de puissance économique et militaire avec les Etats-Unis est une conséquence de la recherche d'un imperium plus qu'un but en soi. Le Piéton fait le pari que la Chine populaire n'y parviendra pas, à cause de l'encrassement mental provoqué par la rééducation générale en cours. Restreindre la liberté de penser est la première faute des dictateurs, elle stérilise la créativité, le goût du risque, la folle ambition, l'invention. Dans le programme, il faut aussi mater les minorités sans retard ni précautions particulières au moindre soupçon d'identitarisme ou de fractionnisme pour éviter toute insurrection de revers. C'est le même rouleau compresseur communiste classique que chez le cousin nord-coréen, mais avec un emballage plus vendeur et de l'argent ; quoique le sourire commercial de la diplomatie chinoise pourrait s'effacer si la Chambre des Communes britannique rejoint les parlements néerlandais, canadien, européen et le Congrès de Washington pour reprocher aux Chinois la répression brutale des Ouighours et appeler aux sanctions internationales. Les Affaires étrangères chinoises sont aux cent coups !

Le quatrième bœuf c'est la Fédération de Russie. En dehors des dix métropoles, c'est encore un peu la Haute Volta d'Helmut Schmidt. Le faible PIB par tête de pipe le confirme. Vladimir Poutine n'est pas le génie que certains attendaient contre l'Amérique, les nègres, les arabiaques et tous les démons du libéralisme. Non, il a seulement déclaré vouloir reprendre la main sur l'ancien glacis soviétique russophone. C'est une stratégie monocouloir qui fait l'impasse sur le développement du pays disposant le plus d'atouts à long terme, mais qui a l'avantage d'être toute d'application et facile à comprendre. Le Kremlin comme les trois autres bœufs est capable de discuter à l'infini de tout processus qu'il n'appliquera pas. Trump et Macron s'y sont cassé les dents. Il ne déviera pas d'un degré de son axe d'effort. La dernière preuve est la préparation d'une prise en tenaille de l'Ukraine orientale, au moins jusqu'au Dniepr, à partir du Donbass et de la Crimée, pour relier la prétendue République populaire de Donetsk à la péninsule reconquise et barrer l'accès de l'Ukraine à la Mer d'Azov (clic). D'aucuns soutiennent que ce n'est qu'un test de Joe Biden, lequel a stigmatisé la Russie comme ennemi des Etats-Unis. Poutine n'y parviendra pas sauf à payer très cher dans d'autres compartiments du jeu, mais se doit d'essayer pour se prouver à lui-même et à sa clique que la feuille de route impériale continue. Les Russes n'ont pas de chance d'avoir le KGB aux manettes partout. Reste que si Navalny meurt dans la colonie pénitentiaire IK-2, les méthodes historiques de régulation des oppositions peuvent déclencher une bronca populaire qu'il leur sera difficile de contenir sans effusion de sang.

2 pitbulls noirs

Si la marche des bœufs vers l'hégémonie régionale et le contrôle des mers(2) ne s'arrête pas, les "chiens" finiront par former la meute jusqu'à devenir redoutables pour essentiellement deux raisons : ce sont des créateurs de valeur ajoutée et de fric ; ils savent tout faire, absolument, et n'ont besoin de piller aucun pays émergent pour produire de l'innovation en continu. Dans la période de transition climatique qui s'annonce, ce ne sont pas les Bœufs qui vont inventer des solutions à l'échelle de la planète. L'avenir est plutôt chez les hackers en garage que dans les laboratoires d'idées disciplinées veillant au progrès du parti communiste ou à celui de tout autre clique coercitive ailleurs. La liberté est un moteur puissant. Elle est du côté de l'Occident.


Note (1): Golfe du Tonkin, îles huileuses de la Mer de Chine méridionale, Ladakh pour tenir la crête himalayenne, Mongolie extérieure, rive droite du fleuve Amour demain, îles Senkaku, Taïwan et Pescadores.
Note (2): Comme à l'époque de la canonière, chaque bœuf a sa mer à lui (sauf la Corée du Nord) : L'Iran veut contrôler le Golfe persique et la Mer d'Oman ; La Chine populaire veut faire des deux mers de Chine des lacs intérieurs comme la Mer de Bohaï ; la Russie veut contrôler la Baltique orientale comme la Mer de Barents (future route arctique alternative à Suez) et la Mer noire.

2 commentaires:

  1. L'ermite du gave30 avril 2021 à 11:19

    A mon avis, il manque un cinquième bœuf: le djihadisme conquérant, dont le but final est le califat à l'échelle de la planète. C'est peut-être (sûrement) celui-là qui coiffera tous les autres et nous mêmes, car, je le crains, l'intelligence des chiens n'y pourra rien.

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    1. Je ne suis pas le spécialiste attendu sur ce sujet mais je crois que la désislamisation des masses avance à pas de loup, comme il en fut de la déchristianisation commencée à la Renaissance. Je ne compte plus le nombre de familles musulmanes qui, à ma connaissance, ne pratiquent plus les rites, évitent la mosquée et les prêcheurs incultes ou stupides. Je ne miserais pas trop sur le Califat-Nouveau-Est-Arrivé !

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