lundi 8 novembre 2021

Puissances en division 2

Ce qui définit le classement des puissances en division 2 est leur niveau d'embarras. Soit dans la sûreté précaire de leur nation, soit dans la distance entre leur poids international et l'image qu'elles s'en font. Participent au championnat D2 le Japon, l'Inde, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l'Europe unie. Tous les autres concourent en D3 parce qu'exposés en proie (voir nota bene en pied d'article).

Le Japon

Fumio Kishida
Deuxième économie mondiale de l'après-guerre pendant de longues années avec une population inférieure à centre trente millions d'habitants sur un territoire coupé en tous sens par un relief ingrat et avare de ressources, l'archipel nippon a été doublé par la Chine continentale revenue au devant de la scène. Ce qu'a réussi le Japon, rayé de la carte du monde en 1945, est un exploit. On l'attribue d'abord à la qualité de la race - les vrais invictus - et moins souvent qu'on ne le devrait, à la gouvernance de Douglas MacArthur dans la reconstruction du pays. L'industrie renaissante profitera de l'espace commercial américain, le plus vaste du monde d'alors. Le miracle n'a rien de miraculeux. Du travail, du sérieux, un perfectionnisme obsessionnel, un chauvinisme jamais démenti ! Limité dans l'expression militaire de sa puissance par les traités d'après-guerre, le Japon est l'exemple-type du soft power. Si recherche et développement industriel sont toujours au cœur du réacteur, c'est le secteur financier qui place l'Empire du soleil levant au balcon du monde. Banques géantes, foultitude d'établissements d'épargne et de crédit, compagnies d'assurance, réassurance, fonds de pensions et de gestion d'actifs, intermédiation, représentent ensemble six fois au moins le PIB du pays (source Direction générale du Trésor). Nous l'avons déjà dit, la flotte commerciale chinoise doit son démarrage aux maisons de leasing japonaises sans lesquelles tout le commerce maritime en trop forte expansion aurait échappé à la RPC.

Le Japon est l'atout stratégique occidental en extrême-orient. La Chine populaire n'a de cesse à vouloir l'entamer, sans doute en vain, question de mental.

L'Inde

Fédération d'une grouillante diversité, percluse de misère et de génie, l'Inde est la plus parfaite illustration du colosse aux pieds d'argile. Le sous-continent est la souche de toutes les civilisations de l'espèce humaine et, à la rare exception des empires pré-colombiens, les groupes humains qui ont échappé à l'ensemencement indien ne sont pas des civilisations mais des "nations" dressées. Le magma démographique produit annuellement autant de richesse que la France, ce qui est insuffisant pour gérer convenablement 1,373 milliard d'individus entre l'Indus et l'Himalaya. Cette richesse est captée par le pouvoir central pour affermir son imperium régional dans tous les domaines de souveraineté. L'intendance suivra... ou pas ! Si l'Inde est inattaquable par sa masse et son moment d'inertie, elle n'a pas les moyens d'une stratégie d'offensive et ça tombe bien, puisqu'elle n'a aucune ambition au-delà de l'océan éponyme. Un siège permanent avec droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unies la satisferait.

L'Europe, la France et le Royaume-Uni

L'Europe institutionnelle n'existe dans aucune stratégie mondiale sauf si le nouveau chancelier de Berlin instrumentalisait l'Union sur l'axe géopolitique propre à la République fédérale. L'élargissement de l'Union vers le sud-est en fait partie. Angela Merkel a soutenu récemment que l'intégration des Balkans occidentales à l'Union était stratégique. Elle englobe la Serbie, le Montenegro, le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie et la Macédoine du nord. Pour le moment, les affaires étrangères européennes n'ont pas encore quitté le Quai d'Orsay ou le Foreign Office, et la suppression du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ne serait pas dommage afin d'éclaircir l'espace de manœuvre diplomatique. En plus c'est Josep Borrell !
Quelle stratégie commune pour les principaux pays européens ?

Soit elle est définie au sein de l'Alliance atlantique à l'initiative des grands pays européens sous le nihil obstat des Etats-Unis, avec l'imprimatur allemand ; soit elle n'existe pas, chaque pays musclant sa diplomatie et ses forces armées à hauteur des moyens disponibles pour répondre aux défis attendus à sa meurtrière. Quant à l'autonomie stratégique européenne, elle est loin de faire l'unanimité en attendant que l'Allemagne y vienne vraiment. Le budget militaire de la République fédérale, sans engagements extérieurs, dépasse en euros celui de la France qui entretient à la fois une force de dissuasion et une force de projection aéronavale.
Une autonomie stratégique ça donnerait quoi ? On n'en sait trop rien, en fait, depuis le clash atlantique, Macron a déclaré ne plus faire confiance aux Etats-Unis comme avant lui l'avait dit Angela Merkel au sommet de Taormina en 2017 ; mais le rapprochement récent entre Biden et lui sur cette autonomie prétendue ne signifie rien de plus qu'un épaulement réciproque en politique intérieure. Reste que l'ardente obligation de contenir les appétits russes à recouvrer la domination de leur glacis occidental fait presque l'unanimité ! Il serait tout à fait possible que la stratégie européenne se limite à cet affrontement de type "paix armée" aussi longtemps que l'autocrate Poutine pourra se maintenir à Moscou. Mais nul n'en connaît la fin. Quelle que soit la dégringolade de sa popularité, le rapport de forces y emprunte tout à la force justement et pas aux sondages.

Les trois pays européens capables de soutenir une action diplomatique au-delà de l'horizon seront-ils tentés d'occuper des espaces libérés par l'Oncle Sam qui déplace le barycentre de ses soucis dans le Pacifique-Nord ? Que nenni ! Simplement pour une question de moyens en ce qui concerne la Grande Bretagne et la France, d'envie pour ce qui est de l'Allemagne, laquelle a intérêt à faire cavalier seul quelques temps encore avec la Chine, la Russie... et la Turquie où prospèrent les sous-traitants de la Deutsche AG.

Dans un contexte d'ostracisation renouvelée de l'ingérence extérieure (désolé, monsieur Lévy !), la France mettra à l'audit ses positions africaines comme l'utilité de ses bases aéro-navales dans un nouveau contexte de développement séparé des civilisations. De part ses territoires ultramarins, elle restera quand même impactée par la tectonique diplomatique qui l'obligera à rehausser ses capacités navales, mais avec quel argent ? Le devenir de la Nouvelle-Calédonie, tranché en décembre prochain, obère toute projection dans le temps. Son départ signifierait la fin de l'ambition Pacifique. Une base navale à Papeete, en dehors des routes commerciales, ne serait qu'un poste de police de la pêche industrielle ! Reste le soft-power d'un réseau diplomatique et éducatif de premier ordre qui devrait diffuser la meilleure image de notre pays afin d'y attirer des valeurs sûres et des acheteurs solvables plutôt que des chasseurs d'allocations.

La Grande Bretagne, déçue d'avoir loupé les accords du Brexit, prend le large. Plutôt que d'intégrer le QUAD austral pour faire pièce à la Chine populaire qui la nargue à Hong Kong, elle entre dans la nouvelle alliance AUKUS sous domination américaine exclusive, qui lui donne en Australie des perspectives industrielles dans le domaine naval qu'elle maîtrise bien. La dispute industrielle entre Londres et Canberra pour la mise en chantier des sous-marins va d'ailleurs commencer. Mais le défi obsédant est de rebattre ses cartes commerciales vers des partenaires lointains qui se substitueraient en partie au continent européen, lesquels ne l'attendent pas forcément. Les dominions vivent leur vie, les marchés de masse sont déjà organisés sans eux. Au Partenariat régional économique global (RCEP) du Pacifique, les Rosbifs seront des intrus car il n'apporteront rien qui n'y soit déjà, pas même un marché domestique important. Londres n'a rien d'extraordinaire à faire valoir au-delà de l'ingénierie financière de la City. Les génies, ça s'achète, nul besoin d'acheter en sus des trucs que l'on trouve partout ailleurs et moins cher.

Nous avons parcouru le championnat stratégique des divisions 1 et 2. Reste un acteur important qu'on oublie toujours et qui a eu son mot à dire dans l'affaire d'Afghanistan sauf à la toute fin, les Nations Unies !

L'ONU

Le secrétariat général de New York et les agences onusiennes ont toujours suivi, bon gré (Ban Ki-moon), mal gré (Boutros-Ghali), la stratégie occidentale d'ingérence jusqu'à et y comprise l'aventure libyenne de Nicolas Sarkozy. Depuis lors, les révolutions de couleur et les printemps arabes ont réveillé les deux dictatures siégeant au Conseil de Sécurité qui ont systématiquement bloqué l'ingérence internationale, l'autre nom de l'Occident. L'Organisation, ensablée dans des conflits insolubles, est en train d'étrécir au niveau d'un guichet humanitaire cantonné aux catastrophes majeures ou aux conflits d'intérêts bilatéraux de faible intensité. Ce n'est pas plus mal, mais cette mutation génétique du prolongement de l'idéal wilsonnien qui fonda cette société des Nations, affaiblit à l'avenir toute la "stratégie" occidentale qui s'y adossait. De fait, l'Occident se heurte aux frontières des empires revenus contre lui, qui vont brider son redéploiement quand il le décidera. Bloqué par les bornes de finitude de notre planète, il peut choisir de s'investir plus sérieusement dans la conquête spatiale et le cyberespace où nous pourrons donner toute notre mesure.


Une idée de stratégie occidentale ?

C'est d'abord une exigence de confiance en soi. Leurs dieux sont grands, mais le nôtre est plus grand que les leurs !

Après le temps d'hésitation du mandat Biden, plus imprévisible que le précédent jusqu'à la cagade de Kaboul, la puissance du monde libre ne sera pas réellement entamée. Ses domaines d'excellence sont intacts, parmi lesquels un spectre le plus large au monde de compétences appliquées et une créativité individuelle anarchique qui reste chez nous un levier de force plus que de désordre. Nous devons affirmer la domination indiscutable de nos atouts face à nos contempteurs dans les domaines cybernétique et spatial. La Silicon Valley est en occident, les sciences fondamentales sont en occident, les inventions disruptives sont en occident, et ce ne sont pas les universités chinoises désormais caporalisées par le Parti communiste qui nous mangeront la soupe sur la tête. Elles excellent jusqu'ici dans l'imitation mais ne créent pas ex-nihilo comme Dieu le fit. Quant aux Russes, on en reparlera dès que leur économie de rentes minières à la congolaise aura dépassé celle de l'Italie industrieuse. Qui viendra chercher noise aux Occidentaux l'apprendra à ses dépens. C'est du moins vers quoi nous devrions tendre, car nous le pouvons.


vaisseau spatial



NB : cet article appartient à la série "Dîner en ville" dont le chapitre précédent était «Puissances en division 1» (24/10/2021).

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