jeudi 11 novembre 2021

Liquéfaction du Reich

A la fenêtre du bureau, le chrysanthème-infusion a fleuri partout et trois coquelicots de la Somme se sont déployés dans un ultime cri avant l'hiver ! C'est le Onze Novembre. Comme chaque année, Royal-Artillerie propose un billet relatant un point saillant de la guerre de quatorze, et cette année nous allons parler des Allemands.

Au déclenchement des hostilités, les austro-allemands nous étaient supérieurs en tout, sauf le courage. Discipline de fer, habillement, logistique lourde, armement modernisé, artillerie massue, flotte menaçante en Mer du Nord, esprit offensif. Une vraie machine à vaincre !

A la fin des hostilités, nous leur étions supérieurs en tout. Parce que nous avions évolué dans tous les compartiments du jeu polémologique avec une élégance intellectuelle que le monde nous enviera par la suite, jusqu'en 1940 ! Comme l'a dit Michel Goya dans son bouquin C'est bien nous qui l'avons gagnée les renforts décisifs ne vinrent pas des alliés mais de notre propre génie industriel et de nos usines d'armement au plus haut niveau technique. Et de l'arrière qui a tenu grâce aux Françaises.

Prenons l'exemple du charroi. Nous commençons la guerre à pied et à cheval. Que de morts ! Mais après les déboires des deux premières années, nous contruisons des camions par milliers à quatre roues motrices et directrices, en même temps que nous comblons les vieilles routes pour faire des "nationales" goudronnées permettant la relève à moindre fatigue et le redéploiement rapide des unités. Les décisions du grand état-major ne prennent que quelques semaines, l'industrie et les travaux publics sont mobilisés en permanence. A la fin de la guerre, nous avons plus de camions militaires que toutes les autres armées de la planète réunies. Il est vrai que nous avions eu avant-guerre la première industrie automobile du monde !

carte du 11 novembre


Sûres d'elles, trop sûres d'elles, les armées austro-allemandes ont pâti de la morgue prussienne du haut commandement, qu'illustrent si bien Ludendorff (relire sa Guerre totale) et Hindenburg, sans parler du Kronprinz, réincarnation du Hun ! L'Allemagne n'a pas de stratégie construite et l'opportunisme qui domine toute sa réflexion, accumule les "paris"... perdus, jusqu'à la démoralisation générale. Les récits de nos soldats découvrant la puanteur et la pourriture des casemates allemandes abandonnées dans le reflux, nous signalent au moins de l'incompréhension de la part de nos poilus quand ce n'est pas de la stupeur. Au mois d'octobre 1918, l'armée de Guillaume II se liquéfie, la Belgique est envahie de déserteurs rentrant chez eux à pied, les armées impériales d'Autriche-Hongrie fortement atteintes se divisent et sont vaincues partout pour capituler en Italie, les Ottomans, un grand cadavre mis sur le dos, les marins se mutinent à Kiel, les généraux prussiens du grand quartier général sont rentrés dans leurs terres. Qui vient au wagon de Rethondes capituler devant Foch ? L'aide de camp du chancelier Ebert, le général von Winterfeldt, ex-attaché militaire de l’ambassade à Paris, le secrétaire d'Etat Erzberger accompagné du comte von Oberndorff des Affaires étrangères de Berlin et un capitaine de vaisseau inconnu jusque là (il finira amiral). Des chefs ? point ! Le Reich s'est vaporisé. Guillaume II sera accueilli en Hollande où il coupera du bois jusqu'à la fin de ses jours. L'humiliation est totale et imprègnera fortement les mentalités des peuples allemands qui, les plaies pansées, rumineront la revanche que l'on sait.

Jacques Bainville écrit dès le 20 novembre 1918 que « la France n'a pas de politique. Elle se croit ou elle se sent liée par des principes qui lui ont été funestes dans le passé et auxquels elle a donné par ignorance et faiblesse un acquiescement regrettable. Si l'on ne comprend pas ce qui se passe en Allemagne et le renouvellement des forces qui s'y opère à la faveur d'une révolution qu'on affecte de regarder comme superficielle et que nous tenons, quant à nous, pour autre chose qu'un camouflage : si l'on méconnaît chez l'ennemi la force de ce mouvement démocratique et national que l'on exalte pourtant chez nous comme un facteur de notre victoire : si l'on reste immobile, résigné et spéculatif à un moment aussi critique, quand nous avons tous les moyens d'agir et tous les atouts en main, oh ! alors, il n'est pas difficile de le prévoir : nous allons, et pour bientôt, à un cruel réveil. L'Allemagne n'aura eu que les apparences de la défaite. Nous ne devrons pas tarder à compter avec elle.»
Emportée par les nuées wilsoniennes, la République française tracera de nouvelles frontières européennes, se créera de nouveaux clients, sans jamais oser rediviser l'Allemagne "prussienne" entre royaumes et principautés qui nous avaient si bien réussi dans un lointain passé. Au lieu de quoi on jouera la belle vingt ans plus tard !


2 commentaires:

  1. Ce qu'a dit J. Bainville en 1918, il aurait pu le dire en 1945: pour finir, l'Allemagne a gagné la dernière et a construit le IVè Reich, baptisé "Europe"!

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    1. Objection votre Honneur.
      Bainville est mort en 1936. Il a vu la confirmation de son intuition lors de la montée en puissance du NSDAP mais ne put imaginer la suite.
      Oui, mais c'est avec Merkel que le IVè Reich a été restauré. Apparemment on n'y voit pas plus clair aujourd'hui que lors de l'avènement du troisième.

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