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Aukus, le doute !

Virginia class sub
- Un sous-marin atomique Virginia chasse aux ballasts pour plonger -

Comme le disait Jean-Yves Le Drian récemment, l'affaire des sous-marins australiens n'est pas vraiment terminée. Sans doute aucun, notre ambassadeur à Canberra a-t-il transmis au Quai d'Orsay les interrogations qui montent là-bas tant dans les partis politiques, Labour en tête, que dans les associations écologiques, voire dans l'opinion publique quand l'Australie en aura une. Par le pacte Aukus, et quoiqu'en disent les officiels de chaque bord du Pacifique, l'Australie intègre un pacte militaire qui va plus loin qu'une alliance défensive ; disons-le tout net, c'est un pacte d'agression. Qu'il en reste au stade de la menace dissuasive est le seul bien qu'on puisse lui souhaiter, sauf si la guerre éclate, auquel cas nous soutiendrons l'Occident.
Disons pour être juste que les parties prenantes se sont données dix-huit mois de réflexion pour juger de la faisabilité de la nouvelle triplice. Scott Morisson doit franchir l'obstacle d'élections fédérales au parlement de Canberra avant la date constitutionnelle du 30 juin. Le rapport de sièges entre la Coalition libérale et les Travaillistes est de 77 à 68. Rien n'est joué d'autant que toutes les petites nations du Pacifique-Ouest dénoncent la nucléarisation de la marine australienne et que leur avis a un certain poids chez les éco-consciences du pays.

Australia chart
Zones météo australiennes

La stratégie du gouvernement Turnbull précédant celui-ci était de maintenir la supériorité aéro-navale de l'Australie sur tous ses atterrages. Du sud au nord et laissant de côté l'Océan indien, il s'agit des quarantièmes rugissants puis de la Mer de Tasman qu'elle partage avec la Nouvelle-Zélande, la Mer de Corail qui baigne la Mélanésie avec la Mer des Salomons qui donne accès à la Mer de Bismarck, la Mer d'Arafura et la Mer de Timor qui donnent l'accès à l'Insulinde. Toute progression au-delà vers le nord passe par des détroits qu'ils soient tenus par l'Indonésie ou par les Philippines sauf à franchir l'Océan Pacifique-Nord à travers les Carolines et les Mariannes. On voit aisément qu'il y a beaucoup d'espace maritime à couvrir, certes mais que des sous-marins diesel-électriques de dernière génération au nombre de douze patrouilleraient facilement. Il était très réaliste que l'Australie et la Nouvelle-Zélande dans son compartiment affirment une indiscutable supériorité navale au moment où les corporations de la République populaire de Chine achètent les gouvernements de l'ancien empire allemand pour obtenir des concessions minières, et plus si affinités comme ils le font en Afrique noire. Sans même parler de la police de la pêche hauturière que seuls les deux dominions britanniques peuvent assumer. C'était un bien grand challenge déjà, sans entrer en plus dans la dispute sino-américaine.

Aukus fait franchir les détroits à la marine australienne jusqu'à apparaître un jour peut-être en Mer de Chine méridionale. Des sous-marins nucléaires sont plus adaptés à cette projection des forces. Mais cette projection au flanc du premier partenaire commercial du pays est-elle avisée ? C'est une question que la classe politique australienne débat en ce moment. L'autre question est celle de la souveraineté, ou plus prosaïquement celle de l'autonomie stratégique. En quelque sens qu'on tourne et retourne le pacte Aukus, cette autonomie disparaît sous le monitoring nucléaire américain. Sans même parler du Quantum ! Le chargé d'affaires américain de la zone indo-pacifique, Kurt Campbell, vient d'affirmer sans détours qu'il y aura mixité des équipages et que les bases australiennes serviront à l'US Navy (source). La base de Cairns (ou celle de Townsville) sera-t-elle dans dix ans le Mers-el-Kebir américain en soutien d'Okinawa ?

Il est sûr que tous les plans de bataille sont prêts au Pentagone. Reste à assembler les pièces du puzzle et Aukus va en ramasser beaucoup. Les soucis de la Chine populaire sont légitimes car l'Australie est pour eux le premier producteur-transformateur de matières premières indispensables aux géants de son industrie. Il faut souhaiter que ses dirigeants trouvent un protocole de désescalade des tensions sans perdre la face. Pour cela ils doivent (sans le dire) lever le pied sur Taïwan ou préparer à l'intention de leur opinion intérieure des explications crédibles sur la raclée que Joe Biden veut leur mettre de son vivant.

HMAS Canberra
Un porte-hélicoptères d'assaut amphibie australien en escale à Cairns (Queensland)


Ceux des lecteurs qui chercheraient une vue d'ensemble stratégique dans laquelle s'inscrit l'Australie peuvent consulter l'article titré Abrégé de stratégie navale en zone indo-pacifique du 23 septembre 2021.


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