Avant-propos
Royal-Artillerie donne une série de six billets sur la stratégie chinoise des années à venir. Voici le quatrième. Ce travail s'appuie sur un dossier publié le 10 décembre 2010 par le Qiu Shi Journal, organe doctrinal officiel du Comité Central du Parti communiste chinois. L'original est accessible en cliquant ici. Chaque billet traite un des six points stratégiques recencés, sous une forme identique : évaluation chinoise de la menace américaine (en rouge), contre-mesures chinoises, analyse du piéton du roi (en bleu). Dans l'ordre, il s'agit de :
① la guerre économique ② la guerre monétaire ③ la guerre médiatique | ④ la campagne anti-chinoise ⑤ les bruits de sabres ⑥ l'encerclement |
LA PROPAGANDE ANTI-CHINOISE
A mesure qu'approchaient les élections de mi-mandat, les questions phares n'étaient pas sur les candidats au Congrès, mais la Chine. C'était comme si tout devait être lié à la Chine. Tout le monde répétait constamment, "la Chine, la Chine, la Chine". Le New York Times rapporta qu'au moins vingt-neuf candidats aux élections de mi-mandat jouaient la carte anti-chinoise. Autant pour les Républicains que pour les Démocrates, la Chine, comme un sac de sable que l'on frappe à l'envi, est blamée pour la crise économique actuelle aux Etats-Unis. Les hommes politiques ont intérêt à manipuler les sentiments protectionistes toujours en hausse parmi les votants. Ces candidats sont en compétition dans l'utilisation du label "anti-Chine" pour amasser de cette façon des voix. L'intensité de la campagne anti-chinoise peut être qualifié presque de guerre civile contre la Chine.
Répliques chinoises
Aimer nos ennemis lointains. Attaquer un ennemi proche et faire ami avec un ennemi lointain fut l'un des morceaux les plus brillants d'une sagesse politique au cours du printemps et de l'automne. C'est encore la meilleure stratégie diplomatique pour la Chine. Concernant la tentative américaine de bâtir une alliance anti-Chine, les contre-mesures chinoises d'amitié avec nos ennemis lointains sont au nombre de trois :
. Premièrement, dés-intégrer les alliés traditionnels des Etats-Unis, en particulier l'Union européenne.Voyons d'abord comment mettre en oeuvre la première stratégie. La désintégration de l'Union soviétique¹ et une Russie affaiblie supprima le rival stratégique et la plus grande menace de l'Union européenne. Le souci de la guerre est extirpé de la pensée européenne et la paix est la norme. Il n'y a aucune raison d'exister en Europe pour les Etats-Unis, et il est quasi-certain que l'Europe n'a pas besoin des Etats-Unis dans l'arène militaire. Y a-t-il donc une nécessité économique pour les Etats-Unis ?
. Deuxièmement, renforcer la collaboration stratégique avec les pays voisins des Etats-Unis.
. Troisièmement, monter une coopération avec l'Afrique et d'autres régions auquelles les Etats-Unis ne portent pas attention.
Les économies des Etats-Unis et de l'Union européenne sont assez homogènes ; elles sont plutôt en concurrence réciproque qu'interdépendantes. La crise financère globale a fait endosser d'énormes pertes par l'Europe et presque rien pour les Etats-Unis. Cela a fait reconnaître à l'Europe que les Etats-Unis ont une valeur moindre. De nombreux pays européens ont pris conscience que l'Europe n'a pas besoin des Etats-Unis et cette distanciation entre l'Europe et les Etats-Unis est une opportunité pour la Chine.
Les relations économiques complémentaires entre la Chine et l'Union européenne sont plus fortes que la dépendance économique entre l'Union européenne et les Etats-nis. Par conséquent, la Chine doit focaliser sa stratégie de "faire ami avec ses ennemis lointains" sur l'Europe. Récemment, la Chine a accru ses échanges avec la France, le Portugal, la Grèce, l'Espagne, l'Allemagne et le Royaume-Uni, renforçant ce faisant sa coopération économique avec l'Europe de manière significative. C'est la bonne direction stratégique.
Nous devons avoir le courage de mettre en oeuvre la deuxième stratégie. L'ennemi de mon ennemi est mon ami. Même s'il n'est pas vraiment notre ami, il peut être utilisé pour contenir les Etats-Unis. En Amérique, les pays entourant les Etats-Unis ne forment pas un bloc. la Chine peut étendre sa coopération à Cuba, au Venezuela et à d'autres pays qui ne prennent pas leurs ordres aux Etats-Unis. En complément, la Chine doit renforcer sa coopération avec le Mexique, le Brésil, l'Argentine et avec d'autres pays du continent américain, dans les domaines économique et commercial. Les économies de ces pays ne concurrencent pas si vigoureusement l'économie chinoise, et il y a de large secteurs de collaboration, en particuleir dans l'agriculture. La Chine doit réduire son commerce agricole avec les Etats-Unis pour l'enrichir avec les autres pays d'Amérique. Elle doit faire bon usage de l'énorme marché agricole, un levier stratégqiue et diplomatique important, pour contenir la stratégie diplomatique des Etats-Unis.
Sur cette (ndlr: deuxième) stratégie, la Chine n'a fait ni bonne planification ni bomme mise en oeuvre ! On doit saisir l'opportunité actuelle où les Etats-Unis négligent le continent américain pour affaiblir leurs arrières stratégiques.
Troisième : Nous devons cultiver l'Afrique énergiquement. Pour le moment les relations diplomatiques de la Chine et des pays africains sont bâties sur une bonne base et les projections sont prometteuses. Les pays africains non seulement aident la Chine dans la compétition diplomatique internationale, mais dans les années récentes, nous avons aussi renforcé nos liens dans les domaines économique et commercial. Cependant, il n'y a pas eu beaucoup d'échanges militaires, d'où le manque de protection des intérêts stratégiques et économiques chinois en Afrique. La piraterie est endémique à la Somalie et la communauté internationale ne fait que crier au lieu de réagir efficacement contre la piraterie. Par conséquent la Chine peut utiliser cette situation pour étendre sa présence militaire à l'Afrique.
Copyright : le texte français est traduit d'un original anglais produit par Chinascope.org avec leur permission explicite à Royal-Artillerie en date du 11 février 2011. L'original chinois sur Qiu Shi a été lu pour chaque billet de la série afin de dénicher tout contresens.
Note (1): c'est le cauchemar du PCC qui a justifié à ses yeux et continue à justifier la répression féroce de Tian-An-Men (1989)
Note (1): c'est le cauchemar du PCC qui a justifié à ses yeux et continue à justifier la répression féroce de Tian-An-Men (1989)
Analyse du piéton du roi
Débutants en démocratie appliquée, les cadres du Parti communiste chinois ont du mal à faire la part de la propagande électorale et la défense des intérêts bien compris d'une nation occcidentale. Ils ont encore plus de mal à accepter que le corps électoral n'y croit pas vraiment non plus, cela faisant parti d'un jeu périodique national télévisé que la moitié des gens zappe par manque d'attention.
La politique africaine des Etats-Unis s'est réveillée quand la France, l'allié historique le moins aimé, risqua de mettre en minorité le représentant américain à l'Assemblée générale des Nations-Unies à New York par le rallye des "mandataires" de la Francophonie. C'était lors de l'affaire d'Irak. Pivotant sur sa base traditionnelle de soutien au Maroc et tendant la corde par dessus l'Algérie complice (l'or noir commande) jusqu'à l'Egypte dont ils ont carrément acheté l'armée, les Etats-Unis ont neutralisé le détonateur lybien et commencé la longue marche de la reconquête des coeurs et des comptes. George W. Bush a fait un gros travail de lobbying derriere dans la tournée africaine anti-sida (de conserve avec Bill et Melinda Gates ?). L'US Army a pris ses quartiers à Djibouti, et le bizness américain est en tournée permanente sur tout le golfe de Guinée depuis Dakar. S'y ajoutent les connexions offshore dans le pétrole. Et Obama est kenyan.
Le PCC surestime gravement la collaboration sino-africaine qui du point de vue des administrations locales est une aubaine à prendre en passant et un levier pour faire monter les enchères auprès de leurs bailleurs de fonds traditionnels, mais pas un pacte d'amitié.
La colonisation rampante de la diaspora chinoise en Afrique commence à irriter les autochtones à deux motifs au moins, la jalousie de la réussite rapide des Chinois comme partout - ils savent travailler et se financer -, et le mépris endémique du céleste pour le akwai qui finit par transparaître dans le ton pris pour donner des ordres à la domesticité ou aux ouvriers agricoles.
Le pouvoir chinois serait bien avisé de prendre en considération les attentes et les moeurs politiques des habitants du continent africain et pas seulement d'apâter les responsables politiques. A défaut, leurs échoppes brûleront à la première émeute, comme en Indonésie et les contrats de matières premières seront caducs du jour au lendemain. Plus les morts.
Pour ce qui est de l'Amérique latine, c'est une autre paire de manches. Sur la carte, les points d'appui pour une politique agressive à l'endroit des Etats-Unis sont faciles à identifier. Venezuela, Bolivie, Nicaragua. Cuba est hors-jeu, et les trois précités sont des pays impuissants. Mais il reste tous les autres. Prêts à tous les accords commerciaux possibles, les pays normaux d'Amérique latine n'ont aucune envie de se confronter aux Etats-Unis si ceux-ci ne les briment pas. La seule politique du Département d'Etat est justement de coopérer dans le domaine économique sans s'ingérer dans le domaine politique intérieur.
La Colombie est un cas à part, d'un côté c'est le second Porto-Rico, de l'autre c'est pour Pékin la porte d'accès au continent sudaméricain. Le projet sino-colombien d'un chemin de fer sur canal sec (clic) pour le trafic de containers permettant de bipasser le canal de Panama est assez déstabilisant pour les Etats-Unis qui, après avoir perdu l'autorité politique sur "leur" canal, ont vu les ports d'entrée donnés aux Chinois de Hong Kong². Contrer ces infrastuctures ne pourra réussir qu'en aidant Panama à doubler les siennes pour garder l'avantage fret.
Donc business as usual est l'alpha et l'omega de la politique d'Hillary Clinton. Et jusqu'ici ça marche assez bien.
Par contre, faire fermenter l'anti-américanisme européen est assez bien vu. Les relais sont nombreux, actifs et bien placés. Les maillons faibles sont les PIGS plus la France et l'Italie, qui ne refuseront pas la perfusion même si elle les empoisonne.
Resterait à briser l'OTAN pour faire aboutir la "stratégie". Mais le pronostic n'est pas linéaire ni engagé. Si l'Union européenne ectoplasmique peut réagir à la médecine chinoise, la perception par les Européens d'une déstabilisation chinoise de l'Alliance atlantique risque d'avoir l'effet contraire, pour la bonne et simple raison que les pays d'Europe ont mis les quelques oeufs que leur laisse la social-démocratie dans le même panier et qu'ils n'en ont aucun à mettre ailleurs. Donc un seul parapluie, l'OTAN.
On notera en passant que la guerre d'Afghanistan menée par la FISA constitue des manoeuvres permanentes en vraie grandeur d'une armée complexe et l'on peut dire avec certitude que les états-majors OTAN ont aujourd'hui une préparation au combat sans égale ailleurs.
Le seul bénéfice que la Chine puisse retirer d'une subversion économique de l'Europe est de prévenir la réinstallation de barrières douanières réclamée par les partis nationalistes. Ce qui n'est quand même pas rien.
Digest
Les cadres du PCC imaginent assez bien l'avenir de la Chine qu'ils projettent sur des lignes droites. Ils ont le défaut de croire que l'environnement international tel qu'ils le voient est figé ou d'évolution lente comparée à la leur. Les nations européennes ont une vieille pratique de l'Afrique et celle-ci représente pour eux une bombe démographique qu'ils sont obligées de surveiller. Ils ne cèderont pas vraiment la place à une puissance lointaine qui met le développement des infrastructures de vie en dernière position de leurs soucis, laissant la bombe amorcée.
La situation latino-américaine est symétrique pour les Etats-Unis avec le facteur agravant de la continuité territoriale.
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