Dans l'inconscient collectif français, la Monarchie de Juillet laisse le souvenir d'un gouvernement à la Daumier conduit par la Banque et la Forge en compères, où l'on travaillait quatorze heures par jour comme des ânes.
La monarchie restaurée de Louis XVIII et la copie ultrabrite de Charles X n'existent pas, à preuve lorsqu'on demande en tendant le micro-trottoir, quel fut le dernier roi de France, les gens répondent sans réfléchir Louis XVI. Ce règne-là ne bénéficie pas non plus d'une reconnaissance publique au prétexte de "la fumée sans feu" qui prédispose à sa critique. Le roi est tombé par sa faute, sinon le système était complètement vermoulu. Il a quand même été sacrément courageux à la fin !
Quand on remonte le temps, le siècle de Louis XIV diffuse un règne de guerres et de misère et... Vauban et Versailles en même temps ; celui de Louis XIII est celui de Richelieu, des mouquetaires, de Mylady et des huguenots végétariens...
Reste le règne de Louis XV. Sa débauche ne le diminue pas dans l'estime des Français qui des siècles plus tard lui accorderaient son surnom de "Bien-aimé". Ils passent sur ces grivoiseries. Ce roi bénéficie aujourd'hui de son environnement historique largement popularisé par la littérature et le cinéma. Les Lumières, l'esprit français universel, une distinction non affétée, le chevalier d'Eon, la guerre en dentelles... le style Louis-XV, la place de la Concorde.
En remontant plus haut, on entre dans la légende, les Français n'ont pas d'idées précises plus loin que la galanterie obsédée du roi de Navarre, la prestance de François Premier, le chapeau à médailles de Louis XI, le chêne de saint Louis ou la culotte du roi Dagobert dont la chanson est condamnée maintenant pour homophobie.
Quelle mouche a piqué le prince d'Orléans de se revendiquer de la
Monarchie de Juillet ? Les fondamentalistes soutiennent que le "raccord" est impossible au-delà pour la raison que l'on sait, véritable péché originel de la dynastie cadette. Bornant ainsi son héritage à la souche Egalité, il esquive les critiques serinées à l'envi par les légitimistes, qu'il renvoie à leurs chères études stériles. Mais est-ce bien sûr ?
Je l'ai tant de fois entendu célébrer la mémoire de son aïeul que je le crois pénétré de révérence envers ce roi centriste, manoeuvrier, arbitre, et lui-même aujourd'hui désireux de restaurer au moins l'esprit de ce système, proclamé équidistant des factions et intérêts, bien qu'il ne le fût jamais. Et puis j'ai vu sa profonde déception, sa rancoeur sans doute aussi envers les hoirs quand à la dispersion des "bijoux de famille" chez Christie's, disparut le sceau du roi Louis-Philippe qu'il attendait d'emporter. Il n'est que temps d'y faire un tour, même trop rapide, c'est la dure loi du blogue.
Ce régime démarre par un Pacte. Il se démarque carrément de la transcendance antérieure. Ce pacte réunit des acteurs différents, qui ne ne savent pas tous impliqués à sa mise en oeuvre. On peut les énoncer dans l'ordre d'apparition ou d'intervention : une presse libérale déchaînée (Thiers), des émeutiers « ouvriers saisonniers, sans passé ni traditions révolutionnaires facilement entraînés par les étudiants et les meneurs politiques » (Jean Tulard), les républicains (Lafayette), la bourgeoisie d'affaires (les Brumairiens), les anciens fonctionnaires impériaux débarqués, le peuple des boutiques qui était aussi celui de la Garde Nationale.
En 1830, il n'y a pas eu révolution au sens où une classe sociale l'aurait emporté. Les cartes ont été rebattues au sein des classes sociales entre des opinions antagonistes ; quand l'écume des jours fut retombée, les maîtres demeurèrent ceux de l'Argent. Orléans ramassa une couronne au ruisseau, fit des grâces à tout le monde et mit trois mois à s'installer. Vint alors et pour longtemps, le gouvernement du Fric, la devise du régime sera explicitée ensuite par Guizot : "enrichissez-vous".
Ce pacte finira par être rompu quand les classes populaires se sentiront flouées politiquement et exploitées de manière inconsidérée par les sponsors du régime. Les émeutes populaires jalonneront tout le règne, les pouvoirs publics se raidissant par réflexe.
- 17 et 18 octobre 1830 au Palais-Royal où demeure alors le roi, la populace veut la tête des ministres de Charles X emprisonnés à Vincennes
- 14 et 15 février 1831, émeutes anticléricales généralisées à Paris et en province
- 15 et 16 avril 1831, émeutes à Paris en soutien des gardes nationaux
- 15 et 16 juin 1831, émeutes du quartier Saint-Denis à Paris, l'armée charge
- 21 novembre 1831, soulèvement des canuts de Lyon contre "la liberté du commerce et de l'industrie", le maréchal Soult et 20000 hommes en viendra à bout
- 11 mars 1832, sédition de Grenoble, le 35ème de Ligne entre en ville
- 5 juin 1832, insurrection républicaine des funérailles de Lamarque, 800 morts
- 9 avril 1834, second soulèvement des canuts de Lyon, 200 morts
- 11 avril 1834, insurrection de Saint-Etienne
- 13 et 14 avril 1834, barricades à Paris, massacre de la rue Transnonain. 2000 meneurs arrêtés à Paris et à Lyon.
Les élections du 21 juin 1834 éliminent les républicains- 28 juillet 1835, attentat républicain de Fieschi, 7 morts dont le maréchal Mortier
Les lois de septembre 1835 cassent le harcèlement républicain, laissant toutes leurs chances aux jeux parlementaires qui ridiculiseront le régime- 30 octobre 1836, soulèvement avorté de Strasbourg par un carbonaro du nom de Louis-Napoléon B.
- 12 mai 1839, insurrection républicaine de Saint-Denis et Saint-Martin à Paris, 400 insurgés armés (Barbès et Blanqui)
- 7 septembre 1839, barricades du faubourg Saint-Antoine, enlevées par la Garde Nationale
1840, la misère "capitaliste" fait rage jusqu'à la crise de 1846, chômage massif- 13 janvier 1847, jacquerie de Buzançais pour de la farine
- 1847, banquets républicains dans tous le pays pour la réforme électorale
Le Pacte fut aussi rompu au sein des libéraux dans une opposition de principe aux pouvoirs réels du roi. La monarchie constitutionnelle avait peu à peu repris son domaine régalien (guerre et affaires extérieures) et concurrençait le président du Conseil appuyé sur la Chambre. La bourgeoisie libérale, servie dans ses intérêts dès que les républicains furent soumis, mais qui voulait un régime anglais, allait faire défaut- 23, 24 et 25 février 1848, soulèvement général de Paris ; 350 morts seulement.
Louis-Philippe, usé - on le serait à moins -, rend les clés et s'en va, à 75 ans, et meurt deux ans plus tard. La Deuxième République est proclamée. Elle décrète immédiatement le suffrage universel (masculin), rengaine de la campagne des banquets. La bourgeoisie se rallie sans broncher et reprend le pouvoir derrière les boutiquiers et les profs. La résurgence insurrectionnelle populaire de juin 48 à Paris est écrasée dans le sang, 4400 insurgés sont déportés en Algérie, la journée de travail est accrue d'une heure. Le général Cavaignac prend la main et censure. Les affaires repartent en attendant mieux.
La Monarchie de Juillet fondée sur le populisme, servira l'industrie naissante dans les mêmes termes que son modèle anglais, par le maintien de l'ordre, les privilèges économiques, le barrage du cens et l'exploitation effrénée des ressources laborieuses. Les lois sociales¹ seront rares et prises sous la pression d'évènements dangereux pour le régime bourgeois.
Mais c'est bien sur le plan moral que ce régime sera censuré par l'histoire. L'intelligentsia* de l'époque marquera son dédain croissant à l'égard des valeurs matérialistes et égoïstes du régime, la fameuse «morale des intérêts». Ce que le ridicule épargne, le mépris le consume.
* Chateaubriand, Balzac, Stendhal, George Sand, Michelet,Victor Hugo, Lamartine....
Quelques bons points tout de même : l'instruction publique ;
interdiction de travail pour les enfants de moins de 8 ans², pas plus de 12h pour les 8-12 ans, et interdiction du travail de nuit jusqu’à 13 ans ; le compagnonnage ; les comices agricoles ; un essai de politique économique d'ensemble qui sera transformé par le Second Empire ; la construction des voies ferrées avec l'amendement des sols qu'elles permettent ; et le règlement d'infanterie du maréchal Soult, chef d'œuvre toujours copié, jamais égalé. :)
Ce roi-bourgeois, attentif à tout, accroissant l'Etat et parmi lui, ses pouvoirs régaliens, au bénéfice de ses soutiens banquiers et industriels, nous l'avons déjà. Il s'appelle Nicolas S. Qu'est-il besoin d'un autre ?
Vous le saurez en achetant le livre* du duc de Vendôme, en lisant l'entretien accordé à
Valeurs Actuelles et en assistant à l'une des conférences-débats de présentation dont le programme est en note (3).
*
Un prince français, entretiens avec Fabrice Madouas, Pygmalion, 238 pages, 19,50 €Note (1): Partisan Blanc disserte longuement sur la Monarchie de Juillet dans son excellent blogue
"Histoire & Culture". On fera également son profit de la numérisation de l'
Histoire du Mouvement Ouvrier de Dolléans.
Note (2): Les conditions de vie de la petite paysannerie d'Ancien régime comme celles des ouvriers des guildes et confréries, n'avaient jamais atteint cette intensité d'exploitation, surtout dans la population féminine.
Note (3): Programme des conférences-dédicaces (mis à jour 30/10/09)
- 6 novembre à Paris (Gens de France)
- 12 novembre à Nice (Salle du Chapiteau, à Villefranche, 18h)
- 13 novembre à Marseille (Librairie Les Arcenaulx, 19h)
- 22 novembre à Versailles (Salon du Livre)
- 24 novembre à Lyon (Salle de l'Embarcadère, 20h30)
- 25 novembre à Grenoble (Hôtel Le Président, 18h30)
- 2 décembre à Bordeaux (Hôtel Mercure-Chartrons, 20h30)
- 13 janvier 2010 à Quimper
- 14 janvier à Nantes
- 22 janvier à Toulon
- 28 janvier à Lille
- 29 janvier à Bruxelles
- 11 février à Vichy (Hôtel Aletti, Entretien public, 16h30)
- 9 mars à Toulouse (Amphi Banque Populaire Occitane, Balma, 18h30)
- 6 avril à Orléans/Fontainebleau
- 13 avril à Strasbourg/Colmar
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