Gallimard ayant fait un refus à l'obstacle devant les cris d'orfraie des ligues "anti-anti" et des Klarsfeld, nous publions du Céline en relation avec l'émeute du 6 février 34. Il s'agit d'une lettre à Elie Faure écrite le 18 mars sur un bloc du Pigall's Tabac, répondant à la demande d'engagement de l'auteur auprès des Surréalistes pour contrer la montée du péril fasciste en France. Elie Faure est un médecin comme Destouches, et écrivain comme lui, avec lequel il entretiendra une correspondance suivie et spontanée.
On verra que s'il est réquisitionné par ses pairs, il n'est pas aisément disponible et réfractaire à l'embrigadement. C'est moins l'idée à défendre que la compagnie qui le rebute, le
Voyage au bout de la nuit ayant été reçu diversement par les littérateurs du temps. L'émeute dont tout le monde parle ne l'a pas impressionné. Près du peuple qu'il soigne au dispensaire de Clichy, il a fait le tour de la question du personnel politique mais aussi des chefs des ligues offensives que l'on a peu vus sous la mitraille. Le ton est direct, sincère, c'est un anarchiste de talent.
Dans cette lettre Céline ne parle pas de juifs ? Comment se fait-ce ? Qu'allons-nous devenir dans nos petits commerces à l'encaustique si le Céline honni ne bave plus sur nous ? C'était de l'humour. Les pamphlets "Gallimard" sont vraiment dégueulasses et dépassent la haine ordinaire des Juifs sous la IIIè République. On les gardera pour des études universitaires car diffusés dans les Cités de la Peur, ils feraient un sacré carton. On fait quoi au fait de la haine arabo-musulmane des Juifs en banlieue ?
On en parle, on en débat, on fait des plateaux télé. Avec qui ? Des mecs payés au cachet qui font vendre plus de Nutella que d'autres ! D'où vient cette haine viscérale soixante-quinze ans après la vaporisation de la moitié de la nation israélite en Europe ? De nulle part ! Ex-nihilo ! C'est interdit, nazi, tabou, verboten, les Juifs sont des saints depuis 1945. Et les autres... bon ! des goyim, des khmar, nakes chouia, la vie continue quoi !
Bien cher Ami,
Vous savez combien j'admire, je m'enthousiasme, je vénère tout ce que vous avez pensé, donné, écrit. Je me suis servi énormément de votre œuvre. J'ai pillé, appris, épelé dans votre texte. Je le fais encore, je le ferai toujours. Vous êtes un de mes rares maîtres – et sans doute le plus intime, le plus direct. Alors ? La question n'est pas là, quand je m'insurge contre vos directives actuelles. Je me refuse absolument, tout à fait à me ranger ici ou là. Je suis anarchiste, jusqu'aux poils. Je l'ai toujours été, je ne serai jamais rien d'autre. Tous m'ont vomi, depuis les Inveszias jusqu'aux nazis officiels.
Mr de Régnier, Comœdia, Stavinsky, le président Dullin, tous m'ont déclaré imbuvable, immonde, et dans des termes à peu près identiques. Je ne l'ai pas fait exprès mais c'est un fait. Je me trouve bien ainsi parce que j'ai raison.
Tout système politique est une entreprise de narcissisme hypocrite qui consiste à rejeter l'ignominie personnelle de ses adhérents sur un système ou sur les "autres". Je vis très bien, j'avoue, je proclame haut, émotivement et fort toute notre dégueulasserie commune, de droite et de gauche d'Homme. Cela, on ne me le pardonnera jamais. Depuis que les curés sont morts, le monde n'est plus que démagogie, on flagorne la merde sans arrêt. On repousse la responsabilité par un artifice d'idéologie et de phrases. Il n'y a plus de contrition, il n'y a plus que des chants de révolte et d'espérances? Espérer quoi? Que la merde va se mettre à sentir bon ? Mon bon ami, je ne trahis personne, je ne demande rien à personne. On me fusillera peut-être (on prendra des numéros, alors !).
Lénine aussi bien que Napoléon ont raté leur affaire. Ils ont fait des pointes de feu et hurlent à la guérison. Nenni. Tout ce système révolutionnaire (pas le vôtre) n'est que vulgaire, éternel égoïsme, armé de nouveaux subterfuges. Qu'il s'organise dans le communisme vous en avez de belles ! Plus sordide que l'ancien, vous dis-je ! Je les connais bien les apôtres et les héros, de droite, de gauche. Depuis 30 ans je vis jour et nuit avec eux. Révolution. Tout de suite. Mais d'eux-mêmes d'abord. Pas ces fainéants d'âmes et d'esprits, cocktail ou Picon ? Pourquoi choisir.
Bien affectueusement...
LF Céline
(in "Lettres" Ed. de La Pléiade 2009)
L'ami Céline est un personnage complexe qu'une simple lettre au premier jet (l'autographe est passé en salle des ventes) ne peut pas cerner. On doit le prendre dans sa totalité avec ses haines et son génie sémantique, sa misère affective et ses obsessions, ses erreurs graves, ses injures, ses faiblesses alimentaires (il a beaucoup écrit des trucs inintéressants pour vivre).
Je peux aussi bémoliser mon enthousiasme au plan littéraire et avouer que pour moi, un bon auteur est toujours bon. Prenez Marcel Proust - je l'ai fait cent fois - ouvrez un livre n'importe où, lisez à haute voix sans précipitation, c'est toujours excellent, la magie fonctionne à tout coup ! C'est lui le grand génie du siècle. Je n'ai pas cette révélation en ouvrant un Céline, même si le choc est toujours possible. Ecrire est-il choquer ? C'est pourquoi j'aime bien
D'un Château l'autre où il économise les effets rhétoriques dans la partie narrative de l'exode, pour nous raconter en toute verdeur la cocasserie du quotidien des "pouvoirs" français déportés par les Boches à Sigmaringen. Faire "voir" au lecteur les symboles* pitoyables de l'agonie grotesque d'un gouvernement de théâtre courant jusqu'à l'absurde, convoque un indéniable talent.
Aux dires des résidents (Rebatet, Bonnard, son épouse Lucette Almansor, le Dr Schillemans), Destouches y fut d'abord et surtout l'excellent médecin de dispensaire que l'on savait, adroit, attentif, bon ami. Il y distribuait les arrêts de complaisance aux gosses de la Légion Charlemagne qui perdaient ainsi la chance de mourir sur le front russe. Mais il restait quand bien même le pamphlétaire explosif qui n'avait plus rien à foutre des funérailles de l'Etat Français et s'inquiétait du tomber de rideau, au point de demander un visa aux autorités suisses ; qu'il n'eut pas ! C'est le Royaume de Danemark où tout n'était pas si pourri, qui l'accueillit dans un autre château, d'où le titre du bouquin.
A partir de 1934 les six-février sont devenus des jours remarquables dans l'histoire de France, comme le quatorze-juillet, le quinze-août ou le onze-novembre. Le six-février, c'est aussi l'exécution en 1945 de Robert Brasillach au fort de Montrouge ; en 1951, naissait ce jour-là Jacques Villeret, comédien exquis qui marquera pour toujours le
Dîner de Con ; mais on ne peut éviter de citer le décès à Rome en ce même jour de 726 du roi
Ine de Wessex, grand législateur saxon devant l'Éternel. Avec lui s'achève pour cette année le devoir du 6-Février sur Royal-Artillerie.