Il y a trente ans pile, le 18 septembre 1987 au soir, les négociateurs américains et soviétiques tombaient d'accord sur le principe d'élimination des armes atomiques intermédiaires dans le cadre plus général et fumeux d'un désarmement nucléaire. Cet accord sera formalisé dans le Traité de Washington du 8 décembre 1987. L'escalade technique était montée si haut que le budget soviétique ne pouvait plus suivre, sous peine de ramener le reste du pays à l'époque de Tamerlan ! En France ce traité a obligé à ferrailler les lanceurs Pluton équipés de bombes à neutrons. Contraintes et circonstances avaient conduit deux empires à la raison, la guerre froide allait se terminer ! On ne sait aujourd'hui quel levier pourrait convaincre le président Kim Jong-un de cesser le développement d'un arsenal nucléaire. Il est prêt à faire manger de l'herbe à son peuple complètement décervelé pour asseoir le pouvoir de sa famille dans le siècle. Si on demande à un Coréen de la diaspora ce que veut le dictateur-fou, on s'entend dire que (1) il n'est pas fou et (2) qu'il veut une démilitarisation de la péninsule coréenne, la Corée du Nord gardant sa bombe en garantie. Impossible n'est pas non plus coréen. Peut-il aboutir ? Sans doute pas comme il s'y prend.
Il y a quatre acteurs sur zone, outre le "fou" : la Chine tout d'abord, marraine de toujours des Coréens qui lui reconnaissent au sud comme au nord une primauté morale venue du fond des âges ; le Japon ensuite qui mit Corée et Mandchourie en esclavage et se méfie aujourd'hui de tous, mais moins que d'une coalition de rencontre entre les deux Corées et la Chine populaire ; la Russie dont la péninsule de Vladivostok est très proche de la zone atomique de Chongjin ; la Corée du sud enfin, miracle réel et fragile d'un pays reparti de rien, sans autre rente que le courage et le génie de son peuple exposé aux foucades des Kims.
Tout conflit ravagerait la péninsule coréenne, le Jilin et le Liaoning chinois (partie orientale de l'ex-Mandchourie) et la région sibérienne de Vladivostok. Le Japon bénéficiant de la coupure de la mer éponyme aurait bien du mal à se préserver, surtout avec les bases américaines sur son sol. C'est donc bien la Chine qui est la plus mouillée et tout le monde cherche à la comprendre. Ce que disent les responsables chinois n'a que peu de valeur. Ce qu'ils pensent est difficile à percer, car ils sont formatés sur une prospective à quarante ans ! Peut-on se projeter pour eux ? La presse mainstream rechigne à réfléchir, pas nous :)
Le projet réside tout entier dans le
China Dream auquel le Piéton du roi se réfère toujours et qu'il résume à nouveau pour ses lecteurs récents :
- Revenir sur toutes les marches de l'Empire du Milieu en mobilisant partout le génie et le labeur chinois ;
- Dominer sans partage ni contestations dangereuses de la Selenge mongole aux Spratleys (nord-sud) et du K2 jusqu'à l'Amour (ouest-est) ;
- Contenir les empires voisins dans leurs frontières naturelles, l'Inde sur le piémont himalayen, la Russie blanche dans la steppe stérile au-delà des Mongols, le Japon vieillissant dans son archipel ;
- Acheter la neutralité bienveillante des nations de la péninsule indochinoise par des échanges économiques fructueux et des soutiens à contre-emploi (en Birmanie et au Cambodge);
- Tenir la mer (carence fatale des Mandchous steppiques).
La Corée du Nord est actuellement une épine douloureuse dans le projet. Quoiqu'il se passe en pire, la Chine dérouille : l'effondrement nord-coréen inonderait le Jilin d'une population nombreuse, misérable et arriérée ; un conflit atomique contaminerait durablement des métropoles importantes comme Jilin, Changchun, Shenyang ou stratégique comme Dalian ; les hasards de la guerre feraient monter les Américains jusque vers les montagnes coréennes pour les "nettoyer". Ils s'y installeraient au prétexte du contrôle comme ils l'ont fait au Kosovo avec le camp Bondsteel.
Par inclination naturelle les Chinois veulent gérer ce challenge sur quarante ans et jusque là feront tout le possible pour que la situation ne dégénère pas, en lâchant parfois du lest aux Américains et en reprenant de la corde à d'autres moments. Sans doute comptent-ils sur la corruption des mentalités nord-coréennes inexorablement confrontées au monde extérieur et sur la corruption tout court des généraux le moment venu, comme les Américains le firent de ceux de Saddam Hussein. Le dictateur peut aussi muter en quelque chose de plus humain avec l'âge ou mourir du diabète. Accessoirement, le Japon, éternel coupable, est nié carrément dans la partie de cartes. La Russie est entendue mais pas écoutée. Retranché dans sa "popularité" inoxydable, Kim Jong-un, qui a quand même fait des études en Suisse, a parfaitement compris que sa disparition serait une bénédiction, non pas tant pour Washington que pour Pékin. Il s'en méfie terriblement, jusqu'à faire occire son oncle et son frère desquels il douta un instant ! Mais si le prix des sicaires monte, les candidats à la fortune seront plus nombreux.
L'Occident a vécu quarante-quatre ans de guerre froide avec des pics d'anxiété très dangereux (Berlin, Cuba, SS20/Pershing). La Chine va devoir apprendre à en faire autant en convoquant une sagesse confucéenne dont elle se moquait jusqu'à récemment. Des analyses
(cf. Chinascope) tendent à montrer que sur cette zone d'intérêts elle concentre pour le moment son action diplomatique et économique sur la Corée... du Sud qu'elle entend peut-être agréger à son projet de long terme en contournant le cousin ingérable. L'Empire des Grands Tsings s'acheva en 1912.
Xi Jinping le ressuscite à sa façon dans toute sa puissance. Impressionnant quand même !
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Juste au nord de l'île de Haïnan, on devine l'enclave française à bail emphytéotique de Kouang Tchéou Wan |
Quant à la Russie, Poutine voudrait qu'on arrête de crier et qu'on s'assoie autour d'une table avec deux cubi de vodka ! Il mesure quand même le défaut de poids de la Russie en Extrême-orient face aux deux monstres Chine et Japon.
Quelqu'un a parlé de Donald Trump ? Personne. Nikki Haley* a pris les choses en main. Ah, les femmes !
(*) Ambassadrice américaine à l'ONU