Selon les "experts", et pour aller au concret directement : cinq handicaps a priori irrémédiables :
(1) La désindustrialisation frappe le Kosovo depuis les années 1990. En 1988, 45% du PIB était produit par le secteur industriel et les mines (des cantons nord). Aujourd’hui, la production industrielle atteint péniblement 17% du PIB. Plus généralement, la proportion d’entreprises actives dans les secteurs productifs reste très faible (10%), et l’économie ne cesse de se tertiariser. Les services représentent aujourd’hui 60% du PIB, mais une majeure partie de ces services est à faible valeur ajoutée (petits commerces, kiosques…). Donc pas d'accumulation capitalistique, pas d'autofinancement prévisible.
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(2) Le désinvestissement peut être considéré comme un corollaire au processus de désindustrialisation. En 1988, 600 millions de dollars étaient investis au Kosovo, contre seulement 70 millions en 1998. Aujourd’hui, les investissements directs, en particulier étrangers, de même que les investissements publics (revitalisation des infrastructures, maintenance…) restent insuffisants. L’absence de politique d’investissement de la part des entreprises est à rapprocher de l’étroitesse de l’offre disponible au Kosovo pour certains types de services financiers, du coût très élevé des crédits commerciaux (13,8% pour les crédits de 1 à 3 ans), et de la faiblesse du taux d’épargne, dû au manque de disponibilités ou de leur externalisation.
(3) La compétitivité de l’économie de Kosovo reste à rétablir dans le système euro. Une productivité trop faible, associée au manque d’investissements et à des salaires et des prix trop hauts, handicape les relations commerciales extérieures du Kosovo. Le manque de compétitivité, et l’état des infrastructures de transport, explique en grande partie la faiblesse de la couverture des importations du Kosovo (seulement 5 à 7%), la quasi absence d’exportations, et le déficit gigantesque de la balance commerciale. Ce déficit est amplifié par un niveau de la consommation élevé qui soutient les importations.
(4) L’incapacité pour le marché du travail à absorber la croissance démographique, dans un contexte de croissance au ralenti, ou de stagnation. L’évaluation de la croissance pour les cinq prochaines années oscille entre -1,6 et +3%.
(5) La pauvreté au Kosovo est un second handicap important : 37% de la population vit avec moins de 1,42€ par jour, et 15% avec moins de 0,93€. La pauvreté touche surtout les enfants, les personnes âgées, les minorités Roms et Tziganes, ainsi que les nombreux chômeurs. Les conditions sanitaires sont également mauvaises, avec de nombreux cas de tuberculose, de maladies mentales, de contamination industrielle, et le SIDA en hausse. L’hyper-fécondité des Albanaises, qui ont en moyenne 3,4 enfants contre 1,48 pour les Serbes, amplifie les effets de la pauvreté. Au Kosovo, l’âge moyen n’est que de 26 ans, ce qui rend particulièrement cruciale la question de l’instruction sans parler même de l’enseignement supérieur.
Source majoritaire : conférence internationale de Ljubljana, 19 et 20 juin 2006, par le Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe
L'étude de synthèse du Centre franco-autrichien est intéressante. Mais la lecture des remèdes que nous vous laissons découvrir en cliquant ici, l'est encore plus.
D'abord saluons le courage des développeurs sur crédits publics qui ne se laissent pas intimider par un pays quasiment en ruine et perfusé par la communauté internationale jusqu'à l'oisiveté. Ensuite tirons le chapeau à tous ceux qui poussent à l'indépendance du Kosovo malgré le signal de partition donné ailleurs, et qui dans le même mouvement n'imaginent aucun salut pour la province affranchie, en dehors de la coopération étroite de ses voisins. Le Kosovo indépendant n'est pas viable sauf si s'investissent à son secours la Serbie, la Macédoine, l'Albanie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine ; tous pays très riches bien évidemment n'ayant que ça en tête. Sur le drapeau proposé pour le Kosovo triomphant il faudrait remplacer l'aigle noir à deux têtes par un agneau karakul du jour ! A méditer aussi par les Kosovars, l'adage diplomatique : un état reconnu n'est pas un état défendu.
La sécession promise par les Américains peut déclencher celle de la République serbe de Bosnie. Si après tout, les 90% d'Albanais du Kosovo peuvent obtenir l'indépendance du territoire au principe de majorité, la Republika Srpska compte 90% de Serbes, et est déjà constituée en état-croupion !
Cette logique majoritaire pourrait détruire rapidement la Bosnie-Herzégovine des accords de Dayton, et par contrecoup la totalité des frontières balkaniques occidentales, avec des risques incalculables mais dont on connaît l'issue probable : la guerre. Le troc éventuel de l'indépendance du Kosovo contre la réunion de la RS à Belgrade peut rallumer la purification ethnique car alors toutes les frontières seront redéfinies pour la création d'états ethniques homogènes et déclarés viables par des politiciens de rencontre, ce qui est un leurre simplificateur, annonciateur de futures disputes inter-états à régler par la force.
La Serbie qui refuse le dépeçage est l’un des Etats les plus multi-ethniques des Balkans, et ses minorités sont encore importantes à l'extérieur de la République serbe. Les minorités "étrangères" en Serbie représentent approximativement 45 % de la population de la province septentrionale de Voïvodine qui dispose d'une "capitale" danubienne. Ailleurs, la Serbie compte environ cent mille citoyens albanais dans la vallée de Presevo, limitrophe du Kosovo, et la population du sandjak de Novi Pazar se compose à moitié de Slaves musulmans qui se disent aujourd’hui «bocheniaques». Il faut encore ajouter les petites communautés roumaines, bulgares et aroumaines de l’est de la Serbie, ainsi que les nombreux clans roms, qui pourraient s'agréger au plus fort au moment donné. Plus une grosse minorité de Monténégrins largués en rase campagne serbe par l'indépendance de leur patrie.
On sait aussi que la Macédoine explosera si ses propres Albanais font confiance aux Utchéquistes kosovars. Que deviendra la partie musulmane de la Bosnie quand la Croatie aura récupéré ses morceaux ? La tête de pont de l'Arabie Saoudite en Europe ou une colonie turque ?
Les Etats-Unis, dont la seule politique fut de circonscrire l'incendie balkanique à l'ex-Yougoslavie sans chercher aucune cohérence, se sont vus contraints d'embrasser tour à tour chacune des contradictions de leurs partenaires du moment, sans aider à en résoudre aucune. Ils vont se réveiller un matin en se demandant ce qu'ils font là avec leur démocratie à vingt sous qui ne peut gérer la collision du droit des peuples et du droit des états ; le bourbier est moins chaud qu'en Irak mais c'est un bourbier quand même.
On découpe en Yougoslavie des principautés impécunieuses, pendues aux ajustements de fin de mois de la communauté internationale. On oublie que la Yougoslavie a fonctionné assez correctement malgré le handicap de la mosaïque ethnique pendant 74 ans. Elle fut même un état fédéré prospère de la galaxie communiste, surtout entre l'Albanie d'Enver Hodja et la Bulgarie de Todor Jivkov (le pitre-csar). Si cette prospérité n'a pas su résister au nationalitarisme endémique des Balkans qui dévaste la sous-région depuis plus de mille ans, la fin de l'histoire ne ringardise pas le principe, surtout à voir où ils sont arrivés maintenant ! La lecture des histoires locales est édifiante. Le chauvinisme fut chaque fois le vecteur des ambitions de féodaux puis politiciens locaux, quoiqu'il puisse en coûter aux gens du commun. Mais au delà de cette barbarie ordinaire qui consomme du peuple comme du bois, on remarque qu'il n'y eut jamais de "dessein balkanique" propre à la sous-région, seulement des rivalités, des querelles, des guerres. Sans remonter loin, nous avons oublié les deux guerres balkaniques du début du XXè siècle où, après avoir bouté l'Ottoman hors de l'espace orthodoxe, les chefs vainqueurs se sont jetés les uns sur les autres pour accroître leurs bénéfices particuliers et se tailler des fiefs.
Le royaume de Yougoslavie, puis la Fédération qui lui succéda, furent la seule tentative autochtone de vivre ensemble sans la pression et la contre-pression des empires. L'union a durée jusqu'à la mort de Tito en 1980. Puis vint la crise économique de 1989, les républiques yougoslaves firent leur compte et mesurèrent ce que leur fédération leur rapportait ou leur coûtait. Aux chauvins s'ajoutèrent les comptables. L'affaire était perdue. L'idée de chacun fut qu'on s'en sortirait beaucoup mieux chez soi, la maison à soi empiétant partout sur la maison des autres, aucun n'eut le réflexe d'activer ou de dessiner une nouvelle alliance ; la fièvre souverainiste déboucha sur la guerre sauvage que l'on sait. Résultat, au-dessus des charniers, le monde les aide, les souverainistes !
L'émiettement stupide n'est donc pas fini. Va-t-on proclamer la république serbe du Nord-Kosovo pour la rattacher ensuite à la Serbie, avant que les Albanais de Serbie ne se barricadent pour être rattachés au Kosovo qui s'alliera à l'Albanie ? Il n'est même pas sûr que les miettes s'agrègent à des ensembles plus vastes susceptibles de faire le poids pour un développement économique : quand on a connu un soupçon de pouvoir, fondé souvent sur la crainte inspirée, on ne le rend pas. De républiques ethniques en sous-républiques ethniques purifiées, on va vers un patchwork d'autorités qui démultiplieront tous les problèmes en mangeant sur la Bête ; et des problèmes, les Balkans en ont comme un chien des puces. L'idée prévalant dans les think tanks stratégiques est de les intégrer tous à terme dans l'Union européenne pour que leurs antagonismes se dissolvent dans un espace économique et politique beaucoup plus grand. On pense ainsi noyer le malade mais c'est oublier que la fédération des slaves du sud avait elle aussi comme but la pacification et qu'elle ne sut que masquer les antagonismes séculaires dont le ressort a fini par s'armer.
Cessons de nous considérer comme le sauveur des grands équilibres du monde et faisons simple pour une fois. Les Balkans ne sont pas notre truc, même si Louis-Alphonse de Bourbon est dynaste en Albanie (?!) Allons vers qui nous veut voir, parfois nous apprécie. La Serbie fut longtemps un pays frère. Milosevic et sa clique de freux ont disparu de l'épure stratégique dans le désastre. On peut échanger avec le peuple serbe et ses dirigeants car il nous reste beaucoup en commun. Et puis, n'appelle-t-on pas la Serbie le tigre balkanique ? Pour une fois que nous pourrions miser sur le gagnant ! D'autant qu'il y a un partenaire intéressant dans le schmilblick serbe : la Russie.
Ne nous associons pas à cette création de petits états mendiants. Que la Serbie s'agrandisse de la république serbe de Bosnie et du Nord Kosovo, et se prive du reste, ne devrait pas nous émouvoir, pas plus qu'à l'inverse l'impossibilité d'y parvenir. D'ailleurs en droit international si les frontières sont inviolables, elles ne sont pas intangibles. Concentrons-nous sur nos intérêts. Nous avons la chance d'avoir des affinités avec l'acteur balkanique majeur. Ne laissons pas sa position s'affaiblir de notre fait par la création d'un état mort-né sur son flanc méridional. Constatons avec les autres européens le désaccord des parties, et ne poussons pas à la proclamation d'indépendance par les légataires de l'UCK. S'ils le font, coupons les vivres, l'Amérique paiera !
D'un autre côté, ne commençons pas à donner des garanties intenables à nos amis, mais soyons bienveillants et laissons-les faire à leur idée. L'Etat serbe rachète du foncier en masse au nord de la rivière Ibar et en cède au sud ; ils jouent leur peau, pas la nôtre.
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