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La bourse du monde ②

Avant-propos
Royal-Artillerie donne une série de six billets sur la stratégie chinoise des années à venir. Ce travail s'appuie sur un dossier publié le 10 décembre 2010 par le Qiu Shi Journal, organe doctrinal officiel du Comité Central du Parti communiste chinois. L'original est accessible en cliquant ici.
Chaque billet traite un des six points stratégiques recencés, sous une forme identique : évaluation chinoise de la menace américaine (en rouge), contre-mesures chinoises, analyse du piéton du roi (en bleu). Dans l'ordre, il s'agit de :
① la guerre économique
② la guerre monétaire
③ la guerre médiatique
④ la campagne anti-chinoise
⑤ les bruits de sabres
⑥ l'encerclement

LA GUERRE FINANCIERE

La Chine est le créancier des Etats-Unis le plus important. Cependant, les Etats-Unis, l'emprunteur, est de toutes manières plus arrogant que la Chine, le prêteur. Au lieu de discuter de la façon de rembourser la dette et de stabiliser le dollar américain, le gouvernement des Etats-Unis et le public américain réclament de la Chine une révaluation du RenMinBi (RMBYuan). Depuis que le Congrès américain a adopté un projet de loi sur le taux de change du RMB, les médias américains ont continué de plaider pour sa réévaluation. D'un autre côté, la Réserve Fédérale américaine a déclaré que "afin de favoriser la reprise économique et la création d'emplois, l'on a besoin que l'inflation revienne à un niveau approprié". Pour ce faire, la Fed imprimera cent milliards de dollars supplémentaires chaque mois. Cependant, le but réel est de forcer les devises des économies émergentes à s'apprécier. Les Etats-Unis encouragent aussi leurs disciples comme le Japon et l'Union européenne à se joindre à eux pour mettre la pression sur la Chine afin de révaluer le RMB. La Banque du Japon est déjà intervenue activement sur le marché des changes.
Du fait que les Etats-Unis veulent voir le dollar américain se déprécier, ils sont en train d'imprimer de plus en plus de dollars afin que les autres pays deviennent parties prenantes et tous impliqués dans la guerre monétaire. Il est évident que l'intention des Etats-Unis est de contenir la Chine en lançant une guerre des taux de change de sorte qu'ils puissent contrôler complètement la situation de la zone Asie-Pacifique.

Rétorsions chinoises
Le fait que le dollar américain soit la monnaie de réserve du monde donne aux Etats-Unis une surpuissance financière. Actuellement, la part accrue de la Chine au Fonds monétaire international et l'augmentation de ses droits de vote sont un grand pas en avant. Le problème n'est pas que cette part soit exprimée en dollars américains, mais qu'il serait bien mieux que cette part soit exprimée en RenMinBi (RMB Yuan). En conséquence, pour contester la position du dollar américain, la Chine doit prendre le chemin de l'internationalisation, et se confronter directement au dollar. L'internationalisation peut suivre quatre voies :
La première, utiliser Hong Kong comme tremplin pour augmenter les règlements et les émissions de bons en RMB ; Il y a déjà du progrès mais pas assez ; nous devons croire à la popularité du RMB dans la communauté internationale.
La seconde, en utilisant nos énormes réserves de change comme garantie, nous pouvons émettre globalement des bons en RMB, donnant la possibilité aux autres pays de prendre des RMB dans leurs réserves de change ; nous pouvons considérer l'établissement d'une banque centrale de réserves de change spécialisée dans la prise en pension et le prêt de réserves et dans les services financiers associés. Les énormes réserves de change jouent le même rôle que l'or en assurant que le RMB en circulation offshore pourra être échangé en devise étrangère à tout moment.
La troisième, créer la version internationale du marché chinois de valeurs mobilières pour attirer les compagnies étrangères. Les participants pourront acheter ces valeurs en RMB ou en devise. Les sociétés d'outremer (ndlr:chinoises et non chinoises) qui seront cotées en bourse pourront lever des fonds en yuans ou dans d'autres devises. Par la suite, les sociétés cotées ou bien l'organisme de contrôle des changes pourront déterminer la proportion réciproque de RMB et des autres devises.
La quatrième, établir une bourse internationale de devises permettant de négocier les monnaies du monde entier, et constituant un marché financier international et un marché des changes. Des règles de négociation spécifiques et le volume de la masse monétaire nationale pourront être ajustés à la demande du marché.
L'histoire de trente ans de réformes et d'ouverture montrent que le gouvernement et le peuple chinois auront une maîtrise des mécanismes de marché et de libre échange du même niveau que les Etats-Unis et les autres pays occidentaux. Les mécanismes de marché peuvent propulser l'internationalisation du RMB plus sûrement que des négociations gouvernementales. Nous ne doutons pas des capacités du gouvernement chinois à administrer le marché et ses règlementations. Si les quatre actions suggérées peuvent être menées à bien en douceur, en utilisant les mécanismes de marché, le RMB deviendra la monnaie de réserve mondiale, mettant le dollar américain sous pression et minant la puissance financière des Etats-Unis.

Copyright : le texte français est traduit d'un original anglais produit par Chinascope.org avec leur permission explicite à Royal-Artillerie en date du 11 février 2011. L'original chinois sur Qiu Shi a été lu pour chaque billet de la série afin de dénicher tout contresens.

Analyse du piéton du roi

On sait que la Chine veut créer une zone "Yuan" sur toute sa sphère d'influence. Cette zone engloberait l'ASEAN¹ et les états steppiques du groupe de Shanghaï. Si les nations du nord-ouest ne sont pas déterminantes sauf par leurs gisements d'hydrocarbures, celles de l'ASEAN cumulent un PIB (en parité de pouvoir d'achat) de 3 trillions de dollars et une population de 600 millions d'habitants.
Mais le Japon et la Corée du Sud ont mis un pied dans la porte en 1997, puis s'invitèrent la Russie et les Etats-Unis pour surveiller et contenir.
Il n'empêche que la force du marché de biens et service sur toute la zone Corée-Chine-ASEAN peut créer naturellement une monnaie commune de règlement des échanges. Par ses énormes réserves (3 trillions de dollars) la Chine a un rôle à jouer qui ne trouve de limites que dans son intention évidente d'hégémonie régionale. D'où l'idée de surmonter les préventions asiatiques en mondialisant le dispositif financier destiné à contenir les Etats-Unis sur le méridien d'Hawaï.

On aboutit alors à la situation soulignée lors du précédent billet ① que le RMB protégé jusqu'ici par sa non-convertibilité apparaîtra sur le marché international des changes et y sera traité comme toute devise par les cambistes, les hedge funds, les George Soros et autres draculas du FOREX, de quoi meubler les nuits blanches du ministre chinois des finances.
Si les mécanismes des marchés financiers adossés à des opérations commerciales sont du niveau de SAFE, il faudra un certain délai (comme le temps de refroidir le canon) pour que les administrateurs chinois intègrent les réflexes exigés par les mécanismes de futures et les positions non commerciales purement spéculatives. Est-ce dire qu'on ne trouverait pas de super-cerveau en Chine ? Päs du tout, mais simplement que les ordres ne peuvent être abandonnés à des génies célestes non encadrés, car la génétique chinoise du jeu emportera le patriotisme s'ils peuvent gagner gros en jouant contre le yuan !
Créer en Chine un marché international de devises et une bourse de valeurs mondiale est faisable dans l'avenir, mais ces marchés s'accomodent mal du pointillisme des fonctionnaires de l'argent. Et je doute qu'un cadre du PCC aussi haut qu'il soit placé arrive à intégrer cette exigence de débridage. Ce n'est pas dans sa culture. Aparté : nous sommes, Français, sortis du même moule marxiste-léniniste, qui voulons tout contrôler.
Reste la question du temps qui passe. La crise américaine est gérée par l'administration Obama à la latina : on injecte de la dette, mais le pouls économique de l'Amérique est toujours faible. Les Républicains craignent l'hydropisie. Les fondamentaux du pays indiquent une dépréciation du dollar mollement consentie par Washington pour donner l'illusion d'une reprise d'activité, mais si la situation profite à Boeing ou Ford, les autres industries ne verront pas d'embellie car elles n'ont pas les réseaux ad hoc pour accroître leurs exportations. Nous sommes dans le même cas. Faut-il encore produire des biens désirés par les clients pour en faciliter l'exportation par la dévaluation.
Donc, mécaniquement le yuan va révaluer sur le marché extérieur malgré une inflation dangereuse sur le marché domestique. Les pays d'Asie concurrents qui trafiquent en dollars s'en trouveront bien et peu tentés d'abandonner la devise américaine qui les soulage ; par contre ils s'aviseront d'engranger en réserves du yuan, de l'euro et du yen qui à moyen terme sont plus sûrs.
La théorie du Qiu Shi Journal est séduisante pour les cadres du parti dont on flatte le nationalisme, mais appliquée dans le monde réel, elle sera difficile à mettre en oeuvre. Je remarque aussi que la position de la place de Hong Kong est diminuée par rapport à ses capacités propres, mais si vous savez que le successeur du président Hu Jintao, monsieur Xi Jinping, était maire de Shanghaï et que la place de Shanghaï caresse le rêve de redevenir la capitale du Pacifique Nord qu'elle fut jusqu'en 1937, en diminuant le rôle de Hong Kong, vous comprendrez que le groupe de rédaction du Qiu Shi n'ait pas poussé le raisonnement. La Bourse du monde sera à Shanghaï.

Note (1): Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Thaïlande, Philippines, Singapour et Vietnam (les pays qui comptent sont en gras).

Digest
L'égoïsme des Etats-Unis qui abandonnent leur monnaie au gré des vagues pour un soulagement à court terme de leurs positions commerciales est bien perçu par le parti. Mais créer de toutes pièces en Chine une place financière internationale de premier rang en voulant l'administrer au bénéfice de la mère patrie ne correspond pas aux codes du marché libre. Les ambitions déployées par cet article seront ramenées aux justes proportions d'un marché monétaire et financier régional, en donnant des gages de non-ingérence aux voisins de la Chine. Hong Kong a un rôle éminent à jouer dans cette affaire, c'est la troisième place mondiale de la galaxie Nylonkong (clic).

Billet précédent ① de la série : CLIC
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Commentaires

  1. Je confirme que la zone Yuan existe deja en Asean .. En Thailande, le RMB est tres apprecie ( les Chinois y viennent dorenavant par milliers, et pas seulement pour aller jouer au casino du Triangle d Or !); de meme , au Viet Nam , pays " frere "( !?), le yuan est accepte avec un tres bon de change ( le VN vient de devaluer a nouveau son Dong de 17 % face au Dollar US)

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  2. Merci de cette confirmation.
    Lorsque le Vietnam par exemple et les Philippines règleront des échanges en yuans, la monnaie chinoise aura accédé réellement au statut international, annonciateur d'un statut de monnaie de réserves.
    Le seul embarras peut venir d'une crise financière domestique qui montrerait au grand jour l'état calamiteux des créances bancaires chinoises.

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  3. Voir aussi la communication du 17 mai 2011 de M. Boublil à l'Assemblée Nationale, analyse recensée par le blog de Turgot ici sous le titre, La longue marche du Yuan.

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