vendredi 30 juin 2023

Et le petit ange devint papillon !

Chacun connaît L'Aile du papillon de Pierre Schoendoerffer, à défaut cliquez .

Bien qu'il joue régulièrement au rugby dans l'association Ovale Citoyen à la satisfaction de tous, le jeune apache des fortifs de Nanterre, qui se faisait un nom dans la provocation récurrente des policiers de quartier, a fini plus tôt que prévu dans une rencontre fatale avec deux flics fébriles qui ont loupé la tête mais pas le cœur. Une carrière brisée net mais une carrière de quoi ? qui met le feu à la France entière. Pourquoi ?

Feu Nahel M.
Nahel Merzouk (2006-2023)
Parce qu'il n'est pas acceptable qu'un gosse soit tué à bout portant par l'Etat dans un contrôle routier, surtout en ville et quoiqu'il ait fait. Que le lecteur n'attende pas dans ce court billet d'actualité la genèse du chaos sauf à comprendre un jour que tout est parti du quinquennat de Nicolas Sarkozy, mandat gangréné par son irrépressible envie de saccager le domaine régalien. Restons-en au constat de dècès du "vivre-ensemble". Il y a aujourd'hui en France plusieurs communautés qui se reconnaissent concurrentes dans l'occupation de l'espace public. Sans les citer toutes, on connaît la bourgeoisie dans tous ses états, le lumpen-prolétariat écrasé de travail-trajet et de précarité, les rentiers du savoir non impliqués sauf dans les bavardages académiques, et les oisifs souvent allocataires nets. On notera qu'aucune des communautés précitées n'est fondamentalement racisée, même si dans celle des oisifs on trouve en voirie beaucoup de citoyens de couleur, mais c'est un leurre en fait, quand on va au fond ; il suffit de voir la colorimétrie des black-blocs.
Comme dans les temps médiévaux, la sûreté de chaque communauté est recherchée dans une certaine "normalisation" de certains quartiers, dans la gentrification d'autres et dans l'extension de ghettos standardisés souvent rénovés à grand frais. Quand une communauté est agressée par une autre dans le mouvement de la lutte des classes revenue, elle précipite en un bloc défensif d'abord, puis offensif. L'émeute est une défense, les lois de sûreté sont offensives, c'est normal. L'adaptation des réactions réciproques est la plus sûre escalade de la violence, nous y sommes en plein. Faudra assumer sans chercher noise aux lampistes !

Le pouvoir actuel, tout de la gueule, va donc monter le niveau de la réponse à l'issue du Conseil des Amateurs qui se tient en ce moment à Beauvau. Etat d'urgence ou état de siège (clic) ? Inévitablement, il va cimenter une solidarité intra-cité jusqu'à faire sortir les kalash des caves si on pénètre les zones de non-droit avec des blindés. Est-ce ce que cherche notre grand impulsif de l'Elysée ? Il aurait tort parce qu'il n'a pas mesuré ou compris le niveau de colère qui traverse ces espaces ghettoïsés et, sans doute aucun, n'a jamais vu la tour entière descendre dans la rue (femmes, enfants, hommes et vieux) pour attaquer la colonne de gendarmerie mobile qui stationne au pied des immeubles. Les participants à ces réunions ministérielles n'ont jamais vu non plus tomber à leur pied ou sur le kangoo de service les plaques d'égout depuis les toits d'immeuble. Ne parlons même pas de mort parmi les émeutiers du quartier considéré. Chaos total. Que faire ?

D'abord arrêter de parler au niveau des pouvoirs publics et de la sphère politique complètement déconsidérée. Mettre au bloc les souffleurs de braise comme J.L. Mélenchon sans s'inquiéter des réactions de leur parti peuplé de rhéteurs de pissotière qui n'ont pas les baloches pour refaire la Commune de Paris ; aller au contact des noyaux durs et les rafler en nombre au filet épervier, ce qui va obliger à les concenter en camp fermé faute de place dans les commissariats pour procéder aux gardes à vue, montre arrêtée ; confiner les cités chaudes avec des sas d'accès contrôlé ; ne pas faire d'exemple, ne pas collectiviser les peines, laisser le pistolet dans l'étui en toute circonstance, le tonfa suffit ; couper les réseaux sociaux si nécessaire, voire même le courant de secteur ; rassurer les forces de l'ordre qui ont bien compris le défi créé par l'instance judiciaire et qui démissionnent en masse, en reprenant en main la Justice. Le temps de réaction des grands naïfs de l'establishment et ceux de la Cour européenne laissera largement celui de la mise au pas ; facultatif : casser la dynamique des fours à coke.

Rien de plus facile dans ce dernier cas : on photographie et on publie les plaques d'immatriculation des acheteurs et on fait pareil de la pièce d'identité de l'acheteur piéton pris en flag. Le bourgeois va cesser rapidement d'aller refaire le plein. Problème avec le droit ? On le change et on traite convenablement les têtes de serpent des réseaux narcotiques ! En passant, on récuse tous les passe-droits des "fils de..." et autres célébrités sans mollir. Bon ! Ça marchera ?
Pas sûr. Le poisson pourrit par la tête et la République aussi.

Il restera ensuite, plus tard, à prendre en compte au niveau de l'Etat les réalités vraies de la société française d'aujourd'hui, fatalement communautarisée, et foutre la paix aux gens dans leurs mœurs et leur vêture par exemple. Cesser l'arrogance des "valeurs républicaines" qui n'en sont pas puisqu'aucun autre pays avancé ne les brandit ni les applique. Un peu de modestie dans l'approche du problème franco-français ne nuira pas, si elle s'accompagne d'une fermeté évidente.
Stop aux grands mots !

dimanche 25 juin 2023

Castration du csar

pince de hongreur
Le même qui a fait tuer son premier opposant politique sous les fenêtres du Kremlin, ne peut pas laisser vivre celui qui l'a humilié en montrant toute sa fébrilité à la face du monde dans ce qui s'avère être ce matin une tragédie de théâtre. Mais à la différence de Nemtsov, Prigojine est au courant des voies et moyens d'injection de la mort qui guette. Où qu'il aille, et surtout pas à Coyoacán du Mexique, il sera sur ses gardes au sens propre et au sens figuré, et il ne boira rien qu'il n'ait préparé lui-même à Bangui ou à Bamako. Tant qu'il aura de l'argent ! Il est probable que Patrouchev et les siloviki vont tarir les ressources du bandit qui les a défiés, à commencer par les commandes d'Etat et les transferts vers les bases lointaines. Puis ils vont le pister sans aucune évaluation de dommages collatéraux - son épouse Lyoubov lui a donné trois enfants - à moins que le proxénète de Saint-Pétersbourg ne détienne un secret qui les ruinerait (bancaire ? ça se raconte...).

Que nous apprend le putsch ? Finalement rien que nous ne sachions déjà. La guerre des gangs n'a pas eu lieu, mais elle reste larvée d'autant plus que le Parrain n'a vraiment pas la carrure de l'emploi - sauf à faire tuer l'un ou l'autre au caprice du jour - et qu'il a laissé monter les revendications de Prigojine pendant des semaines d'insultes à l'endroit de son ministre et de son chef d'état-major, sans rien dire, comme s'il ne savait sur quel pied danser. Ce type est définitivement un subalterne, pas un chef.

Le premier impact de cette pantalonnade atteint la sphère ultra-nationaliste chez qui le doute s'était installé quant aux capacités de stratège du petit csar, et qui se voit confirmée dans son appréciation : Poutine est incapable de finir cette p... de guerre.

L'autre impact est sur l'oligarchie régnante. Les coffres ne sont plus gardés à l'intérieur du pays, les sanctions entament de beaucoup les possessions externalisées, la guerre ne va rien leur rapporter, si tant est que l'on tienne longtemps du territoire conquis en Ukraine. Si la franche camaraderie a disparu, si la fâcherie est manifeste à voir les défenestrations, la franche hostilité n'est pas déclarée sauf par des exilés de longue date comme Khodorkovski, à cause des escadrons de la mort qui patrouille le globe. Si le pronostic est plus complexe que les capacités d'analyse du blogueur assis, il est, dans cet empire pourri qu'est la Fédération de Russie, une action qui n'a pas été tentée par les Américains et qui avait parfaitement réussi en Irak au moment de la marche sur Bagdad : acheter les commandants d'unités dans le dos de Saddam Hussein. Une grande pizzeria à Reno avec un million de dollars de mise de fonds, ça peut tenter ! La discussion apaisée (clic) entre Prigojine et le vice-ministre de la Défense russe Iounous-bek Evkourov d'un côté et un général de l'armée russe de l'autre, au QG de Rostov-sur-le-Don abandonné par Guerassimov, montre une certaine compréhension mutuelle. Il sera plus dur de faire monter aux échelles de tranchée les fantassins qui auront vu cette vidéo après avoir entendu les allégations dévastatrices du patron de Wagner pour le haut-commandement.

mercredi 21 juin 2023

Mouseland, une tentation d'anarchie

drapeau noir de l'anarchie
(PJP)
En été, fais ce qu'il te plaît ! Cette insurrection qui vient doucement et que d'autres (Cortes et Leurquin) appellent "L'Affrontement", ne pourra être contenue sans que soit augmentée la répression au-delà des dispositions du droit actuel, ce qui augure un durcissement de la loi. Mais avec une majorité relative sous tension au Palais Bourbon, la marche au flicage n'est pas gagnée d'avance. On rit déjà aux contorsions sémantiques indispensables au gouvernement pour agréger à son projet répressif les partis de la périphérie affamés de maroquins. Elisabeth Borne va devoir avaler le chapeau, la jugulaire et la plume de faisan qui jusqu'ici l'ornait. Son problème est que tous les moyens existent ailleurs pour bloquer l'insurrection et qu'on ne peut botter en touche en mettant l'affaire à l'étude comme d'hab. Ils existent, tels qu'ils sont déployés largement par les régimes autoritaires, même barbouillés d'un pastel démocratique, et que s'y adonner n'est pas moral aux yeux de la bienpensance, laquelle s'y fera quand même, soyons-en sûrs, dès que la maison de campagne en Normandie sera menacée. Comme le suggérait une fois Ségolène Royal, le ministère de la police chinois te réglerait ça en trois coups de cuillère à pot, avec la reconnaissance faciale et la numérisation de toute vie, dans l'espace public pour commencer.

Le suffrage universel et l'exercice obstiné de la démocratie à éclipse que le peuple a choisi en 1962 sans n'y rien comprendre, ne règleront rien. Chacun doit se préparer mentalement à être gouverné autrement demain. Peut-être même à ne plus intervenir dans la sphère politique existante sauf à la marge. Vous verrez s'affronter deux mouvances, l'anarchie peut-être organisée, parée de noms moqueurs ou généreux d'une part, et le bloc de la Raison qui tiendra sur ses intérêts de l'autre. Entre les deux, des partis liquides comme LR ou le PS en attente d'être liquidés et des coteries du bonneteau politique rappelant les partis de la Fronde. Le modèle actuel est mort de toute façon.

L'anarchie en bas ? voire "l'anarchie plus un" de Charles Maurras ? Je répondais tantôt à un intervenant qui m'est cher que si je promouvais la démocratie directe à l'échelon des collectivités locales, avec territorialisation de l'impôt consenti pour responsabiliser le votant, j'attendais en revanche un système fondé sur les provinces (comme le Bundesrat) pour légiférer à l'échelon national. Parce qu'à ce niveau d'appréhension des enjeux, faire voter des gens sur un programme comportant, outre les mesures clientélistes abondant au Hamac national, les gigafactories, l'ordinateur quantique et la loi de programmation militaire, c'était se foutre du monde. Quant aux capacités cognitives du peuple, que ne dira-t-on ici qu'on n'ait déjà mille fois dit partout, jusqu'à la boutade de Winston Churchill sur le régime parlementaire "...à l'exclusion de tout autre", formule ironique assénée en dernier recours par les thuriféraires de la démocratie universelle et que je traduis par un "mais vous l'avez voulu !". En fait, c'était une vacherie du vieux lion machouillant son Romeo y Julieta.

Dans sa parabole des chats gouvernant les rats, Thomas C. Douglas (1904-1986) s'insurgeait contre la servitude volontaire des peuples régis par les protocoles démocratiques. En 1576, Etienne de La Boétie avait déjà fait le tour de la question, apparemment en vain, à voir la supercherie démocratique actuelle. En 1961, Douglas avait repris le concept en le décapant à l'acide de la lutte des classes et ça avait donné "Mouseland" (cinq minutes qui en valent bien plus):



Liens de cet article en clair :
- L'anarchie sans désordre (PJP) : https://lireestunplaisir.wordpress.com/2021/03/20/lanarchie-est-la-plus-haute-expression-de-lordre-elisee-reclus/
- La Boétie : https://www.espacefrancais.com/la-boetie-discours-de-la-servitude-volontaire/
- Tommy Douglas : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/tommy-douglas

dimanche 18 juin 2023

Rien et cetera desunt

Ce week-end est celui de l'ultragauche, cornaquée par la Nupes, les zadistes de l'anarchie et les altermondialistes. Grand drapeau noir sur le pont de Saint-Rémy-de-Maurienne. Le fond de l'affaire donne du grain à moudre aux deux parties dès lors que la mauvaise foi est partagée équitablement, aggravant l'incompréhension réciproque. En fond d'écran, l'incapacité de la SNCF a organiser un ferroutage attractif sur la ligne historique franco-italienne par le Fréjus... après un milliard d'euros de rénovation ! Mais c'est une vieille histoire. Il y a longtemps que le fret ferroviaire aurait dû être donné au privé, y compris la traction, les chantiers à conteneurs, les parcs rail-route et les gares de marchandises. Tout !

carte LGV Lyon-Turin
La LGV Lyon-Turin raccourcit les distances et compacte l'espace des quatre pôles industriels majeurs que sont Lyon, Grenoble, Turin et Gênes. Mais si on milite pour la décroissance forcée des territoires, c'est vrai qu'elle va à contresens. Alors faisons comme en Suisse : qu'en pense le peuple des Alpes ? Globalement il est pour la LGV, comptant sur les retombées du chantier pharaonique et sur l'emploi induit par le développement économique. Mauvaise langue, je pense que dans la masse des écolos-radicaux il y a peu de gens à leur compte ; et beaucoup d'allocataires, du lest, des poids morts dont le pays n'a pas besoin. Des écœurés sociaux, pas mal !
Chacun ici a compris que la question posée par cette insurrection larvée, qui vient à tous motifs pourvu que l'on soit contre, signe la crise d'un modèle démocratique à bout de souffle, à force d'avoir été dévoyé pour servir les intérêts et visions d'une noblesse d'Etat qui a accaparé tous les pouvoirs. Et rien de ce que nous entendons chez la bienpensance pour sauver les "valeurs" n'est au niveau de l'enjeu. Notre démocratie est aussi inadaptée au monde qui se précipite au devant d'elle que pourrie. On y reviendra ; on y revient toujours.

A Brest, ils se sont bien marrés. Les nervis de la "gauche de gouvernement", les antifas renforcés des gilets rouges de la CGT, ont cassé du "facho" à l'hôtel Océania à l'occasion d'une séance de dédicade d'Eric Zemmour. Peine perdue, pas de mort, donc pas d'exploitation médiatique sérieuse ! On ne voit pas souvent l'ultradroite agresser les littérateurs obscurs de la gauche, sans doute à défaut de succès, les tirages étiques étant bien suffisants comme punition.
Conseil gratuit aux cadres du parti Reconquête : achetez-vous un service d'ordre, plutôt de la corpulence d'un Papacito ou d'un Vardon que celle d'un Stanislas Rigault, aussi sympathique soit-il, même si le grand maigre mle 1312 à petit chignon n'est pas bien difficile à démonter de ses grands airs. Un peu de close-combat au prochain séminaire de Marion ne nuira pas. En désespoir de cause, je donnerai le 06 d'une brigade de sécurité 100% viet, mais faudra prendre une assurance-obsèques.

C'est tout ? Non. C'est dimanche. Plus kitsch qu'une chanson traditionnelle de Chine, tu meurs :


mardi 13 juin 2023

Pourquoi faire simple quand on peut compliquer ?

registre paroissial d'état-civil

Faisant un peu de généalogie familiale entre deux tailles au jardin, j'ai fouillé les registres paroissiaux et plus tard d'état-civil de deux villages sur la période 1680-1810. Si le registre est toujours un livre relié au chiffre de l'administration du moment, parfois coté parfois non, la dérive inflationiste du texte est manifeste. Sous l'ancien régime, le curé ou le prieur en charge des écritures va à l'essentiel (mais il y a tout ce qui concerne l'inscrit, tant au baptême, mariage ou sépulture) et la confiance est totale dans l'intelligence même mesurée de qui le consultera plus tard. Par exemple on ouvre l'année par son chiffre en lettres et les inscriptions à suivre commenceront par la formule "L'an que dessus et le...", quand d'autres montreront un peu d'orgueil dans leur fonction en commençant chacune par une formule du genre"Cejourd'hui en l'an mil sept cens trente cinq etc. ".

Arrive la République. Déjà l'inscription, qui sous l'ancien régime prenait cinq à six lignes voire plus pour un mariage surtout entre conjoints de paroisses différentes, occupe maintenant la moitié de la page du registre, et les trois quarts de l'inscription concerne non pas l'inscrit mais le scribe. Ainsi au hasard pour la naissance normale d'une gamine à Tressan :
« Aujourd'hui Septième de Ventose En deux de La République a honze heures du matin Par devant moy Jean Ribot membre du Conseil Général de la Commune de Tressan Elu pour dresser Les actes destinés à Constater les naissances mariages et décès des citoyens Est comparu en la Salle publique de La maison Commune Le Citoyen Guillhaume Serraux assisté de françois Serraux son frère agé de trentehuit ans Et françois aubert Son Beaufrère agé de quarante ans a déclaré à moy jean Ribot que Marianne nougaret son Epouse en légitime Mariage est accouchée avant hier cinquième jour du présen mois de Ventose a trois heures apres midi dans la maison dhabitation audit Tressan D'une fille a laquelle a donné le nom de marianne serraux Daprès la Déclaration du dit guillhaume Serraux et françois serraux Et françois aubert dommicilés dans la ditte muncipalité qui ont Certifié Conforme à la vérité et de la représentation qui m'a eté faitte de lenfant denommé jai Rédigé en vertu des Pouvoirs qui me sont délégués le Présent acte que le père de Lenfan a signé avec moi et les témoins fait en La maison commune de tressan Département de l'hérault le jour mois an que dessus------(suivent les signatures) »

Nota : J'ai respecté au possible les capitalisations et fautes diverses qu'on pourra vérifier par ce lien sur Pierres Vives

Dès lors vous savez tout sur la situation de la commune même si elle est unique au monde, parfois son département de rattachement ou arrondissement, quelquefois canton, d'autres fois les trois ensemble comme des poupées russes. L'année est bien sûr répétée à chaque inscription comme étant celle de République française si d'aventure les Vendéens investissaient la mairie dans la nuit, puis vient le titre nom et grade du receveur de l'acte et le cas échéant le motif de sa présence au pupitre (absence ou maladie du titulaire), souvent aussi l'heure de l'inscription, et tout renseignement qui lui semblera utile à montrer son importance au milieu de villageois qui accomplissent la démarche sans malice, et qui ont souvent du mal à signer proprement. Les circonstances générales de la saisie de l'acte comme la situation de la commune sur le globe terrestre vont se répéter une bonne centaine de fois à l'identique tout au long des pages. Il arrive aussi que le plumitif fasse assaut de calligraphie, les caractères à l'anglaise plaisent beaucoup parce que plus difficiles à lire par les ploucs et tellement élégants, bien au-dessus de leur condition. On n'imagine pas le plaisir sans mélange du cuistre teuton qui rédige en gothique bien serré.

Au résultat, le temps de consultation du généalogiste même amateur est considérablement augmenté par le "progrès". Je vous explique : quand vous recherchez les trois étapes de la vie de quelqu'un (naissance, mariage, décès) vous imprimez dans votre cerveau son nom et prénom mais aussi ceux du conjoint (qui sert de détrompeur en cas d'homonymie) et de la parentèle proche ; puis vous balayez du regard les deux premières lignes de l'inscription dans le registre paroissial, souvent en mauvais état (plus le village est petit, moins on s'applique à bien écrire) et si rien n'accroche vous passez à l'inscription suivante ; il faut dix secondes. Dans le registre "moderne" tenu par les nouveaux administrateurs, ces noms sont situés dans le troisième quart de l'inscription fort copieuse, au milieu de mots non déterminants. Il faut trente secondes ou plus, si l'écriture est lisible. A quand même une exception près, dans une petite ville de l'an II où le registre tenu par une lumière commence ses inscriptions du style "Acte de décès de Gérault Tarthampion, en date du...etc." Evidemment ça n'a pas duré, et son successeur a repris le modèle complet en usage avant cette marque d'audace ! D'autres officiers d'état-civil, agacés sans doute par le foutoir réglementaire, ont écrit dans la marge de qui on parle. Mais ça, les curés de l'ancien temps le faisaient déjà. Et dans ce cas-là on va très vite.

On notera de cette époque et particulièrement avant 1793, l'inscription fréquente d'enfants naturels de mère désignée, sinon la formule est "légitime et naturel" ce qui veut dire "non adopté". Et plusieurs fois par an dans des villages de moins de mille habitants l'inscription d'enfants trouvés (sous le porche de l'église le plus souvent). Ils sont baptisés avec deux prénoms dont l'un deviendra son patronyme. Le choix des prénoms n'est pas clair mais il peut être ceux des témoins au baptême. Autre curiosité dans le Midi, les inscriptions d'abjuration de la foi réformée après la Révocation de 1685. Et à cette occasion, le prêtre à plume s'applique spécialement, c'est une victoire sur le démon de l'hérésie.

Ce goût immodéré du jargon pour impressionner les masses laborieuses continue de nos jours - il faudra bientôt créer des interprètes des textes de loi - mais ça remonte à très loin. Boiffils de Massanne dit que les rédactions ampoulées ont été rapportées de Byzance par les notaires de la croisade, impressionnés sans doute par l'enculage des mouches grecques. Et on passa du droit à la chicane. Quand il suffisait auparavant pour acheter un terrain de bien le situer, de connaître ses voisins par la formule de confrontation et d'avoir les noms et qualités des parties à la vente sans oublier à qui répondait la tenure ; il faudra, après les croisades, noyer la description et l'accord financier des parties d'attendus et considérants divers sans autre intérêt que celui de faire monter les honoraires, le tout en latin d'étude (de cuisine), parfaitement incompréhensible du tenancier moyen. On était passé des douze tables de la Loi aux édits de Constantinople.

Aujourd'hui, nos actes notariés ont été modélisés dans un jargon très obscur pour quelqu'un qui est peu versé dans le droit, mais il y a loin encore entre leur rédaction et celle des lois et décrets que débite le pouvoir en continu. Nous en avons déjà parlé ici. Les petits esprits se gobergent de formules ronflantes autant qu'ils sont petits. On devrait donner le travail de scribe à l'intelligence artificielle. On me dit dans l'oreillette que c'est en cours. Comme quoi, il ne faut pas désespérer d'une société auto-immune !

jeudi 8 juin 2023

Les franchises municipales redeviennent nécessaires

La question des libertés basses revient en force avec la contestation populaire des édiles municipaux transformés en courroies de transmission des vues et bévues de l'Etat central, rôle normalement dévolu au préfet de la République. Depuis l'aube des temps, le maire, quel que soit le titre que lui donne la tradition ou la loi, a pour charge et fonction d'administrer ses concitoyens au meilleur avantage de la communauté entière qui l'a désigné. Il arrive assez souvent qu'il se dresse entre la technocratie aveugle et les gens, et c'est finalement sa première utilité sinon la seule. L'affaire de Saint-Brévin nous a montré à quoi conduit l'inversion de la charge : ayant choisi l'air du temps qui plaît en haut lieu contre le bonheur local, le maire est, d'une façon ou l'autre, chassé par ses électeurs avant le jour du règlement des comptes, celui de l'élection municipale. On est en plein dans la question des libertés communales qui doit trancher entre le bien commun à l'étage des collectivités locales et l'intérêt général proclamé par l'Etat national. D'où l'intuition du Piéton à cantonner cet Etat central au domaine régalien (cf. infra).

L'affrontement entre le pouvoir zonal ou royal et les villes a commencé au haut moyen-âge dès l'enclenchement de l'urbanisation de certains espaces propices à des activités plus évoluées que les labours et les moissons comme l'artisanat, l'industrie, la chicane et le négoce. Chaque fois que le territoire changeait de seigneur, l'impétrant devait reconfirmer les franchises municipales, à défaut de quoi il entrait en période de troubles et de moindre revenu. Parfois ça se passait mal et les hallebardiers n'y suffisant pas, il fallait porter l'affaire au niveau de pouvoir supérieur, la viguerie, la sénéchaussée voire même aux Etats. Quand on se retourne sur le passé, on distingue parfaitement que la revendication des libertés communales a rythmé toute la vie provinciale de l'Ancien régime. C'est la République qui imposa progressivement l'uniformisation grisâtre des mœurs et l'égalitarisme destructeur de créativité individuelle. Il n'est de jour que ne soit signalé un grand agacement de la "base", même si le peuple français est de ceux qui se couchèrent le plus vite devant la normalisation, au point d'en faire une "valeur républicaine".

le roi carliste Carlos VII
A l'opposé de nous est un pays rebelle à l'entropie qui s'appelle l'Espagne. La péninsule ibérique est un amalgame d'anciens royaumes jaloux qui ont laissé derrière eux le goût immodéré des particularismes, mais surtout celui des droits et privilèges associés (les fors). Les quatre provinces les plus fières sont l'Euzkadi, la Catalogne, la Galice et l'Andalousie, qui ne cessent de réclamer des garanties à l'Etat castillan. C'est d'ailleurs ce tropisme régionaliste qui a servi de porteuse aux trois guerres carlistes. La devise carliste est toujours résumée en quatre termes : "Dios, Patria, Fueros y Rey". Soit la définition d'un royaume fédératif respectant la patrie de chacun en ses droits, sous la protection de Dieu et du Roi de toutes les Espagnes.

Si le motif du déclenchement de la guerre espagnole du XIXè siècle tient en partie dans l'usurpation du trône par la fille de Ferdinand VII au détriment du frère d'icelui en 1833, apparaissent deux autres moteurs de la guerre : le réformisme libéral des bourgeois des villes contre le traditionalisme des propriétaires terriens, et la menace d'uniformisation des mœurs politiques gouvernant les territoires, explicitée par les Cortes de Cadix(1) en 1812 : ce sont les fameux fueros municipales. L'université de Salamanque les décrit précisément : « Les chartes locales, chartes municipales ou, simplement juridictions disposaient en leurs termes du droit applicable dans une certaine localité ou territoire dont le but était de réglementer la vie locale en établissant un ensemble de normes, coutumes héritées, droits et privilèges accordés soit par le roi, soit par le seigneur de la terre, ou convenus entre les habitants eux-mêmes. Ce système de droit local fut utilisé dans la péninsule ibérique depuis le Moyen Âge et fut la source la plus importante du droit espagnol.»
Note (1): La première constitution espagnole de 1812 décréta la suppression des fors pour favoriser l'égalité de tous les Espagnols sur tous les territoires. Cependant, ils furent restaurés sous le règne de Ferdinand VII (1814-1833)


On notera que sous le règne des Habsbourg les fors furent toujours respectés par le pouvoir central et parfois même élargis quand nécessaire dans la tradition du Saint-Empire, alors que l'avénement des Bourbons déclencha la centralisation forcée(2) dans la grande tradition césarienne française.
Note (2): par les Decretos de Nueva Planta les royaumes de la couronne d'Aragon favorable à une succession autrichienne furent dépouillés de leurs tribunaux, institutions propres et de leurs fors, qui furent remplacés par les modèles castillans, tandis que Navarrais et Basques conservèrent les leurs pour avoir soutenu les Français.


Pour revenir chez nous, le projet monarchique doit cesser les dérives caporalistes de la République Cinquième en instituant une monarchie fédérative et sociale qui se préoccupera d'abord du bonheur possible des gens, sur leurs terres, et de leur réelle protection, avant toute éducation des masses. Sinon, l'Etat deviendra vite oppressif si d'aventure il vous vient à l'esprit de faire autre chose que de consommer : penser à haute voix par exemple en dehors du catalogue officiel du prêt-à-penser. Nos chefs de la police (ou plus joliment dit "ministres de l'Intérieur") sont devenus progressivement ceux de la police de la pensée ! De Valls à Darmanin, c'est flagrant. Que l'Etat gère l'opinion au niveau national fut de toutes les époques, mais les libertés basses (clic) sont les plus valables, qui méritent d'être défendues pied à pied, même le dos au mur. Un article plus long embrayerait maintenant sur l'idée de décentralisation de Charles Maurras, mais les Amis du Chemin de Paradis font ça très bien.

En guise de conclusion, nous pouvons rappeler ce propos de Patrice Sicard(3) que le quotidien numérique Je Suis Français remet en ligne aujourd'hui et qui militait dès la fin des années 60 pour le moins d'Etat par la monarchie justement :
« Nous tirons de l’expérience historique les caractéristiques institutionnelles de l’État monarchique. Pour désamorcer l’impérialisme de l’État technobureaucratique, la solution est précisément la création d’un État dont le ressort profond ne soit pas la prise en charge universelle de tous les aspects de la vie nationale. Nous sommes royalistes parce qu’il n’y a pas moyen d’avoir un minimum d’État autrement que par la monarchie. Nous voulons réduire l’invasion de la société par l’appareil étatique, mais d’un autre côté celui-ci doit être assez indépendant, structuré et ferme pour imposer l’intérêt national, résorber les contradictions sociales, jouer la carte des forces populaires contre la technobureaucratie qui ne se dissipera certainement pas par un coup de baguette magique.»

Note (3): Patrice de Plunkett


A l'occasion, relire sur ce blogue-ci la lettre à Angèle de Robert Brasillach sur le carlisme en cliquant ici.
Et méfiez-vous des imitations !

Liens de cet article en clair :
- Carlos VII : https://es.wikipedia.org/wiki/Carlos_de_Borb%C3%B3n_y_Austria-Este
- Libertés basses : https://royalartillerie.blogspot.com/2008/01/libertes-basses.html
- L'idée de décentralisation : https://maurras.net/2008/03/24/lidee-de-decentralisation/
- Patrice Sicard : https://www.jesuisfrancais.blog/2023/06/06/breves-de-patrimoine-de-laction-francaise-patrice-sicard-dans-les-annees-1960-definissait-sous-forme-precise-et-equilibree-les-caracteristiques-institutionnelles-de-letat-m/
- Lettre à Angèle : https://royalartillerie.blogspot.com/2005/02/en-ces-jours-dartillerie-revenons-au.html

dimanche 4 juin 2023

Futile résistance ?

étudiants studieux sur la place Tiananmen

Tian-An-Men 89, apogée moderne de la Connerie-en-bottes-de-fer, nous rappelle la nature profonde de l'Etat communiste qui est de "se maintenir". Le bon monsieur Deng avait jugé que deux cent mille morts seraient la limite à ne pas franchir pour éteindre la contestation libertaire de mai, avant que la conscience internationale ne lui fasse des reproches. Par chance, ils n'étaient pas organisés, passèrent sous les chenilles sans broncher et furent capturés sans combattre par tout le pays, puis disparurent. Il avait raison. A la fête nationale chinoise de 1989, le monde des affaires au complet se précipita à l'ambassade de Chine populaire à Paris porter ses félicitations au représentant du Parti communiste.
Ils avaient demandé la démocratie alors qu'ils rêvaient de libertés. Fatale confusion. Sur les secondes, ils auraient pu être entendus, le Premier secrétaire Zhao Ziyang les avait compris ; il lui en cuira.


fleur de chrysanthème
Qu'ils reposent dans la paix des illusions perdues !

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