#2235 - La déclaration de politique agricole livrée par le premier ministre à la ferme de Montastruc ce 26 janvier n'a pas déclenché autant d'applaudissements que la fraîcheur bucolique de l'exercice le laissait espérer. Comme pour l'insurrection des Gilets Jaunes, les réponses du pouvoir sont confinées à l'intérieur d'un paradigme économique qu'il ne maîtrise pas, et si les mesures prises au moment ne sont pas négligeables, au vu de leur prix pour le budget national, elles n'entrent pas dans le dur des revendications paysannes.
Ce que cherchent à faire comprendre sans le dire explicitement les centrales syndicales agricoles au gouvernement, c'est leur désamour pour le libéralisme accusé de mise en concurrence faussée. La liste des revendications posées sur la table des négociations croise à angle droit la doxa libérale de la Commission européenne qui a toujours fait la part belle à l'industrie, la bancassurance et pour ce qui nous occupe, à l'agriculture commerciale accédant aux marchés internationaux, une agriculture latifundiaire réglée pour affronter les grands producteurs mondiaux. Certes, les exploitations d'alimentation du quotidien ont bien été prises en compte par Bruxelles sur l'insistance des pays producteurs européens dans l'optique de préserver une souveraineté alimentaire qui effectivement fut atteinte, puis oubliée, mais la diversité des conditions opérationnelles et la foultitude de produits concernés ont multiplié les normes et standards particuliers qu'il est devenu presque plus difficile de produire aux champs qu'en usine.
Nous pourrions faire un autre article dédié à cette spécificité française obligeant les productions livrées au marché intérieur d'entrer dans la seringue de quatre centrales d'achat (bientôt trois avec l'union Auchan-Intermarché ?) faisant la pluie et le beau temps en fixant quotidiennement leur tarif adapté à la consommation de masse la plus large et à leurs marges d'aval. Une autre fois peut-être.
Quand vous écoutez les leaders paysans, vous en retenez la même fréquence porteuse chez tous : ils réclament la protection générale du secteur considéré comme ressortant au domaine public (X milliards de crédits budgétaires annuels de fonctionnement) et la liberté individuelle dans le périmètre de chacun. Même schéma pervers que celui de la médecine de ville. Si on entre dans le détail des revendications sectorielles on est obligé de passer en revue toutes les agricultures concernées pour à la fin se rendre compte qu'elles ont des conditions d'exploitation très différentes, ce qui n'est pas l'intention de ce billet de simple jardinier. Il y a des journaux pour ça (clic).
Quand on aura dit que l'agriculture européenne dans son ensemble est une activité économique subventionnée au niveau européen et protégée des calamités au niveau national, on en déduira facilement que les bailleurs de fonds gardent leur mot à dire sur les effets de leur investissement et que les budgets nationaux sont bridés par une logique comptable simple, celle des déficits paralysants. La crise des filières agricoles européennes participe de la concurrence économique mondiale exaltée par l'Organisation mondiale du commerce, légataire universel du comptoir des droits de douane, le General Agreement on Tariffs and Trade de 1948. Le dispositif de régulation des échanges est globalisé, au sens qu'il peut y avoir des secteurs moins favorisés tant que l'économie globale croît et satisfait ses consommateurs. Pourquoi pas si l'on déploie des filets de protection pour éviter la ruine de tel ou tel. Mais où cela devient assez vicieux, c'est lorsque une communauté d'intérêts économiques s'accouple avec une autre communauté d'intérêts économiques, globalement et toujours moins disante dans ses prix de revient. Pourquoi ?
Parce que les agricultures commerciales du Sud sont éminemment capitalistiques. Ce sont de grands domaines adossés à des fortunes foncières anciennes qui savent profiter des cours mondiaux et amortir les mauvaises passes dans le temps. L'inverse des agricultures européennes fondées généralement sur la ferme et les traites bancaires cautionnées. Sauf dans les grandes exploitations céréalières ou dans le "champagne", les comptes de nos agriculteurs n'ont pas le fond de roulement capable d'amortir les aléas climatiques ou mercantiles. C'est pour eux un stress permanent qui conduit parfois à détériorer leur santé mentale et les pousse au stop ultime. En ce sens, la crise que nous traversons est autant sociologique qu'économique.
C'est bien pourquoi la profession est si remontée contre la démarche allemande de traité de libre échange avec les pays du MERCOSUR, poussé en avant par la Deutschland AG et son fondé de pouvoir à Bruxelles, Ursula VDL. Il n'y a aucune chance pour que l'agroalimentaire européen fasse son nid en Amérique latine, hormis chez les consommateurs très favorisés capables d'absorber luxe et gastronomie, quand il est plus que probable que les produits industriels européens, dont la filière automobile portée par l'Allemagne et l'Espagne, y trouvent leur compte et largement, à mesure qu'augmentera le niveau de vie d'un bassin de 260 millions de clients. Cette prospérité annoncée sera compensée par la ruine de certaines filières françaises, à commencer par l'agriculture de montagne, filières tenues à bout de bras et incapables d'affronter une concurrence largement faussée de productions à bas coûts.
Les centrales syndicales en agrégeant les menaces sectorielles ont parfaitement compris que dans cette globalité elles jouaient leur peau. Mais on les avait peu entendues quand les ONG spécialisées dans l'agriculture tropicale dénonçaient la submersion des marchés alimentaires africains par des produits européens subventionnés à mort, qui ruinaient certains efforts de développement de cultures vivrières soumises à une concurrence internationale non souhaitée. Nous sommes aujourd'hui dans le même schéma, en position inversée et l'Afrique c'est nous !
Des décisions les plus positives annoncées par Gabriel Attal à Montastruc, je retiendrai la simplification des normes et l'arrêt de leur surtransposition en France. Mais il faudra batailler ferme à Bruxelles contre leur bureaucratie en même temps que nous briderons la nôtre à Paris, et je ne vois pas bien Emmanuel Macron dans ce combat tant il me semble absorbé par son destin européen. Au final, le débouché des négociations avec le MERCOSUR sera la pierre de touche de sa sincérité.
Ce que cherchent à faire comprendre sans le dire explicitement les centrales syndicales agricoles au gouvernement, c'est leur désamour pour le libéralisme accusé de mise en concurrence faussée. La liste des revendications posées sur la table des négociations croise à angle droit la doxa libérale de la Commission européenne qui a toujours fait la part belle à l'industrie, la bancassurance et pour ce qui nous occupe, à l'agriculture commerciale accédant aux marchés internationaux, une agriculture latifundiaire réglée pour affronter les grands producteurs mondiaux. Certes, les exploitations d'alimentation du quotidien ont bien été prises en compte par Bruxelles sur l'insistance des pays producteurs européens dans l'optique de préserver une souveraineté alimentaire qui effectivement fut atteinte, puis oubliée, mais la diversité des conditions opérationnelles et la foultitude de produits concernés ont multiplié les normes et standards particuliers qu'il est devenu presque plus difficile de produire aux champs qu'en usine.
Nous pourrions faire un autre article dédié à cette spécificité française obligeant les productions livrées au marché intérieur d'entrer dans la seringue de quatre centrales d'achat (bientôt trois avec l'union Auchan-Intermarché ?) faisant la pluie et le beau temps en fixant quotidiennement leur tarif adapté à la consommation de masse la plus large et à leurs marges d'aval. Une autre fois peut-être.
Quand vous écoutez les leaders paysans, vous en retenez la même fréquence porteuse chez tous : ils réclament la protection générale du secteur considéré comme ressortant au domaine public (X milliards de crédits budgétaires annuels de fonctionnement) et la liberté individuelle dans le périmètre de chacun. Même schéma pervers que celui de la médecine de ville. Si on entre dans le détail des revendications sectorielles on est obligé de passer en revue toutes les agricultures concernées pour à la fin se rendre compte qu'elles ont des conditions d'exploitation très différentes, ce qui n'est pas l'intention de ce billet de simple jardinier. Il y a des journaux pour ça (clic).
Quand on aura dit que l'agriculture européenne dans son ensemble est une activité économique subventionnée au niveau européen et protégée des calamités au niveau national, on en déduira facilement que les bailleurs de fonds gardent leur mot à dire sur les effets de leur investissement et que les budgets nationaux sont bridés par une logique comptable simple, celle des déficits paralysants. La crise des filières agricoles européennes participe de la concurrence économique mondiale exaltée par l'Organisation mondiale du commerce, légataire universel du comptoir des droits de douane, le General Agreement on Tariffs and Trade de 1948. Le dispositif de régulation des échanges est globalisé, au sens qu'il peut y avoir des secteurs moins favorisés tant que l'économie globale croît et satisfait ses consommateurs. Pourquoi pas si l'on déploie des filets de protection pour éviter la ruine de tel ou tel. Mais où cela devient assez vicieux, c'est lorsque une communauté d'intérêts économiques s'accouple avec une autre communauté d'intérêts économiques, globalement et toujours moins disante dans ses prix de revient. Pourquoi ?
Parce que les agricultures commerciales du Sud sont éminemment capitalistiques. Ce sont de grands domaines adossés à des fortunes foncières anciennes qui savent profiter des cours mondiaux et amortir les mauvaises passes dans le temps. L'inverse des agricultures européennes fondées généralement sur la ferme et les traites bancaires cautionnées. Sauf dans les grandes exploitations céréalières ou dans le "champagne", les comptes de nos agriculteurs n'ont pas le fond de roulement capable d'amortir les aléas climatiques ou mercantiles. C'est pour eux un stress permanent qui conduit parfois à détériorer leur santé mentale et les pousse au stop ultime. En ce sens, la crise que nous traversons est autant sociologique qu'économique.
C'est bien pourquoi la profession est si remontée contre la démarche allemande de traité de libre échange avec les pays du MERCOSUR, poussé en avant par la Deutschland AG et son fondé de pouvoir à Bruxelles, Ursula VDL. Il n'y a aucune chance pour que l'agroalimentaire européen fasse son nid en Amérique latine, hormis chez les consommateurs très favorisés capables d'absorber luxe et gastronomie, quand il est plus que probable que les produits industriels européens, dont la filière automobile portée par l'Allemagne et l'Espagne, y trouvent leur compte et largement, à mesure qu'augmentera le niveau de vie d'un bassin de 260 millions de clients. Cette prospérité annoncée sera compensée par la ruine de certaines filières françaises, à commencer par l'agriculture de montagne, filières tenues à bout de bras et incapables d'affronter une concurrence largement faussée de productions à bas coûts.
Les centrales syndicales en agrégeant les menaces sectorielles ont parfaitement compris que dans cette globalité elles jouaient leur peau. Mais on les avait peu entendues quand les ONG spécialisées dans l'agriculture tropicale dénonçaient la submersion des marchés alimentaires africains par des produits européens subventionnés à mort, qui ruinaient certains efforts de développement de cultures vivrières soumises à une concurrence internationale non souhaitée. Nous sommes aujourd'hui dans le même schéma, en position inversée et l'Afrique c'est nous !
Des décisions les plus positives annoncées par Gabriel Attal à Montastruc, je retiendrai la simplification des normes et l'arrêt de leur surtransposition en France. Mais il faudra batailler ferme à Bruxelles contre leur bureaucratie en même temps que nous briderons la nôtre à Paris, et je ne vois pas bien Emmanuel Macron dans ce combat tant il me semble absorbé par son destin européen. Au final, le débouché des négociations avec le MERCOSUR sera la pierre de touche de sa sincérité.
Bibliographie d'une thèse
. Christophe Guilluy, La France périphérique (chez Slate)
. Robert Redeker, Le Peuple de la terre (chez JSF)
. Nicolas Baverez, L'Euthanasie de l'agriculture (via Le Figaro)
. Jérôme Fourquet, l'Archipel français (chez Cairn)
. Le Lys écologique (chez le Groupe d'Action royaliste)
et plus ancien mais toujours moderne :
. Les Géorgiques de Virgile (par Frédéric Boyer)
. Christophe Guilluy, La France périphérique (chez Slate)
. Robert Redeker, Le Peuple de la terre (chez JSF)
. Nicolas Baverez, L'Euthanasie de l'agriculture (via Le Figaro)
. Jérôme Fourquet, l'Archipel français (chez Cairn)
. Le Lys écologique (chez le Groupe d'Action royaliste)
et plus ancien mais toujours moderne :
. Les Géorgiques de Virgile (par Frédéric Boyer)