Avant-propos
Royal-Artillerie donne une série de six billets sur la stratégie chinoise des années à venir. Voici donc le troisième billet. Ce travail s'appuie sur un dossier publié le 10 décembre 2010 par le Qiu Shi Journal, organe doctrinal officiel du Comité Central du Parti communiste chinois et successeur du Drapeau Rouge (红旗). L'original est accessible en cliquant ici. Nota bene: Après quelques échanges entre Chinascope.org et le site du Qiu Shi, l'organe du Comité Central a publié une mise au point : « "The above article only represents the personal views of the author and does not represent the position or views of Qiushi Journal or this site" ».
Nous rappelons que chaque billet traite un des six points stratégiques recencés, sous une forme identique : évaluation de la menace américaine (en rouge), contre-mesures chinoises, analyse du piéton du roi (en bleu). Dans l'ordre, il s'agit de :
① la guerre économique ② la guerre monétaire ③ la guerre médiatique | ④ la campagne anti-chinoise ⑤ les bruits de sabres ⑥ l'encerclement |
LA GUERRE MEDIATIQUE
Guerre de l'opinion publique. Les Etats-Unis sont les meilleurs pour utiliser l'opinion publique au service de leurs intérêts nationaux. Les médias américains sont entièrement au service du gouvernement des Etats-Unis en créant de la propagande. Que ce soit CNN, le New York Times, le Wall Street Journal ou le Washington Times (ndlr: Xu Yunhong pensait au Post), ils pensent tous que c'est grand honneur de publier des articles attaquant et critiquant la Chine. En outre, les médias américains encouragent les médias d'autres pays occidentaux à rejoindre le camp anti-Chine. Ces médias publient tous à peu près les mêmes déclarations visant à créer un rideau de fer autour de la Chine. La situation ne peut empêcher les gens de se souvenir de la Guerre froide.
Répliques chinoises
La fonction de base d'une opinion publique est d'éveiller l'attention d'une majorité de la population, qu'elle soit pour ou qu'elle soit contre une question donnée. L'agitation de l'opinion publique par un média vise à inluencer le soutien ou l'opposition à une personne, une question, un pays. Jusqu'à présent, comparée aux États-Unis, la situation de la Chine dans l'opinion publique internationale est vulnérable. Elle est souvent dans la position d'opposant sur un thème dont les initiateurs sont le plus souvent les médias américains. Cependant, le média américain est-il loyal envers les États-Unis ? Non, le média est fidèle au marché. Quiconque peut assurer au média qu'il aura son bénéfice peut contrôler le média. Le but le plus important d'un média est d'étendre son influence et sa part de marché.
A cet égard, nous pouvons capitaliser sur l'avantage actuel qui est que la Chine est l'objet d'un haut degré de préoccupations dans le monde, pour utiliser à fond le rôle du marché comme levier d'influence du ton diffusé par les médias internationaux. Exemple : les dirigeants chinois peuvent prendre l'initiative d'accepter des entretiens avec quelques médias occidentaux importants, montrant au monde la réalité de la Chine et celle de ses leaders.. Dans le passé, la tendance des dirigeants chinois d'apparaître en groupe était très différente de celle des occidentaux dont la culture se focalise sur l'individualité. Les occidentaux aiment voir des personnalités plus concrètes, plus vivantes, surtout les dirigeants. En conséquence, les leaders chinois qui ont plus de charisme, de personnalité, et le courage d'accepter l'interview d'un média occidental sont généralement populaires à l'Ouest. Il ya un certain nombre de médias dans le monde, mais les possibilités d'interroger des dirigeants chinois sont rares. Être en mesure d'interviewer les dirigeants chinois contribuerait avec certitude à améliorer l'influence du média, favoriserait l'intérêt du lectorat, et élargirait son marché. Ainsi, les dirigeants chinois pourraient complètement tirer parti du marché pour que le monde connaisse la Chine réelle, comprenne la politique chinoise, le peuple et le gouvernement chinois, afin de gagner le soutien des hommes intègres, accroître l'influence de la Chine et créer un environnement international qui lui soit favorable.
L'histoire passée a prouvé que chaque fois que les dirigeants chinois prenaient l'initiative de solliciter les médias occidentaux, notre politique était dans une position avantageuse, les reportages des médias occidentaux sur la Chine étaient plus objectifs et complets, et la compréhension par le public occidental de la Chine concrète était entière. Récemment on a vu une percée importante des interviews médiatiques occidentales acceptées par les leaders chinois, mais il reste encore du mou dans le choix du média et dans la façon dont ces entretiens sont conduits. Nous pouvons explorer ce secteur et choisir la manière de publier des informations à laquelle les gens de l'Ouest sont habitués. Par exemple, nous pouvons donner des interviews télévisées, publier des papiers dans la presse, faire des commentaires sur Internet, et même poster des messages en micro-blogging. Les outils web ont joué un rôle important dans la campagne électorale du président américain Barack Obama. Nous pouvons utiliser les nouveaux médias et nous saisir activement du marché international de l'opinion publique.
Copyright : le texte français est traduit d'un original anglais produit par Chinascope.org avec leur permission explicite à Royal-Artillerie en date du 11 février 2011. L'original chinois sur Qiu Shi a été lu pour chaque billet de la série afin de dénicher tout contresens.
Analyse du piéton du roi
C'est peut-être le chapitre le plus faible de ce dossier où le groupe de rédaction enfonce des portes ouvertes - ils avouent que leurs recommandations d'occuper les médias occidentaux sont déjà mises en pratique par les responsables chinois - et on sent une réticence à instrumentaliser Internet pour la simple raison que, mis à part quelques raids réussis, il est impossible de canaliser le WWW. Comme souvent, une image vaut mieux qu'un long discours : celle des interconnexions Internet.
On peut se douter que ce chapitre médiatique est placé dans ce dossier pour "féliciter" les dirigants chinois qui ont fait l'effort de passer dans les médias à l'étranger, à commencer par le Premier Wen Jiabao qui a un feeling certain de la situation. Le président Hu jintao est plus guindé – c'est l'apparatchik pur – mais son successeur shanghaïen saura conquérir les esprits voire les coeurs, s'il montre autant d'entregent avec les politiques qu'il le fit avec les hommes d'affaires.
Ainsi les incitations du PCC à paraître dans la presse occidentale sont elles un des volets du programme de propagande, mais elles oublient qu'il n'y a pas de meilleure propagande que celle qui fait mine de ne pas y toucher. Faire aimer la Chine à l'étranger, et il y a matière à brasser dans ce but, est le plus sûr moyen de faire accepter la politique de son gouvernement pour autant qu'elle reste "raisonnable". La part chinoise du marché médiatique est déjà ancienne et en progression, mais peut-être pas assez "patriotique" dans l'esprit des idéologues salariés.
Les vecteurs chinois
Les progrès en communication des structures chinoises de pouvoir ont fait un bond considérable. Il est loin le temps où le Verbe passait par l'Agence Chine Nouvelle (Xinhua ) avec des communiqués dosés pendant deux jours avant publication. Les sites d'information internationale en langues étrangères sont nombreux et relativement autonomes. Ce ne sont plus des sites de traduction des nouvelles officielles mais des sites produisant du matériau travaillé dans la langue d'émission. Ce sont souvent aussi des sites de réinformation qui visent à contrer la propagande occidentale et japonaise.
On ne peut citer tous les sites chinois mais deux au moins pour vous donner l'envie d'en chercher : Chinadaily et French China ; sans compter les journaux chinois en ligne comme le Quotidien du Peuple ou le Shanghai Daily, mais le China Post est taïwanais. Un portail anglophone sobre et complet fait le tour de tous les médias chinois d'envergure ; nous le recommandons : Dan Wei. Le Qiu Shi Journal est ici.
Le premier réseau de propagande en date est Radio Chine International (1941) qui émet en français sur l'Afrique francophone, sur le modèle de RFI.
A noter que toutes les chaînes de la CCTV continentale émettent sur la TNT. La chaîne du Falun Gong, l'ennemi mortel du PCC, aussi !
Quant au portail ABBAO, il met en ligne plus d'une centaine de journaux chinois pour sinophones.
On doit signaler enfin tous les médias chinois d'outremer édités en anglais, parfois très critiques vis à vis des gouvernements central et provinciaux de la mère-patrie, mais très susceptibles aussi dès que l'on attaque gratuitement ou malicieusement la Chine. Ayant bénéficié de la longue présence anglaise en Asie du Sud-Est, de véritables empires de presse ont vu le jour. Les deux premières références sont le Straits Times de Singapour et le South China Morning Post de Hong Kong. Mais aujourd'hui, où le combat des idées passe justement par la conversion de l'opinion publique à ses vues, les plus efficaces et les plus gros tirages sont en langue chinoise comme le Ming Pao.
Digest
La guerre médiatique n'a pas attendu les recommandations du Parti. Elle est livrée depuis longtemps par la presse chinoise continentale et d'outremer qui a capté tout l'auditoire sinophone possible. Ses dérivés en langue anglaise font autorité au point de devenir des proies de grand prix pour le capitalisme sauvage. Far East Economic Review a été avalé par le WSJ de Ruppert Murdoch.
La guerre est aussi celle des contenus. Pour atteindre l'opinion publique internationale, l'expression de la pensée des leaders chinois doit gagner en qualité. On y arrive.
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