L'hommage national aux trois marins de la Société nationale de sauvetage en mer morts en mission a été rendu aux Sables d'Olonne, et vient aujourd'hui le temps des explications, sans chercher les torts réciproques d'autant que la mer, elle, a toujours raison.
Avertissement : Nous avons été tenté d'explorer les circonstances du naufrage à côté de la légitime émotion manifestée par les Sablais et tous les gens de la Société nationale de sauvetage en mer. Les questions sont au nombre de trois (pour mettre une limite à une longue série) :
1.- le canot tout-temps SNS062 l'était-il vraiment ?
2.- la position du canot en intervention sur les hauts-fonds cartographiés était-elle avisée par rapport à la physique des déferlantes ?
3.- pourquoi le pêcheur professionnel est-il sorti à 5 heures, deux heures seulement avant l'atterrissage de la tempête Miguel à marée montante tel qu'annoncé par le BMS du 6/6/19 ? Avait-il un autre motif que la pêche à la crevette, comme de relever un (stupide) défi ?
Nous confions à la houle du blogue des éléments d'analyse pour ceux de ses lecteurs qui aimeraient comprendre un peu plus loin que les généralités d'usage. Ce travail de compilation fastidieuse est offert gracieusement. Mais pour ne pas nous dérober, au vu des éléments recueillis à date d'écriture nous répondrions non aux trois questions.
Eléments d'analyse du naufrage du SNS061 aux Sables d'Olonne le vendredi 7 juin 2019
Bulletin météo du 6/6/2019 avant tempête :
Bulletin spécial N°340 — débuté le jeudi 6 juin 2019 à 23:58
Demain, vendredi 7 juin 2019, la France va vivre une journée météorologique tout à fait atypique. La tempête Miguel, actuellement au large de l'Espagne, va toucher la moitié ouest de la France. Il s'agit de la première tempête à toucher la France en juin depuis celle du 7 juin 1987 avec 126 km/h à Biscarosse (voir le dossier HistorIC correspondant). En remontant les archives, on retrouve l'évènement du 26 juin 1958 avec 140 km/h à Toulouse et 137 km/h à Bordeaux (voir le dossier HistorIC correspondant).
La dépression se situe actuellement au large de la Galice avec une structure se rapprochant d'une dépression extra-tropicale. En France, la situation est calme pour le moment avec quelques pluies en Bretagne et les Pays de la Loire.
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Carte météo Sat24 du jeudi 6 juin 2019-18:50GMT modifiée à 23:54:45 |
Prévisions météorologiques pour le vendredi 7 juin 2019
Une dépression creuse et active remonte la nuit prochaine du Golfe de Gascogne jusqu'à la Bretagne. Elle va traverser la région en matinée de vendredi et sera à l'origine d'un vendredi très dégradé sur la région où de nombreux phénomènes devraient se combiner et nécessiter une vigilance particulière.
Le phénomène le plus à suivre reste en premier lieu les pluies abondantes attendues sur le pays Bigouden et l'Aven.
Vents violents:
Le vent de secteur sud se renforce en fin de nuit sur la Loire-Atlantique où des rafales peuvent atteindre jusqu'à 100 à 110 km/h dans l'estuaire de la Loire et à l'est du Golfe du Morbihan. Ces conditions perdurent sur une partie de la côte atlantique en matinée. Le vent bascule à l'arrière de la dépression au secteur nord-ouest. Ce sont cette fois les côtes de la Manche qui sont exposées à de fortes rafales de vent. Elles atteignent 90 à 110 km/h localement jusque sur la côte de Penthièvre et la côte d’Émeraude. Dans l'intérieur des terres, les rafales atteignent 70 à 90 km/h. Il convient d'être prudent car en période estivale, les arbres sont plus lourds et des chutes de branches sont très probables lors du coup de vent.
Phénomènes côtiers:
En lien avec cette dépression, l'état de la mer se dégrade tandis que les coefficients de marée sont de 82-78 ce vendredi. La dépression génère une houle à l'origine de vagues de 3 à 5 mètres sur la côte atlantique et en mer d’Iroise. Il convient de rentrer dans les ports les petites embarcations ainsi que les équipements touristiques sur les plages car des dégâts sont possibles. Cette mer agitée doit également décourager les amateurs d'activités nautiques à prendre des risques en mer.
Les conditions météorologiques sont très difficiles sur zone : vent de sud-ouest 41 nœuds (75 km/h), mer 5 (forte, 2,50 m à 4 m)
Horaire des marées du jour : Vendredi 7 juin 2019 aux Sables d'Olonne
08:17 heure de la plus haute mer
4.80 marnage en mètres
082 coefficient de marée
20:36 heure de la plus haute mer
4.85 marnage en mètres
078 coefficient de marée
02:02 heure de la plus basse mer
0.90 marnage en mètre
14:18 heure de la plus basse mer
1.15 marnage en mètre
Cartographie
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Carte 6551 du Service hydrographique et océanografique de la marine |
(Rappel : échelle verticale des cartes marines : longueur de la demi-minute de latitude : 926m soit un demi-nautique)
1.- Carte ENC C-Map des sondes de l'atterrage sur le chenal des sables d'Olonne. Noter la remontée rapide des fonds (ligne des 5m et ligne des 10m) :
Cliquez ici pour faire monter la carte.
2.- Carte OLEX du chenal des Sables d'Olonne. Pour comprendre les explications des rescapés du SNS061.
Formation des déferlantes, et vagues de Draupner
Deux choses à retenir, la remontée rapide des fonds est propice aux vagues déferlantes, le pied de vague étant freiné quand la crête de vague est propulsée par le vent. Le déferlement limite le haussement de la vague d'eau par définition incompressible. Mais ce haussement est dangereux par la pression qu'il engendre : « une vague normale de 3 mètres de haut exerce une pression de 6 tonnes/m² ; une vague de tempête de 10 mètres de haut peut exercer une pression de 12 tonnes/m² ».
Réflexion : Cette déferlante peut monter plus haut lorsqu'il y a un croisement des houles qui additionne les énergies libérées par les vagues. Les essais en bassin ont arrêté un angle de croisement de 120° pouvant faire naître une vague spontanée dite scélérate pendant quelques secondes par multiplication des énergies. Le récit des rescapés du SNS061 signale (mais dans la confusion du choc) une vague de 6 mètres pour un creux météo moyen annoncé de 4 mètres. Le choc sur les carreaux a pu atteindre 9 tonnes. Sans connaître le cahier des charges de la construction du canot et donc la surface individuelle des vitrages et la résilience du matériau, il est impossible de juger la pertinence du choix initial au chantier naval mais simplement de constater qu'ils ont explosé ! Et c'est LE problème.
Déroulé de la situation en mission du canot SNS061
Ce vendredi matin à 11h14, le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) d’Etel a été alerté par son homologue de Gris-Nez du déclenchement d’une balise de détresse 406 MHZ à environ 0,8 mille nautique (environ 1.5 kilomètres) du port des Sables-d’Olonne.
Simultanément, le CROSS reçoit l'appel de la SNS061 Patron Jack Morisseau des Sables-d’Olonne en cours d'appareillage. La station SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer) des Sables-d’Olonne a, en effet, été préalablement contactée par le navire de pêche Carrera ayant l'intention de rentrer au port dans de très mauvaises conditions météorologiques.
Quelques instants après l’alerte, la station SNSM a décidé de faire appareiller son canot tout temps (CTT) avec sept équipiers à bord pour porter secours au navire de pêche Carrera, d'une longueur de 11,50 et basé aux Sables d’Olonne.
C'est à 11h36, qu'un témoin à terre signale le chavirement du canot tous temps SNS061 Jack Morisseau, puis son échouement sur la côte. "Dès connaissance de cette information, le CROSS Etel a diffusé immédiatement un message "Mayday relay" et engagé un important dispositif aéromaritime, constitué de trois hélicoptères : Ecureuil de la Gendarmerie nationale basé à Saint-Nazaire, Dragon 17 de la Sécurité civile basée à La Rochelle, Caracal de l’Armée de l’air basé à Cazaux avec une équipe médicale à son bord", a indiqué la Préfecture maritime de l'Atlantique.
La vedette a chaviré à 800 mètres des côtes au large des Sables-d'Olonne (ndlr : plage de Tanchet) avec ses sept marins à bord. Le Centre opérationnel départemental est activé. Huit personnes présentes sur le rivage ont spontanément tenté de porter secours, non sans risque (ndlr : plage de La Pironnière). "Elles ont été prises en charge par les pompiers" a précisé la Préfecture de Vendée dans un communiqué.
Extraits du récit des rescapés
« Tout s’est déroulé comme ça devait se dérouler. Dans la passe du sud, on a remonté plein ouest, comme d’habitude, comme les anciens nous ont appris. De la part de l’équipage tout s’est très bien passé. Sauf que voilà, les carreaux ont implosé » confie Christophe Monnereau.
Face à la force des vagues, certains sauveteurs ont été projetés de la passerelle et, à 200m du rivage, sont parvenus à nager et à échapper à la mort. « Si ça avait été à 500 m du rivage, ça aurait été beaucoup plus grave, il aurait pu y avoir sept morts » a confié Xavier de la Gorce (Président de la SNSM).
Trois sauveteurs ont eux été pris au piège à l'intérieur du bateau : « Les brassières de sécurité se sont gonflées et ça les a plaqués au plafond » a expliqué M. de la Gorce.
La conférence de presse à la station SNSM :
Par le lien ci-dessous, vous accédez à la page de Ouest-France du 08/06/2019 à 12h15 qui donne la vidéo de la conférence de presse du président de la SNSM sur les circonstances du naufrage du canot Patron Jack Morisseau. Nous n'avons pas embarqué son visionnage parce que la vidéo démarre automatiquement. Il est possible de la partager sur la page Ouest-France.
Echouement des débris du fileyeur Carrera au droit de celui du SNS061 :
Reste à attendre le rapport technique du Bureau d'Enquête Accident Mer (Enquêtes en cours) qui dispose de données précises, surtout quant à la météorologie marine relevée en continu au moment du double drame.
Ici s'achève notre contribution à la compréhension du naufrage d'un canot tout-temps qui ne l'était pas vraiment, au sens où il était sous-calibré pour l'emploi à cette station, sinon à celui d'un déchaînement des éléments sans précédent sur cette côte. Pour l'avenir il n'y a pas adéquation entre les moyens actuels de secours en mer et les prévisions de tempête jusqu'ici inédites. Quelqu'un a-t-il noté que le canot auto-redressable est arrivé à la côte retourné ? Faudra-t-il rehausser la classe des bateaux de sauvetage sur l'Atlantique, passer du canot de 18 mètres au cotre à déplacement de 22 ou 25 mètres ? Les patrouilleurs des Garde-côtes américains sont passés de 82 à 87 pieds dans les années 90 pour cette raison. Sachant que la puissance réclamée est au carré des longueurs et le prix final au cube, résoudre ce défi convoque des moyens budgétaires que d'ordinaire la SNSM recouvre auprès du public. Donnons ! Donnons sans attendre l'Etat qui engloutit des fortunes dans la perpétuation de lui-même, mais qui se profile déjà en fond de tableau pour réguler la mer et ses gens au principe du contrôle des citoyens déclarés inciviques ! Donnons à la SNSM pour vivre en liberté. C'est par ici !
Avant de se quitter, passer voir l'album des interventions du SNS061 sur le site de la SNSM des Sables en cliquant ici est une bonne conclusion sur le courage de ces gens.
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Le SNS061 en mission par gros temps |
Compléments du 28/6/19-15:00
Extrait du reportage de Arnaud Bizot dans le Paris-Match n°3658 :
[...] Après six minutes de mer, à 11h31, un mur d'eau aux allures de jugement dernier fait exploser en même temps les trois carreaux de la passerelle. Le grand du milieu et les deux de côté. Le Jack Morriseau signale l'avarie au CROSS et déclenche sa balisde de détresse. Davis Bossard : « On s'est dit à ce moment-là que ça n'allait pas le faire, que c'était perdu. On avait 1,5 mètre d'eau à bord.» Christophe Monnereau et lui tentent de maintenir la porte fermée avec leurs épaules, au moment où la coque enfourne, puis de la rouvrir pour évacuer les paquets de mer lorsque le bateau remonte une vague. Ils ne peuvent se servir de leurs mains : « Le groupe électrogène nous envoyait du 220 volts partout à bord, on voyait des arcs électriques » poursuit David Bossard. A genoux, les autres écopent comme ils peuvent avec des seaux. Aucun affolement, aucun cri à bord [...] A 11h36, le bateau longe tout seul (la côte), tant bien que mal. Mais une vague immense le fait chavirer à 90 degrés. Le Jack Morriseau se redresse puis, une seconde plus tard, se retourne à nouveau, cette fois à 180 degrés. Il ne se relèvera plus [...]