lundi 30 novembre 2020

Frexit & Chimères

S'ouvre aujourd'hui le calendrier de l'avent, l'avant-Brexit. Dans un mois, nous saurons si l'impossible n'est vraiment pas anglais ! Ce billet a été annoncé dans l'article du 22 novembre 2020 titré L'Heure de l'empire sous l'hypothèse d'une fédéralisation européenne forcée par les Etats-Unis pour permettre leur désengagement du vieux monde. Nous jugeons le Frexit impossible à réaliser tant que la communauté économique et financière sera debout, et nous invitons le distingué lectorat de Royal-Artillerie à comprendre nos objections. Mais revenons d'abord sur la tentation du retrait américain par une prochaine administration.


chimeres en gargouilles de Paris


Pourquoi partiraient-ils ?


Essentiellement pour suivre la dérive des pôles stratégiques qui situe le centre de gravité du monde dans le Pacifique Nord et bien moins désormais dans l'Atlantique Nord. C'est Barack Obama qui a initié le mouvement. A cela s'ajoute la frustration de voir les puissances européennes dégager des ressources budgétaires du domaine de leur défense au bénéfice de régimes sociaux jugés outre-atlantique exorbitants. Le Pentagone s'irrite à l'idée de payer les pensions de retraite européennes en couvrant le manque à cotiser de pays ingrats, même si les Etats-Unis se rattrapent en vendant beaucoup d'armement en Europe. Il n'en demeure pas moins que tant la démographie que le PIB de l'Union la placent dans le triumvirat économique mondial et que plus rien ne justifie le maternage militaire américain.

Ce qui freine le repli américain est la crainte du chaos stratégique. Comme le suggère l'article précité, des lignes de fracture existent dans l'Union européenne qui ne demandent qu'à s'élargir au fur et à mesure des défis que lui oppose le reste du monde. Jusqu'ici l'intégration des armées dans l'OTAN et les manœuvres fréquentes en coalition sous un état-major unique ont forcé la coopération pour finalement construire un outil de représailles crédible ; mais disons-le carrément, chaque pays majeur de cette Union a sa propre stratégie de puissance qui ne demande qu'à s'exprimer. Rapidement :

Le Royaume-Uni sur le départ a bien vu la dérive des pôles et s'estime en capacité d'en profiter au sein du Commonwealth. Il est associé-captif des Etats-Unis pour sa dissuasion nucléaire et doit donc composer.

L'Allemagne donne des gages de bonne volonté au sein de l'Europe pour sans doute masquer sa propension à dominer tout son hinterland oriental qui lui sert de sous-traitance industrielle et de marchés d'appoint. Elle ouvre le plus grand possible l'immense marché russe à ses productions badgées "Germany". Elle voit sa défense stratégique mieux garantie par le croisement d'intérêts commerciaux mais cette vision pacifique achoppe sur les limites de sa crédibilité militaire réduite à la portion congrue. Elle a besoin de revamper ses forces armées pour ne pas se faire humilier par le Sultan-Calife et tenir son rang en Mer baltique. Donc elle réarme pour faire sérieux.

L'Italie a depuis longtemps compris qu'elle était seule en Méditerranée malgré les encouragements français, et craint surtout de lever contre elle toute coalition de circonstance dans ses eaux. A la charnière des deux bassins maritimes qu'elle surveille, elle coopère avec toutes les nations méditerranéennes selon ses moyens, y trouvant des apaisements que la force ne lui procurera pas, même si elle a construit une marine de guerre performante.

La France est le mouton noir de l'Alliance atlantique. Elle refuse d'accepter son déclassement historique, s'arc-boutant sur des positions fragiles comme le siège permanent au Conseil de Sécurité, les bases militaires et navales disséminées en Afrique, les possessions ultramarines qui l'impliquent dans la stratégie des grands mais lui coûtent un bras. Elle s'est mise en tête de construire sous son égide une défense européenne indépendante (ou autonome) sans parvenir à comprendre les réticences de tous ses partenaires à ce projet.

Les autres pays ouverts sont concernés par la défense de leur propre territoire avec des bonheurs divers selon les mitoyennetés géopolitiques. Quant aux pays enclavés, ils ont la chance d'avoir un théâtre d'opérations parfaitement défini pour lequel ils déploient des moyens adaptés au plus juste, comptant sur le renfort atlantique au besoin. Finalement c'est simple !

Probabilité d'un retrait


Joe Biden arrive à la Maison Blanche - enfin presque ! - avec le vieux slogan de l'Amérique guidant les peuples vers la démocratie qui brille des mille feux de la liberté... Il promet de ne pas malmener ses alliés mais ils doivent s'attendre en contrepartie à être convoqués au rétablissement de l'imperium occidental sous la férule américaine. Face aux empires revenus et quelques autres gros morceaux comme l'Inde, l'affaire n'ira pas de soi. Quel stratagème les "services" trouveront-ils pour forcer le passage des peuples opprimés vers l'utopie démocratique ? J'ai l'impression d'avoir vu le film.
Dans la deuxième partie, la vieille Europe traîne les pieds puis refuse de s'impliquer comme certains en 2003 dans l'affaire d'Irak*, et la nouvelle Europe se rallie au Pentagone (comme en 2003) pour conserver son parapluie nucléaire. Devrait s'enclencher alors la désintégration du NATO (bras militaire de l'Alliance ainsi appelé par commodité) en Europe occidentale, et dans l'impossibilité stratégique pour les Etats-Unis de maintenir un dispositif militaire sur la seule Europe orientale, la décision de fonder les Etats-Unis d'Europe pour éviter le chaos devrait leur permettre de sortir du théâtre d'opérations dans de bonnes conditions. Au même moment serait promulgué le TAFTA, si ce n'est déjà fait sous pressions allemandes. Sans même parler des déficits de contribution européenne au budget de l'Alliance dénoncés depuis trente ans, la tentation sera forte au Pentagone et au Sénat de laisser la riche Europe se défendre par elle-même en Eurasie. Nous ne parlerons pas de la chimère alternative d'une défense européenne sous parapluie français qui fut traitée maintes fois sur ce blogue. Une Fédération sera alors mise en œuvre avec les incitations qui vont bien. Les pays illibéraux clients des Etats-Unis y seront contraints pour leur sécurité, la collaboration en confiance avec les Russes étant ruinée pour deux générations.

Outre la France (et le Canada), des pays qui comptent dans l'Alliance atlantique ont refusé l'aventure mésopotamienne : la Belgique, siège des commandements NATO, l'Allemagne, base-arrière logistique NATO, la Norvège, flanc-garde arctique NATO, la Grèce et pour mémoire la Turquie.


Tentation du Frexit


Comme la France, légataire universel du gaullisme boudeur, refusera de devenir un vingt-septième inter-pares de l'empire napoléonien et que ses amis refuseront net toute prééminence française dans la Fédération à quelque motif que ce soit, la tentation de sortir du jeu sera forte, au moins pour coller aux manifestations de colère publique, si la rue gouverne toujours ce pays.

Contrairement à un idée répandue au sein des droites dures, il n'est pas sûr que les populations poussent à un retrait de l'Union européenne. Les Français, abrutis de socialisme, ont perdu le goût du risque même si beaucoup mais minoritaires restent vaillants à soutenir le pays. Mais, comme on l'a vu chez les GIPSI en 2008, le retour à une monnaie nationale gagée sur la banqueroute sociale aura peu de supporters, à part les assistés à franc constant ! Le second problème perçu par les gens viendra du spectacle désolant de l'état de notre société providence. Comme le disait ce tantôt Christian Saint-Etienne dans L'Opinion à l'occasion de la sortie de la pandémie du coronavirus chinois : « Le décrochage de l’économie française sera le double de l’allemand en 2020, comme le nombre de morts par million d’habitants. L’Etat français est obèse, inefficace, incapable d’anticiper et la dérive des finances publiques obère l’avenir ». Qui fera confiance à cet Etat technocratique perpétuellement en déficits pour conduire un Frexit ? Et de quoi parle-t-on déjà ?

Le Frexit pour les nuls ou pour les Anglais


Le Brexit, qui est loin d'être achevé à l'heure où nous mettons sous presse, conjugue, au milieu de cent faiblesses, quatre avantages à son succès éventuel que la France n'a pas :

- Une monnaie de réserve internationale, 100% convertible, la livre sterling ;
- L'insularité de ses territoires (à l'exception de l'Ulster et de Gibraltar);
- Une place financière internationale dont l'ingénierie est la première au monde ;
- Un faisceau mondial d'influences réciproques avec ses dominions et l'ancien Raj indien, facilement tranformable en zone de libre-échange, le Commonwealth.
- Ajoutons-y l'orgueil inné de la race britannique.
En dépit de celà, le gouvernement de Boris Johnson n'arrive pas à s'extraire de l'imbrication économique malgré de nombreuses dérogations arrachées de haute lutte lors des traités d'entraves, les Opt-Out.

La France est tout à l'opposé.
- Elle n'a pas de monnaie alternative crédible (même Marine Le Pen s'en est rendu compte, c'est dire).
- Sa géographie la place au cœur des flux logistiques européens qui ne peuvent l'éviter qu'en traversant les montueuses républiques alpines. Elle bloque la péninsule ibérique jusqu'au Maroc (prochain candidat au Marché commun).
- La place financière de Paris, si elle monte en technicité, ne sera jamais une place de premier plan, enchâssée qu'elle est dans une République socialiste, ennemie du succès et des profits (la Bentley du Garde des Sceaux élévé par une veuve femme de ménage fait jaser les jaloux !).
- Son domaine ultramarin ne lui est d'aucun secours puisqu'elle le porte à bout de bras et que les ZEE immenses n'ont de valeur qu'exploitées. Nous ne les exploitons pas faute d'investisseurs, à peine si nous avons les moyens de les défendre dans le domaine de la pêche industrielle. Et pour la citer, la Francophonie reste cantonnée à la culture et aux valeurs humanistes ; elle n'est pas tranformable en zone de libre-échange ayant du sens.

Tout comme chez les Anglais, la libération des chaînes européennes achoppe devant l'imbrication économique bien plus nouée chez nous puisque nous sommes un pays-fondateur de la CEE au cenntre du jeu. Le marché des produits français est d'abord le marché européen, bien avant la grande exportation pour des produits de niche comme le luxe, la nourriture chère, l'armement. L'aéronautique est une coopération industrielle franco-allemande hors-sujet. Défaire les mille liens européens en France relève des travaux d'Hercule et nous n'avons aucun Hercule au bataillon. Personne en France, à notre connaissance, ne s'est sérieusement attelé à l'étude des travaux nécessités par le Frexit en chassant le diable dans tous ses détails, à part Michel Barnier. N'ayant aucunement la prétention de lire dans les feuilles de thé (quoique!), nous attendrons donc le 2 janvier 2021 pour amender le constat d'impossibilité à la lumière de la séparation effective du Royaume-Uni de l'Union européenne.

armement d'un Rafale
50% des Rafale sont cloués au sol pour entretien ou réparations (source Cornut-Gentille)


Conclusion


Les Anglais y parviendraient-ils à la fin, en acceptant d'en payer le prix, que nous ne saurions transposer l'exploit en France de par les contraintes géopolitiques et économiques qu'un Etat aux abois ne pourra desserrer. Quarante ans de clientélisme démocratique ont rendu le peuple réfractaire à juste raison à tout sacrifice consenti au bénéfice de toujours les mêmes. La politique sociale poursuivie en dépit de l'insuffisance de ressources nous a conduits à la banqueroute, et le régime de combines parlementaires jette les bourgeois vainqueurs d'un jour sur les biens et avantages des bourgeois vaincus, à charge de revanche, le peuple faisant l'écart de points ! Le régime dévore la nation qui lui est distincte.

Nous ne sortirons pas de la nouvelle union européenne, fédérative, confédérée, que sais-je, parce que nous en sommes incapables quelle que soit l'intensité des vociférations souverainistes ! Ce pays, envahi de problèmes et de dettes, n'a plus de ressort et encore moins un Projet national comme en ont connu nos ancêtres. A chaque étape compétitive, à chaque défi mondial, nous reculons d'une case parce que nous avons tout remis dans les mains d'un Etat qui ne mérite pas notre confiance. L'affaire de notre indépendance est pliée, sauf si !

Sauf si... l'Union européenne se désagrège avant même que nous choisissions d'en sortir. Le retrait américain, envisagé dans cet article, porte en lui les germes explosifs d'une rupture Est-Ouest sur le continent ; mais au milieu des ruines, la France telle qu'elle est gouvernée aujourd'hui sera un bouchon dansant sur la houle des circonstances parce qu'elle n'a aucun Projet en propre. Toute la prospective française s'applique au projet européen, nous n'avons aucun projet de renaissance française promu par un organisateur du temps long porté par la nation. Nous ne cessons depuis vingt ans de convoquer l'Europe à palier nos carences, et ce dans tous les domaines, jusque dans la culture de la betterave ! Pour susciter un changement de paradigme et se défaire des embarras d'un régime politique suranné, perverti par une bourgeoisie d'Etat qui en a fait sa chose à travers la haute fonction publique, il faut se séparer de la technostructure que Charles Maurras appelait "les Bureaux". On se doute bien que drappée dans sa "légitimité indiscutable", elle lèvera tous les remparts prévus pour sa perpétuation.

En fait nous ne resterons la France que par un mouvement qui ressemblera à une révolution, et pas seulement sous les préaux ! Nous ne resterons la France que si nous nous chaussons à la pointure de nos pieds et cessons de nous épuiser à régenter les mœurs sociales et culturelles du monde entier ! Courir avec des galoches en 45 quand on fait du 42 est impossible sauf à finir le dernier. Nous ne resterons la France que si nous concentrons nos atouts (on peut les citer en note) dans un périmètre contrôlé et si nous nous renforçons dans tous les domaines essentiels et coupons le bois mort, l'Etat-providence ouvert aux quatre vents dut-il en mourir ! Nous ne resterons la France que si nous sommes capables de coopérer loyalement avec nos voisins immédiats que la géographie et les quarante rois nous ont donnés.
La République jacobine à la française, avec son "pacte" venu d'on ne sait où, sa laïcité dévoyée dans l'injure, son "contrat social" que personne n'a signé, son impécuniosité chronique, ses valeurs mortifères et son arrogance notoire, c'est du lest pour un nouveau départ en dehors d'une Europe institutionnalisée. La reconstruction d'une monarchie fédérative, sociale et décentralisée semble inévitable pour affronter les défis du monde nouveau ; libre à elle de coopérer, d'optimiser ses dépendances, de vivre avec les autres sans contraintes déraisonnables, pour le bien de tous.

Au roi, et vite !




Postscriptum

Les atouts français sont réels malgré l'état de calamités de la gestion publique :

- le territoire exceptionnel d'abord qui fait de ce pays le plus beau du monde ;
- la richesse de ses terres arables et la diversité des terroirs producteurs ;
- un savoir-faire dans tous les domaines qui ne demande qu'à se libérer ;
- une jeunesse inventive et volontaire que l'avachissement moral de la classe politique n'a pas complètement pourrie ;
- des fleurons industriels reconnus ;
- des filières de confiance dont les étrangers sont friands ;
- une armée professionnelle responsive ;
- une histoire riche et lisible par tout le pays ;
- une culture, une littérature, une langue à nulle autre pareille qui a remplacé le grec ancien dans sa construction mentale.
- ......notez les vôtres...

dimanche 29 novembre 2020

Hong Kong d'hier !

Voici ce que Hong Kong va perdre avec la normalisation décrétée par les bœufs stupides du parti communiste chinois : le pouvoir d'aimantation de la vieille colonie anglaise qui a produit Corinna Chamberlain et tant d'autres !





Le communisme est une déjection !

mardi 24 novembre 2020

Le Prince que j'ai servi (Baron Pinoteau)

† M. le baron Hervé Pinoteau (1927-2020)



Note liminaire

Hervé Pinoteau, baron et chancelier du chef de la Maison de Bourbon est mort.
Royal-Artillerie présente ses condoléances les plus sincères à sa famille et à ses proches.
A quatre-vingt-treize ans il laisse derrière lui une œuvre riche au profit du renouveau légitimiste français. Il fut pendant vingt-six ans le secrétaire du prince Alphonse de Bourbon, duc de Cadix (1936-1989). Sa notice Wikipedia en vaut une autre et a le mérite d'être presque complète. Le défunt avait laissé un texte particulièrement émouvant sur le prince Alphonse à l'occasion de ses obsèques à Madrid. Le site du Clan des Vénitiens en a publié une version très bien illustrée dont je recommande la lecture en cliquant ici.
Par suite de la disparition des archives des sites Vexilla Regis et Vivat-Rex, il devient difficile d'excaver un texte fondateur sur l'engagement du baron Pinoteau auprès des princes d'Espagne, mais le cache de la Wikiwix monte encore le document en ligne, amputé de son titre et de l'entame par un pop-up d'ordre administratif. Une reprise devient possible par une lecture de la revue trimestrielle Fidelis (apparemment interrompue depuis) proposée par un abonné à Twitter qui se reconnaîtra et que je remercie. Avant qu'une manipulation quelconque ne l'enfouisse à nouveau, Royal-Artillerie le propose tel quel à son lectorat, à la seule fin de pouvoir l'imprimer. Ce texte est donc sans illustrations, ni commentaires mais les intertitres sont de l'auteur. Nous pouvons le fournir en version html à qui le demandera par le formulaire de contact ou de commentaires en laissant son adresse email.


2 fleurs de lys


Le prince que j'ai servi



Ce n'est pas de gaîté de cœur que j'ai accepté d'écrire cet article sur mon feu maître, car l'évocation de sa personne ne fait que raviver une peine bien compréhensible. Je l'avoue, je n'ai toujours pas accepté la disparition d'un Prince servi durant tant d'années. Il n'est pas donné à tous la résignation (dans la méditation d'Isaïe 55, 8) ou la sérénité devant le saccage de nos espoirs et de notre action par une Providence qui semble se rire de nos efforts. On aura donc compris que résignation et sérénité ne font point partie de ma tournure d'esprit : il me faudra faire quelques progrès et c'est d'ailleurs le lot de tout un chacun, mais je le reconnais pour ma modeste personne, qui est celle d'un militant et d'un secrétaire.

Etre légitimiste

A la sortie de la deuxième guerre mondiale qui vit l'État français proche d'une disparition sans gloire (qu'on se souvienne de l'été quarante !), je me suis dit qu'il fallait chercher une solution politique en dehors des si peu brillantes Républiques. Il fallait un roi et je suis ainsi parti en quête du représentant de la vérité dynastique, quête anxieuse qui m'a vu être cofondateur d'un cercle d'A.F. rue Saint-Guillaume et vendre Aspects de la France, ce dont je ne rougis pas. Les arbres généalogiques vus un peu partout déformaient mon jugement, mais la lecture d'un livre de Raoul de Warren, ainsi que les précisions apportées par Michel Josseaume, en vinrent à me convaincre qu'il fallait être légitimiste, donc militer en faveur d'un infant sourd-muet qui résidait en France et dont les garçons, issus d'un mariage religieux, résidaient on ne savait trop où... Je fis le saut en 1954 lorsque je rédigeais le tome premier de l'Héraldique capétienne en écrivant qui succéda au comte de Chambord dans le chapitre consacré aux rois de France. Je m'étais d'ailleurs rendu le 21 janvier de cette année-là dans la crypte de Saint-Augustin où l'infant duc d'Anjou et de Ségovie présidait une messe à l'assistance plutôt maigre.

En 1955, je publiais le tome 2 de l'Héraldique capétienne et je lus dans le Figaro du 12 septembre que les deux fils de «don Jaime» se trouvaient à l'hôpital cantonal de Lausanne à la suite d'un accident de voiture. C'est alors que je me dis que l'aîné, le plus touché, devait s'ennuyer ferme, dans son lit et qu'il fallait lui fournir de la lecture ! Je lui ai expédié mes livres et articles, il me remercia fort aimablement et j'eus la possibilité de faire sa connaissance chez son père dans le jardin de la villa Ségovia de Rueil Malmaison, lorsqu'il vint le 8 mai 1956 pour accompagner celui-ci à Saint Denis, afin d'assister à la remise d'un nouveau reliquaire de Saint Louis. L'entourage de «don Jaime» était fort réduit : je ne me souviens que de Mlle Marie Tassin de Tassin qui publiait des poèmes confidentiels sur Alphonse XIII, du baron Louis de Condé, président du Mémorial de France à Saint-Denis, homme d'importance pour la cérémonie du soir, ainsi que du comte Édouard de Roquefeuil, représentant du Prince et d'un petit journaliste espagnol qui fut largement catastrophique, Ramón (de) Alderete... Jousseaume et quelques jeunes étaient présents, de même que Mme Charlotte, la femme civile... Par la suite je rencontrais fort rarement le prince Alphonse qui faisait ses études à l'étranger, mais lui écrivais souvent. La fondation de l'Association générale des légitimistes de France en janvier 1957 se fit en présence de MM. de Roquefeuil et d'Alderete respectivement représentant et secrétaire particulier de l'infant duc. Mlle de Tassin fut élue présidente et M. Saclier de la Batie secrétaire général éphémère... L'A.G.L.F. sombra dans la médiocrité et les dissentions les plus mesquines. Les affaires d'Algérie et les péripéties conjugales du chef de maison n'arrangèrent rien, l'A.G.L.F. vivotant de façon lamentable. C'était un fiasco et il fallait réagir.

Agir

Je conterai plus tard la préparation d'une action auprès du «jeune prince», qui seul me paraissait capable de résoudre nos problèmes. Mon plus vieil ami, le comte Pierre de la Forest Divonne et moi allâmes donc un jour à Madrid pour dire à ce dynaste qu'il fallait enfin agir. C'est par un chaud samedi madrilène, dans ce modeste appartement de la rue des Arapiles où vivaient les fils de «don Jaime», que fut fondé le secrétariat de Mgr le duc de Bourbon, ce titre étant celui du «jeune prince» (30 juin 1962). Ainsi débuta une institution qui changea la vie de la Légitimité, car les fidèles s'aperçurent qu'il y avait enfin un organisme stable.

Certes, les très proches de «don Jaime» ne furent pas heureux de cette nouveauté, mais ils y eurent finalement recours.

Le prince Alphonse fut long à convaincre. Plus que prudent, notre maître était réservé, car il était manifeste qu'on lui faisait miroiter une situation spéciale en Espagne, alors que la France lui paraissait bien lointaine. Nous en avons souvent souffert, d'autant plus que les secrétaires se sentaient bien seuls et que les jeunes étudiants issus du C.D.A.M. devenu C.D.A.R. se donnaient inutilement une attitude hyper-critique.

Premiers résultats

Il fallait briser des entraves. Ayant trouvé de l'argent, Pierre de la Forest Divonne et moi donnâmes un cocktail au Crillon pour présenter le duc de Bourbon le 18 juin 1965 : 850 personnes se rendirent à notre réception ! Pour la première fois depuis la fin du XIXe siècle, champagne et whisky coulaient dans des verres ; l'on sortait enfin des messes de Louis XVI ! Le recteur de la mosquée de Paris, des ambassadeurs, le romancier Jacques Perret, Arletty, des généraux et même des ducs (Polignac, Maillé, Beauffremont, Doudeauville) vinrent jusqu'à nous en compagnie de simples ouvriers.

Par la suite, il fallut finalement s'occuper de «don Jaime» abandonné par le dernier Français qui restait encore auprès de lui, un certain Pierre Tollé qui avait mené l'A.G.L.F. à la mort.

Patrick Esclafer de la Rode fit venir le duc d'Anjou et de Ségovie à Angoulême pour l'inauguration d'une plaque sur la statue du bon comte Jean d'Angoulême. Ce fut là le premier voyage véritablement officiel d'un chef de la maison de Bourbon depuis des lustres, car il fut accueilli par l'évêque en sa cathédrale et le maire en sa mairie (30 avril 1967). Le secrétariat de Mgr le duc d'Anjou fut alors entre nos mains, à La Forest Divonne et à moi, pendant que le prince Alphonse allait s'établir à Stockholm comme ambassadeur d'Espagne, ce qui n'était évidemment pas pour nous plaire. Faut-il préciser que les légitimistes sont catholiques et Français avant tout ?

C'est encore à Patrick Esclafer de la Rode que l'on doit la première réunion ouvertement légitimiste depuis la fin du XIXe siècle. Cela se passa chez lui en Charente le 9 mai 1971 et nous eûmes trois messages qui nous firent plaisir, celui d'un duc (M. de Polignac empêché comme maire en Normandie), celui de Jacques Perret, toujours fidèle et enfin celui d'un ambassadeur d'Espagne résidant en Suède, ce qui ne manquait pas de sel.

Nous n'étions pas nombreux devant le drapeau blanc orné des coeurs de Jésus et Marie, béni par le R.P. dom Édouard Guillou et hissé au cri trois fois répété de «Vive le roi !», mais c'était la petite flamme qui continuait à briller dans la nuit de l'Occident livré à ses démons.

Les Orléans mécontents

Notre destin ne paraissait cependant guère brillant. «Don Jaime» était établi à Lausanne où un navrant entourage se constitua. On voyait notre «roi» faire quelques apparitions à Paris pour des cérémonies, parfois officielles, dont les festivités du septième centenaire de la mort de Saint Louis, et il en présida deux. Son fils aîné résidait au loin... le seul avantage pour nous était que La Forest Divonne et moi avions le numéro de son téléphone privé à l'ambassade, ce qui nous arrangea bien plus d'une fois. C'est d'ailleurs en ce lieu que, sur ma demande, le prince Alphonse reçut Esclafer de la Rode venu lui faire part d'une nouvelle idée : la fondation d'un Institut de la maison de Bourbon copié en quelque sorte sur l'Institut Napoléon (1971).

C'est là aussi que La Forest Divonne et moi vînmes un jour durant préparer les invitations et le protocole du mariage du «Dauphin» des légitimistes avec la petite-fille de Franco. Nous pûmes, une nouvelle fois, apprécier le sens pratique du Prince allié à diverses préoccupations complexes, en particulier comment affirmer la position française des aînés dans l'ambiance d'un mariage espagnol au Pardo !

La discrète cérémonie des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit le matin du mariage et le port du collier du Saint-Esprit par le duc d'Anjou lors de celui-ci étaient là pour nous réchauffer le coeur et on en avait bien besoin ! Ce jour-là, j'ai compris mieux que jamais la peureuse incompréhension des Espagnols et la curieuse ambiance au milieu de laquelle notre «Dauphin» était forcé de vivre. Quoi qu'il en soit, les Orléans et les orléanistes furent très mécontents des aspects français obtenus par nos actions opiniâtres. Ce n'était pas l'essentiel, mais cela faisait plaisir. On avançait donc.

Le duc d'Anjou et de Ségovie ayant eu un accident, La Forest Divonne, Esclafer de la Rode et moi nous rendîmes à l'hôpital cantonal de Saint-Gall en Suisse où nous vîmes notre pauvre Prince gisant dans le coma. Dans la salle d'attente de deuxième classe de la gare locale, seul lieu tranquille loin de proches parents cadets et critiques, loin aussi des journalistes, nous pûmes établir avec le prince Alphonse les caractéristiques des funérailles à venir. A 8 h du matin, le 20 mars 1975, le prince Alphonse me téléphonait pour me dire que son père était mort à 4 h 20. Comme prévu je le saluai comme il convenait et il me donna ses premiers ordres de chef de maison. Je dirai une autre fois comment se passèrent des obsèques francisées au mieux, l'étonnement de certains et la réception du soir, quand les légitimistes furent reçus par le prince Alphonse, la princesse Carmen et le prince Gonzalve. Que d'émotions en ces heures lourdes de significations, sur une terre étrangère en compagnie de nombreux dynastes de diverse nationalités et ne comprenant guère ce qui était en train d'arriver !

Difficile position

Devenu roi de droit pour les légitimistes, le prince Alphonse eut progressivement à définir sa difficile position. A la suite d'un entretien à l'ABC que plusieurs d'entre nous jugèrent décevant, nous exigeâmes un texte clair que le nouveau chef de maison signa le 3 août 1975, sous forme de lettre à M. le duc de Beauffremont et dont j'avais établi la moindre ligne lors d'une discussion ardue. Pour les choses les plus graves, le prince Alphonse, qui arborait alors le titre nouveau de duc d'Anjou, faisait preuve d'une prudence pouvant mettre à mal une impatience qui me semblait fort... légitime ! De même que pour certains discours et pour les deuxième et troisième éditions de l'État présent de la maison de Bourbon, tout ce qui était capital était le fruit d'une négociation pointilleuse. J'ai dû capituler sur beaucoup de points pour conserver l'essentiel, sachant que ce qui était obtenu n'était quand même pas si mal que cela et qu'on pouvait l'admettre comme définitif ; je suis certain que certaines choses arrachées de haute lutte, après des semaines de discussion, lui furent pénibles outre-Pyrénées, ce qui me valait des réflexions motivées d'un duc de Cadix vivant au milieu de l'incompréhension des siens.

Certes, le prince Alphonse était aimable et courtois, encore que parfois très préoccupé par son travail, ses ennuis conjugaux, son deuil de l'aîné... Il sut me supporter jusqu'à la fin, c'est-à-dire vingt-six ans, car je fus son secrétaire durant la moitié de sa vie trop brève, ce qui est expliquer combien je le connaissais !
Certes, le Prince n'a pas toujours été heureux de mes actes, mais je ne lui ai causé aucune catastrophe et j'ai fait marcher pas mal d'affaires qui l'intéressaient. Nous nous téléphonions très souvent et j'avais pour ainsi dire l'impression que je pouvais toujours l'atteindre à l'autre bout du monde ; je n'ai cependant pas eu à lui téléphoner à l'hôtel de Beaver Creek, mais j'ai sur moi, bien précieux, sa dernière photo d'identité, celle qu'on lui fit faire de toute urgence à Paris : pour que son passeport français puisse avoir un visa américain, il nous fallait des photos à laisser au consulat de la rue Saint Florentin...

Prince français, prince espagnol

Pauvre prince ! Si ceux qui le connaissaient avaient su sa joie quand il signa devant moi son passeport et sa carte d'identité français ! Il réclama un téléphone et se mit à appeler parents et amis pour annoncer qu'il était en règle avec la France.

Ses voyages à travers notre pays, la qualité de l'accueil à sa personne et à ses discours, sa position de maire d'honneur et de citoyen d'honneur de plusieurs villes de France, sa réception aux Cincinnati comme représentant de Louis XVI, son arrivée au Jockey-Club et à l'Automobile-Club de France étaient pour lui de grandes joies et plus d'un a remarqué que si son testament de 1984 est écrit en espagnol, il n'y a rien de relatif à l'Espagne !

Le feu Prince s'était progressivement transformé à la suite d'un incessant dialogue entre lui et ses conseillers, entre sa personne et les représentants de la nation. De discours en discours, on pouvait suivre l'évolution d'un homme de bonne volonté qui s'était documenté sur la France de l'ancien régime, sur les désastres de la Révolution et sur tout ce qui était advenu depuis. Il n'avait pourtant pas été éduqué pour tenir le rôle qui fut le sien, la famille royale d'Espagne ayant occulté au maximum les implications dynastiques de l'aînesse : il suffit de lire les actes de naissance des fils de «don Jaime» et les renonciations espagnoles arrachées à cet infant que plus d'un essaya de dégrader... Le prince Alphonse en avait lourd sur le coeur et il lutta toute sa vie pour son nom (de Bourbon et non pas de Bourbon-Ségovie comme on l'avait inscrit à sa naissance pour imaginer une nouvelle branche cadette du genre Bourbon-Séville !), pour sa qualité d'Altesse Royale, toujours niée par une «camarilla» agissante afin de l'effacer dans l'ordre dynastique espagnol, alors qu'on le considéra bien comme dynaste quand on lui demanda d'être présent au moment de la désignation de son cousin comme prince d'Espagne, etc.

Pour lui, tout se tenait. Prince franco-espagnol ou hispano-français comme il aimait à le dire en public, il arborait comme son père un écu parti de France et d'Espagne, tout comme ses aïeux Bourbons qui portaient de France et de Navarre. Pour le bien commun de l'Espagne il admit la volonté successorale de Franco, homme qu'il respectait infiniment, mais il affirmait qu'il fallait compter avec lui.

Le Prince et sa tradition

Je n'ai pas toujours compris ni suivi certains de ses raisonnements qui étaient souvent fonction d'une situation difficile sur divers plans, et qui relevaient parfois de combinaisons d'un genre italien, trop obscur pour moi. Il avait cependant souvent raison et son attitude en demi-teinte, découlant du profil bas qu'il voulait toujours voir observé autour de lui, lui apportat finalement beaucoup de succès.

Ce Prince ne prétendait à rien. Il disait lui-même qu'il n'était qu'un aîné et que les Français n'auraient qu'à se débrouiller avec cette notion le jour venu. Il déclarait qu'il n'était ni intégriste, ni légitimiste. Les Français se contentaient de la République et on avait le temps de voir venir des changements. La tradition qu'il incarnait et qui n'avait certes rien à voir avec la républicaine, se faisait jour en lui de façon impérieuse. Il avait d'ailleurs une grande admiration pour la France qu'il mettait en parallèle avec d'autres pays par trop désordonnés. Je lui disais cependant que l'anarchie française pouvait lui apporter bien des réflexions... Ayant beaucoup souffert dans sa vie privée et publique, le feu Prince n'aimait pas faire de peine aux gens, ce qui entraînait trop souvent un manque de vigueur dans la direction des affaires, mais, il faut l'admettre, il était de plus en plus souvent exaspéré par les attitudes de certains légitimistes obséquieux et d'une grande nullité dans le service. Il souffrait aussi des leçons données par les excités du drapeau blanc et du Sacré Coeur... ce qui me valait ensuite de longues conversations pour remonter la pente en faveur de symboles obligatoires. Que de peines certains ont pu nous causer !

Je ne dirai rien ici sur la piété du Prince qui était par ailleurs un vrai Bourbon comme on l'entend dans notre histoire, Louis XIII et Louis XVI exceptés. Je renvoie au n°4 des Cahiers de Chiré parus cet été 1989. Ce n'était pas un saint de vitrail et certaines de ses théories pouvaient surprendre, mais il est certain qu'il était devenu une autorité morale qui pouvait gêner.

Prince de son temps

Souvent triste et fataliste, le prince Alphonse devait ressentir plus que tout autre l'hostilité du monde anti-chrétien, donc, anti-traditionnel et dans lequel il n'avait finalement pas de place en tant que tel. Prince de son temps, il aimait les finances et réussissait remarquablement dans la banque : il savait que l'on convoitait ses places alors même qu'il obtenait de remarquables résultats qu'il me montrait chaque année avec plaisir lors de la publication des performances comparées des meilleures entreprises espagnoles.

C'était d'ailleurs une ironie des choses pour moi que de servir une Prince financier, alors que je ne comprends rien à ce genre de question, et sportif, alors que je déteste le sport ! Plus que jamais je tiens pour vraie cette parole de Pascal qui me semble bien cruelle et que j'avais pourtant glissée dans une conversation : «J'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre». 1955, 1984, 1989... Comment ne pas penser aussi à la première Épître à Timothée, 4, 8 ?

Très moderne par beaucoup de ses aspects, il habitait une maison qui fut ultra-moderne il y a peu de dizaines d'années, le prince Alphonse était quand même très courtois. J'ai dit que sa réserve naturelle le mettait en demi-teinte, mais il savait rire de bon coeur et même (je l'ai vu rarement) à gorge déployée. Il avait besoin de communiquer et de sortir d'un pays qu'il supportait parfois difficilement. Il téléphonait souvent le matin pour ne rien dire, ou presque, histoire d'entendre une voix familière et française.

Dieu a permis qu'il repose en terre espagnole alors que son destin était français (il l'avait pleinement admis) et qu'il se sentait aussi chez lui en Italie.

Je crois qu'il aurait fait un bon roi et M. le ministre Jean Foyer n'a pas hésité à dire publiquement qu'il aurait été un bon président d'une Europe à laquelle il pensait avec force.

Vérités premières

Après un infant sourd-muet et de bonne volonté, encore qu'engendrant mille difficultés (je conterai plus tard les péripéties de mon service auprès de «don Jaime»), la fréquentation du prince Alphonse était un plaisir et un honneur. Certes, après son accident de 1984, la mémoire lui faisait défaut et il déplorait lui-même ses impatiences envers ses collaborateurs, mais comme il était têtu, pas mal de discussions pouvaient advenir, se prolongeant durant des mois et même des années... Tout n'était pas facile, mais on avait parfois la surprise de l'entendre énoncer quelques affirmations comme venant naturellement de lui, alors qu'elles n'étaient que le fruit de longues démonstrations sans fin recommencées.

J'avoue que je m'en suis parfois bien amusé. Mais la pédagogie n'est-elle pas à base de répétition ?

J'ai donc souvent répété, parfois avec de vives impatiences, quelques vérités premières et choquantes pour la nature sensible d'un tel Prince. Mais il me paraissait évident que certaines choses ne pouvaient passer. Je voyais loin, lui aussi, mais pas toujours comme moi. Je crois cependant que l'un et l'autre avons fait au mieux pour préserver l'avenir dans l'attente de l'onction rémoise. Lui comme Prince très intelligent, d'esprit supérieur et pragmatique, ayant compris le but et les enjeux, moi, beaucoup plus bas, comme conservateur des symboles d'une royauté défunte et même comme une sorte de conscience du chef de maison, car c'est là, qu'on le veuille ou non, le rôle bien naturel de son chancelier ! J'espère n'avoir point été un serviteur inutile et même avoir combattu le bon combat. L'histoire et le jugement final me le diront.

Hervé PINOTEAU (1989)






Ce chant marial de tradition a accompagné Hervé Pinoteau de l'autel à la tombe.



Postscriptum du 23 septembre 2021

Allocution de Louis de Bourbon au siège parisien de l'Ordre souverain de Malte pour la sortie de l'Etat présent de la maison de Bourbon (6è édition) le 18 septembre 2021 (courtoisie Vexilla Galliae)

Chers Parents,
Chers Amis,

Nous voici réunis à l’occasion de la parution de la 6e édition de l’État Présent de la Maison de Bourbon, moment important que nous aurions tous aimé vivre avec celui qui, durant tant d’années, fut le maître d’œuvre de cet ouvrage : notre cher baron Pinoteau.

Je suis donc particulièrement heureux que sa famille soit bien représentée aujourd’hui à cette cérémonie qui suit l’émouvante messe de Requiem de ce matin. Ainsi, j’ai l’occasion de rappeler publiquement tout ce que leur père, grand-père, arrière-grand-père a apporté à notre famille. La Maison de Bourbon lui doit en effet beaucoup et notamment les chefs de Maison, puisqu’avant de m’apporter son aide si précieuse, Hervé Pinoteau avait déjà été au service de mon père et de mon grand-père, tant comme secrétaire que comme chancelier, c’est-à-dire à la fois pour le quotidien et le pérenne.

Leur évocation amène à cet ouvrage, cet État présent de la Maison de Bourbon « pour servir de suite à l’Almanach royal de 1830 », dont nous sommes heureux de présenter officiellement la nouvelle édition. Mon grand-père, le prince Jacques-Henri a beaucoup fait pour que la première édition paraisse en 1975. L’idée en était venue à son propre père lorsqu’il devînt en 1936 l’aîné des Bourbons, avec tous les droits et devoirs que confère cette aînesse, notamment vis-à-vis de la France. La généalogie n’est pas toujours facile à comprendre et, sans doute, mon arrière-grand-père avait-il été habitué à se considérer davantage comme le descendant de la reine Isabelle II que comme celui de son époux, le prince François. Mais le royaume de France et le royaume d’Espagne ne suivent pas les mêmes règles de dévolution. Ainsi, c’est bien par l’intermédiaire de ce prince cadet de Charles IV que l’aînesse lui est revenue, après l’extinction des premiers rameaux de la branche aînée. Une grande aventure pouvait commencer dans laquelle Hervé Pinoteau a mis toute son énergie et son érudition. Au-delà du droit, il y a en effet le faire savoir, le faire connaître, tâche essentielle menée depuis des années et jusqu’à aujourd’hui par les éditions successives.

Il était prévu de faire paraître cette édition en 2020, année du bicentenaire du Comte de Chambord, qui vit l’extinction du rameau aîné issu de Louis XIV. Date hautement symbolique puisqu’elle permettait de saisir toute l’importance des Lois fondamentales. « Le mort saisit le vif » selon un bel adage venu de la nuit des temps et qu’Hervé Pinoteau, en fidèle et érudit chancelier, savait rappeler chaque fois que cela était nécessaire pour soutenir la cause de la Légitimité.

Les cinq éditions précédentes montrent combien il est important de faire le point régulièrement sur cette auguste Maison de Bourbon qui est aussi celle de France, chaque tige et rameau vivant sa propre histoire à travers naissances, mariages et décès. D’année en année les évolutions sont notables, d’où la nécessité des mises à jour régulières pour savoir qui est dynaste selon les lois fondamentales et dans quel ordre. Certains pourraient dire que cela paraît bien inactuel dans un monde qui, parfois, semble avoir oublié les vertus de la Royauté.

Pourtant, de génération en génération, il y a toujours une petite et vaillante cohorte qui maintient le flambeau, persuadée que le salut et le destin du pays en dépendent, et qui a besoin de savoir pour espérer.

Le temps n’appartient qu’à Dieu, mais la fidélité et l’espérance appartiennent aux hommes.

Ainsi, j’ai à cœur de féliciter ceux qui les aident à maintenir la flamme. Ce sont bien sûr tous les auteurs et collaborateurs de l’État Présent, d’abord dirigés par Hervé Pinoteau et désormais regroupés derrière Christian Papet-Vauban qui a repris la flamme, lui aussi avec érudition, rigueur et une belle ténacité. Il a su réunir des contributeurs de qualité, Benoît van Hille et Xavier d’Andeville que je tiens à remercier tout spécialement. Que tous sachent combien le Chef de Maison apprécie leur dévouement. Mais je ne peux pas oublier, non plus, le préfacier de cette édition, le Professeur Jean Barbey, lui aussi un fidèle parmi les fidèles, qui a mis depuis les années 1980 sa science du droit au service de ma famille. Il a donné pour cette édition des pages très éclairantes pour hier comme pour demain.

Enfin, je veux remercier l’éditeur, Patrice de La Perrière qui assume la tâche de la confection, et de la diffusion depuis la première édition. La qualité d’une œuvre se reconnait en particulier sur la durée. Merci à tous.

Mes derniers mots s’adressent enfin à tous les membres de ma famille, la grande famille des Bourbons. Certains sont présents physiquement, d’autres par le cœur et la pensée. J’ai reçu en effet des messages sympathiques de ceux qui ne peuvent être là ce soir. Je pense notamment à notre cousin le duc de Parme. En évoquant son nom qu’il me soit permis aussi de rappeler la mémoire de sa tante, la princesse Cécile qui est décédée le 2 septembre. Je pense aussi au duc de Séville qui a d’abord répondu qu’il serait là et qu’un empêchement inopiné a éloigné de nous ce soir. Je pense à tous, heureux d’être le Chef de la Maison capétienne qui partout garde à cœur de renforcer ses liens et de maintenir toujours vivant le souvenir de ce qu’elle représente pour tous les pays sur lesquels elle a régné.

Merci à tous et prenons rendez-vous pour la septième édition. À bientôt.


Louis, duc d’Anjou
Le 18 septembre 2021


lundi 23 novembre 2020

L'Heure de l'empire

Avertissement : c'est un peu long, confinement oblige ! Mais il y a des intertitres.


M. Guy Verhofstadt, ancien premier ministre du roi des Belges et fédéraliste passionné, pousse à l'intégration institutionnelle des Etats européens, du moins ceux qui le souhaitent, afin que le sous-continent soit capable de déployer une diplomatie au niveau de sa puissance commerciale et les forces armées sans lesquelles il serait vain de croire peser sur les desseins qui s'entrecroisent sur le globe. Cette ambition, si elle se réalisait, contreviendrait à la souveraineté des Etats-Nations qui composent le Conseil européen et sacrifierait la règle de majorité établie par le compromis de Luxembourg en 1966 à la demande expresse du général De Gaulle, laquelle règle transforme le régime confédéral en "vétocratie" ; chaque pays y pesant la masse de son pouvoir de nuisance.

Donnons-lui raison, donnons-lui tort, agréons-en l'urgence mais ouvrons les yeux. Les derniers défis que nous opposent les tenants de civilisations incompatibles avec nos mœurs occidentales ne peuvent être relevés par aucune des nations européennes réagissant en son splendide isolement. Aucune ! Que ce soient les conséquences de l'irrédentisme arménien coincé dans les mâchoires russes, la révocation du traité de Lausanne infligé à la Turquie en 1923, la menace d'une bombe atomique islamique menaçant Mare Nostrum. Trois défis, trois impossibilités. La déstabilisation de l'Afrique du Nord n'est pas sur l'épure ce matin puisque nous, Français, l'avons construite comme on la retrouve aujourd'hui ! C'est "notre" problème ou dit plus crûment, à chacun sa merde ! Nous ne parlons pas non plus de l'immigration de masse de peuplades insuffisamment formées aux travaux et aux jours de notre bel Occident.

Pour enfoncer le clou qui semble dépasser encore de la planche de nos convictions, je pressens que nous n'arriverons à rien sur les quatre premiers points d'effort du Quai d'Orsay aujourd'hui que sont le Sahel, le Liban, la Mer Egée, le Haut-Karabakh ; même avec des alliés de circonstances pour les trois premiers ! Mais c'est pareil pour la Grande-Bretagne qui dispose du verrou d'entrée (Gibraltar) et de bases stratégiques de pleine souveraineté à Chypre et qui ne fait rien ; ou pour l'Italie qui est au front de tous les défis méditerranéens et craint de mettre le feu aux nations musulmanes qui se pressent déjà à ses frontières, ce pour ne parler que des nations impliquées hors-les-murs au gré des menaces, toutes les autres restant planquées. Faut-il faire un dessin ? Faisons-le.

Sahel

Bernard Lugan est parfaitement juste quand il exclut tout protocole de pacification oubliant les causes enracinées du désordre. La misère, endémique à des pays sans autre richesse que des ventres affamés, couplée à une mal-gouvernance chronique d'élites cupides, multiplie la ressource en "maquisards" dans les cinq pays impliqués. Cette ressource est rémunérée par des financements de toutes origines qui convergent sur zone autant que les narcotiques... et le défi est sans fin. "En tuer" comme la devise du 501è Chars de Combat ? Jusqu'à quand ?

Liban

Quel crâne d'œuf dans les soupentes de l'Elysée a pu croire un instant que les chefs de clan libanais allaient abandonner une once de pouvoir parce que la moitié de la capitale avait été détruite en conséquence de leur incurie ? Depuis le voyage triomphant de M. Macron, ils recherchent le capo di tutti capi manucuré en armani et ray'ban, qui présentera suffisamment bien pour faire débloquer les subsides internationaux qu'ils comptent s'approprier par les mille tentacules de la pieuvre libanaise, chacun détenant des infrastructures essentielles, du BTP, des services au public, des œuvres caritatives et secours en tout genre. Si Carlos Ghosn n'était pas sous le coup d'un mandat d'arrêt international, il ferait parfaitement l'affaire... et gagnerait gros.

Mer Egée

Pour une raison qui me dépasse, M. Macron s'est cru investi d'une mission de défense des valeurs de la communauté internationale dans les affaires de virilité en Méditerranée orientale, coupant les convois turcs en route vers la Libye, promenant le pavillon dans la zone grecque de recherche sismique comme au temps du sandjak d'Alexandrette. Sauf qu'à l'exception d'une Italie solidaire de nos émotions, aucun autre pays européen n'a voulu affronter le Sultan déchaîné dans son hubris de déconstruction du traité de Lausanne qui a donné toute l'eau bleue aux Grecs et presque rien aux héritiers des glorieux Ottomans. Mais ça pourrait changer. L'Allemagne qui connaît assez bien la région a déjà anticipé que les protagonistes grecs et turcs finiraient par s'arranger enrre eux sur le dos des puissances extérieures. Elle vend donc aux deux, des sous-marins. Et il n'a pas fallu longtemps pour que la Grèce nous fasse un vent dans son plan de refonte navale. Malgré tout, Angela Merkel est aujourd'hui suffisamment agacée par le pétomane d'Ankara qu'elle a fait arraisonner par une de ses frégates un cargo turc sur la route de Misrata.

Haut-Karabakh

Puisque nous sommes l'ami historique et le grand protecteur de l'Arménie, nous sommes coupables de n'avoir pas averti l'homme présumé fort du pays, Nikol Pachinian, que sa politique anti-russe et ses œillades atlantiques hors de saison allaient lui attirer les pires ennuis dans son environnement géopolitique. L'Azerbaïdjan accumulait de l'équipement militaire payé par les exportations de naphte de la British Petroleum et de gaz par les trois gazoducs stratégiques vers l'Iran, la Grèce et Turquie (?!) et vers la Russie, autant de points d'appui diplomatiques en cas de conflit car le gaz prime. Pendant ce temps l'Arménie rêvait à sa grande Arménie des contes enchantés sans avoir les moyens militaires de tenir les territoires enclavés dans l'Azerbaïdjan qu'elle avait depécé lors de la déconfiture soviétique. Il n'a pas fallu longtemps pour que les conseillers du Sultan voit la lueur du jour dans la fente des ambitions arméniennes et y passent. Le drapeau turc flotte sur Bakou (allez-y voir) et Ankara a maintenant, par le corridor du Nakhitchevan ouvert dans le sud de l'Arménie, l'accès goudronné jusqu'à Shirvan et la Mer Caspienne. Les Russes ont laissé faire, puis stoppé le film au bon moment pour eux, et n'attendent plus que la chute du leader vaincu qui les snobait. Qu'y ferons-nous ?
Co-président du protocole de Minsk, nous avons assisté pendant vingt-cinq ans à l'entêtement de plus en plus stupide des délégués arméniens à ne pas vouloir négocier - alors qu'ils avaient expulsé six cents milles Azerbaïdjanais des districts entourant le Haut-Karabakh historique - et nous nous sommes montrés incapables de les raisonner et évidemment incapables de faire sauter la Légion sur Stepanakert. Si nous arrivons à protéger les monastères et les édifices chrétiens (comment faire sur le terrain ?) nous aurons atteint la limite la plus reculée de nos capacités.

Où situer la frontière ?


Ces exemples donnent les limites de notre "puissance". La France seule de Charles Maurras a toutes les peines du monde à sortir aujourd'hui du Lac Commun et ses désordres intérieurs en tout domaine ne pourront qu'étrécir son périmètre d'intervention. Sauf fédération des nations européennes autour de nos propres efforts à peser sur le destin du monde proche, nous allons revenir au limes capétien. Depuis le départ de Jacques Delors des affaires européennes - ça fait un bail - le projet un peu arrogant de la main française dans le gant européen a fait long feu. Malgré l'hostilité ouverte du Royaume-Uni à notre endroit et certaines réticences de peuples à cornes qui trafiquent en couronnes, le projet aurait pu s'étoffer si nous n'avions pas ruiné notre propre pays à des motifs purement électoraux et idéologiques ! La France de Georges Pompidou, et celle de Valéry Giscard d'Estaing un peu moins, pesait son poids dans les enceintes décisionnaires avec des comptes bien tenus, une politique industrielle et énergétique assumée, des ambitions solides et une dissuasion nucléaire sans état d'âme. Des études étrangères lui prédisaient une quatrième place pérenne dans le top-10 des nations développées. Pompidou comme Giscard d'Estaing s'en sont servi au plan diplomatique : qui aurait résisté à Pompidou ? Giscard d'Estaing a créé le G7 pour parler ensemble et franchement autour de la cheminée de Rambouillet. Raymond Barre, son ministre, était le modèle de rigueur qui faisait taire toute critique étrangère à notre endroit. Le chancelier Schmidt n'avait-il pas admis que l'Allemagne se contenterait du primat industriel et n'interfèrerait pas dans les affaires étrangères de la France ? On rêve !

Depuis la chute de Giscard en 1981 et la mise en œuvre du programme archaïque et commun de gouvernement, les masses laborieuses et démocratiques parvenues aux affaires n'ont cessé de perdre du terrain, des emplois et de l'argent. La quatrième ou cinquième puissance mondiale, disposant d'un siège permanent au Conseil de sécurité avec droit de véto, perdit de son influence comme un mauvais pneu de l'air. Et mis à part le morceau de bravoure de Dominique de Villepin à l'Assemblée générale de l'ONU contre l'intention américaine d'attaquer l'Irak en 2003, nous ne sommes plus écoutés, qui pis est, en sommes arrivés à un point tel que les insultes fusent à l'endroit de notre président pour avoir mis les mains dans la merde des caricatures obscènes de Charlie Hebdo ; quand Donald Trump le prend publiquement pour un loser ; quand un ancien président américain se permet de faire dans ses mémoires tout une page ridiculisant l'ancien président Sarkozy (mais il faut la lire car c'est tout à fait lui); quand enfin le Sultan de la Sublime Porte ne trouve plus les mots pour se foutre de la gueule de M. Macron qui a osé le défier ! Jusqu'à la Chine de Pékin qui s'est permis une invective humiliante à l'endroit du même lorsque nous avons accepté un refit des six frégates Lafayette vendues en 1991 à Taïwan : « Mais pour qui se prennent donc les Français pour venir nous défier si loin de chez eux ?». Ils ont bien tort les Chinois : j'apprends que nous venons de prendre langue avec le QUAD océanique pour donner notre point de vue sur les défis du Pacifique-Nord à l'Inde, au Japon, à l'Australie et aux Etats-Unis ! No comment.

Alors quoi ?


Guy Verhofstadt croit (au sens mystique) qu'une fédération des nations européennes ayant intégré les domaines régaliens de chacune dans un gouvernement central saura tenir tête aux empires revenus. C'est probablement vrai au vu de la puissance économique et financière de l'Union européenne. Les empires en question sont au nombre de trois nous concernant : la Fédération de Russie, la Chine populaire et les Etats-Unis d'Amérique. Les autres qui se croient tels, n'en finissent plus d'émerger et leurs intérêts restent négociables.
Cette fédération est-elle contructible ? A mon avis, non ! Déjà, tous les pays qui se sont arrachés à l'empire soviétique ont dans leurs chairs les traces de la dictature à distance, de la prévalence des intérêts impériaux même très éloignés des leurs, de la coercition qui visent à interdire ou dévoyer les initiatives, de la bêtise crasse des plans centraux, en un mot du socialisme jacobin ! Il faudra attendre que toute la génération de l'Est ayant eu vingt ans en 1990, trépasse pour que l'empreinte mentale de la captivité s'efface. Les pays balkaniques et la Grèce feront où nous leur dirons de faire dans la mesure où le robinet des subventions coule encore ; reste l'Europe occidentale divisée entre Germains et Latins, et la Scandinavie qui se cherche. Autant dire que rien n'est fait, surtout si ce projet de Fédération occidentale était "français". Mais prenons les choses autrement.
carte de l'Europe politique
Depuis le Brexit et pour contrebalancer un hypothétique majorat franco-allemand, deux groupes se sont formés qui ne cessent de se renforcer. En France, nous ne voulons pas croire que ces deux groupes aient été montés contre nous plus que contre l'Allemagne et pourtant ! Le premier groupe de nations antagonistes est la Nouvelle Ligue hanséatique qui regroupe l'Irlande, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, la Finlande, l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie (marqués H sur la carte). L'obsession commune est la défense des valeurs frugales de l'Union économique et monétaire, même si tout le monde ne règle pas son pain en euros. Elle observe l'utilisation orthodoxe du mécanisme de stabilité, préfère les prêts aux dons, et veut qu'un examen de solvabilité précède toute décision de subvention. Le budget européen est obligé d'en tenir compte au grand dam des cigales latines. On y est en plein aujourd'hui avec les chicayas du Plan de relance post-covid. La Ligue pèse 50 millions d'habitants et 2600 milliards de PIB. Pour fixer les idées, les PIB européens remarquables sont ceux de l'Allemagne 3100 milliards d'euros, suivi par la France avec 2160 milliards, l'Italie 1800 milliards et l'Espagne 1300 milliards.

Le second groupe dissident est le fameux cercle de Visegrád qui regroupe la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie. Bien différent du premier groupe, celui-ci vise à préserver sa souveraineté à tout prix dans les domaines laissés libres par les traités européens. C'est plus un cercle de clients que de promoteurs puisque ses économies ont été rebâties par l'Europe occidentale après l'effondrement du Comecon. Il pèse 64 millions d'habitants et 880 milliards d'euros de PIB. Il est dans l'orbite allemande et déteste les nègres. Dans certaines sessions du Conseil européen, ce groupe est renforcé de l'Autriche et de la Slovénie.

Il existe un troisième groupe inter-national dont nous ne parlerons pas par défaut d'information mais qui se manifeste chaque année dans un sommet au plus haut niveau, c'est le groupe des pays de langue allemande : Belgique, Luxembourg, Liechtenstein, Allemagne, Suisse, Autriche.

Ceci étant, le Conseil européen est divisé en quatre parties : le tandem impérial Allemagne-France qui lutte autant pour ne pas se désunir que pour convaincre les autres de ses propositions, la Nouvelle Ligue hanséatique de libre-échange près de ses sous, le groupe de Visegrád et ses alliés de circonstances, puis des pays seuls comme la Grèce, Chypre, Malte, la Croatie, l'Italie, l'Espagne, qui font et défont les majorités et dont les voix s'achètent dans les couloirs. Même avec de l'enthousiasme, on voit mal émerger une fédération à l'intersection des quatre groupes. Sans doute à l'origine aurait-il été possible de pousser les feux d'une Fédération occidentale européenne à six ou huit mais cela passait par la Communauté européenne de défense que les gaullistes et les communistes à Paris refusèrent par principe (sur ordre de qui ?). C'est le moment d'éclairer maintenant le schmilblick par un autre acteur que nous nous plaisons en France à débiner mais qui pèse de tout son poids sur les tergiversations européennes : l'OTAN.

Comme nous l'avons souvent dit sur ce site, la composante militaire de l'OTAN (appelée NATO pour la distinguer) est l'arme de défense privilégiée par tous les pays européens à l'exception du nôtre, au seul motif de son efficacité à faire peur. Au temps de l'occupation soviétique en Europe orientale, le NATO était l'ogre coupable de tous les maux et capable de faire pire que Dresde ou Hambourg ! La haine des peuples était tellement exacerbée à son endroit qu'il en est resté chez tous l'idée qu'une fois libérés des Russes, la meilleure protection possible contre leur retour était ce fameux ogre qui faisait si peur au Kremlin ! Et tombe la thèse du complot atlantique ayant visé à s'étendre sur le glacis soviétique à la faveur des atermoiements de Boris Eltsine. Ce sont tous les pays d'Europe non-russes de l'Est qui ont demandé leur intégration au NATO avant même de faire des représentations à Bruxelles pour être associés au Marché Commun. Même l'Albanie se méfie et a rejoint l'Alliance bien avant d'entrer dans l'Union européenne. S'il est de bon ton de traiter l'OTAN par-dessus la jambe chez nous (jusqu'au jour où nous en aurons vraiment besoin), il en va tout différemment chez les autres. Ils ne prendront aucune décision qui altèrerait leur protection ou leur sentiment de protection, si vous préférez. Aussi est-il vain de promouvoir une défense européenne chez des peuples qui n'ont pas soif d'indépendance militaire et craignent le retrait du parapluie atomique américain. Donc tout projet visant à fédérer un ou plusieurs domaines appartenant au régalien sera-t-il jugé chez les autres à l'aune de ses effets sur la confiance atlantique. Autant dire que ça ne marchera jamais, sauf ! Sauf si les Etats-unis, fatigués de s'occuper du vieux monde, organisent par eux-mêmes cette fédération ou confédération européenne qui prendra à sa charge les responsabilités que les Etats-Unis ne veulent plus assumer. Et nous n'aurons d'autre mot à dire que de sortir du jeu ou d'acquiescer ! Même M. Verhofstadt ne sera pas consulté ; alors M. Macron, pensez donc !

Sera-ce donc le Frexit ?

Nous en reparlerons bientôt dans un article Frexit & Chimères. Le Frexit étant impossible techniquement, ce sera plus vraisemblablement la ruine de notre orgueil et le destin du Portugal, comme disait le général De Gaulle en nous convoquant à des hauteurs que nous ne pûmes jamais atteindre. Dans tous les cas, les conséquences stratégiques sur l'Europe seront immenses. La confusion des intérêts nationaux l'exposera en proie. Les empires précités viendront peut-être y mettre de l'ordre, s'ils y trouvent leur avantage et parviennent à s'entendre. Sinon une monstrueuse anarchie cernera un noyau dur et résilient constitué par quelques pays de l'Europe sérieuse autour de l'Allemagne, quelque chose comme l'avatar du Saint Empire. Les mânes d'Otto de Habsbourg-Lorraine esquissent un sourire, mais il est déjà tard.

jeudi 19 novembre 2020

Le sémaphore de Palavas

Confiné au rangement de mon petit bureau domestique - le Home Office - j'ai retrouvé un classement des flottes marchandes publié par la CNUCED* l'an dernier sur des données de Clarksons Research (au cas où quelqu'un voudrait creuser). L'organisation brasse un milliard de rapports excellents en tous genres et pour une bonne part dans le domaine maritime, ce qui nous intéresse ici. Pour la partie d'à-terre, on peut fouiller aussi le site de l'Union maritime et portuaire du Havre, l'UMEP.

porte-conteneurs


Contrairement à la perception ambiante, ce classement en valeur des navires (indépendant donc des pavillons) attribue 35% de la flotte mondiale à l'Europe occidentale. Suivent le Japon, les Etats-Unis et la Chine populaire. Le score européen est dû principalement à la Grèce, à la Norvège (eh oui) et à l'Allemagne. Derrière l'Allemagne sur une marche assez haute, on trouve la Grande-Bretagne, le Danemark et les Pays-bas. La France n'est pas absente mais classée 18è, avec la moitié du tonnage danois, malgré notre armement fétiche CMA-CGM (troisième armement mondial dans le conteneur). Dit en passant, Taïwan est 10è ! Je précise que l'étude Clarksons incorpore, outre les vraquiers, tankers, cargos et porte-conteneurs, les navires à passagers et les navires de soutien offshore mais pas les bateaux militaires, les yachts, la pêche, la navigation intérieure, les plateformes offshores ni les barges. Difficile donc de comparer avec d'autres institutions qui classent différemment. Mais cette entame ne vise pas à analyser l'évolution des flottes marchandes. Il ne s'agit que de comprendre les divergences d'intérêts entre les nations européennes en temps de crise.

A l'heure où la démondialisation est au programme des tribuns politiques, il est bon de comprendre pourquoi les nations de libre-échange ne vont pas ouvrir leurs bras au malthusianisme français couplé à la réforme des flux marchands dans laquelle la France apparaît si peu. Pour ce qui concerne l'Union européenne stricto sensu (même si ses décisions s'inscrivent dans le concert plus vaste des nations maritimes), nos amis néerlandais, allemands et danois - je ne parle même pas des Grecs - ne voudront rien savoir de nos tentations protectionistes et fadaises écologistes puisqu'ils vivent largement du commerce mondial. Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui, mais depuis la fin de l'empire colonial, notre empreinte mondiale a fortement étréci, nos échanges internationaux avec, et la flotte de haute mer a suivi ! Je viens d'une époque où des copains naviguaient sur Chargeurs Réunis, Messageries Maritimes, Navigation Mixte ou Delmas vers des ports qu'on ne retrouve plus que dans les romans d'espionnage. Bref, nous avons décroché, et sans M. Jacques Saadé qui a relancé l'armement français par la CMA, nous aurions disparu.

Si l'on excepte l'Allemagne qui suit avec plus ou moins de bonheur une géostratégie complexe depuis la réunification et la libération des pays de l'Est, nous avons au-dessus de nous un arc libéral qui nous soupçonne de complot à la Delors. Ce que cherchent dans les règles d'une Europe organisée tous les pays au nord du nôtre, c'est une zone de libre-échange la plus fluide possible, une Europe partenaire de traités économiques les plus lointains et les plus étendus, un marché mondial sans droits ni taxes (c'était l'intention du GATT). A cet effet, les pays que nous allons citer n'entendent pas être entravés de "valeurs européennes" définies et sanctionnées au plan fédéral et dont le juge le plus actif serait la France, ses Lumières, sa République bananière, sa Grandeur indépassable et sa Révolution sanglante. L'arc libéral commence aux îles britanniques, depuis le Brexit le doute n'est plus permis ; il se continue par les Flandres belges et les Pays-bas, puis le Danemark. Laissons l'Allemagne de côté pour la raison évoquée ci-avant, et on continue par la Pologne, la Suède, les deux pays baltes, l'Estonie et la Finlande. On reconstitue pratiquement la Ligue hanséatique.
La fibre européenne se juge au vote des peuples quand on les appelle à référendum : les Irlandais durent voter deux fois sur le Traité de Nice et refusèrent plus tard le traité de Lisbonne ; les Danois ont dû revoter sur Maastricht après que quatre dérogations majeures (opt-out) leur furent accordées par Bruxelles, mais ils ont voté deux fois contre l'euro pour conserver la couronne danoise ; les Suédois on refusé la clause d'automaticité et ont conservé la couronne suédoise ; les Néerlandais comme les Français ont voté contre le traité constitutionnel de 2005, puis ont refusé l'association de l'Ukraine à l'UE ; les Hongrois ont quant à eux refusé massivement les quotas européens de migrants ; et arriva... le Brexit !

Ceci pour dire que les valeurs européennes, démocratiques ou républicaines n'émeuvent pas tous les peuples pareillement et que les incantations répétées des délégués français ne trouvent que peu d'écho. Sans même parler de nos "projets" de réorganisation institutionnelle. Alors, dans la situation présente où trois piliers** de notre économie sont au bord de l'effondrement, où nos finances publiques n'ont plus rien à envier à celles du Wakanda, où notre goût de l'aventure gratuite mais coûteuse étend son blanc manteau sur le Sahel, le Levant, le Caucase et que sais-je demain, nous ne devons pas nous étonner si nos propositions à compte d'autrui (puisque nous n'avons plus le rond) soient débinées par les pays précités qui ont des affaires sérieuses sur le gaz ! Quant aux cousins gréco-latins, il ne reste que l'Espagne et le Portugal qui pourraient nous entendre ; l'Italie pour ce qui concerne son industrie performante est tournée vers le grand large et elle nous garde un chien de sa chienne pour avoir rompu la digue libyenne ; la Grèce (première flotte marchande mondiale) est gouvernée par des Grecs : ils achètent quatre frégates américaines pour le prix de deux frégates françaises !

Les dix-sept mois qui restent à l'équipe en place verront s'ajouter aux désordres intérieurs le reflux de notre influence européenne, surtout si l'Allemagne prend ses distances avec notre impérialisme moral comme on le sent de plus en plus. Quel imbécile a couplé les dispositifs de relance européenne à la manifestation d'un état de droit que personne n'a pris la peine de définir ? Finalement, l'élection de M. Macron dans le but de se débarrasser d'une classe politique corrompue, intéressée d'abord à sa propre perpétuation, si elle a effectivement fracassé les partis traditionnels, n'aura abouti à aucun des changements espérés. Mais le plus triste c'est qu'à ce jour, le plus mauvais reste encore le moins mauvais. C'est tout dire ! Bon, je retourne à mon classement.

* UNCTAD : United Nations Conference on Trade and Development ou Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED)
** Aéronautique, tourisme et gastronomie


Le phare-restaurant de Palavas-les-Flots

mercredi 11 novembre 2020

Ruine de l'empire colonial allemand

Cette année, pour le Onze-Novembre, nous évoquons la Grande Guerre en Afrique à l'appui de quoi nous avons consulté ce document de Radio France internationale.

La cohabitation précaire des puissances européennes sur le continent africain trouva dès le début des hostilités l'occasion d'arrondir le pré carré de chacun. La carte en pied de page nous montre l'imbrication des propriétés allemandes, belges, britanniques, espagnoles, françaises, italiennes et portugaises sans compter le dominion américain du Liberia.

photo de Paul von Lettow-Vorbeck


Le défaut de l'empire colonial allemand était de ne point former bloc puisque construit au gré des opportunités sur les restes de la colonisation euro-occidentale (Portugal, Hollande, France, Angleterre... dans l'ordre d'arrivée). Ses possessions étaient divisées entre quatre territoires, Togo, Cameroun, Tanzanie-Burundi-Rwanda, Namibie actuelle, dont le dépeçage ultérieur allait vite se révéler compliqué. Pour faire court, l'affaire n'était pas jouable sur un plan stratégique puisque chaque partie était prise en tenaille par les alliés anglo-français, jusqu'à ce qu'un chef militaire de souche poméranienne décide d'en faire sa chose. C'est ainsi que le colonel Paul-Emil von Lettow-Vorbeck, à la tête d'une maigre armée coloniale de tirailleurs Askaris, motivée et réactive, résista aux nombreux assauts alliés tout en ravageant leurs intérêts. Il ne déposa les armes qu'après la capitulation du IIè Reich, le 25 novembre 2018 à Mbala (Zambie). Le peu d'effectifs allemands venus prendre le thé ternit durablement la fierté britannique, lesquels décidèrent d'ériger une petite stèle commémorant la reddition au lieu d'un arc de triomphe !

La notice Lettow-Vorbeck de la Wikipedia nous dévoile un officier de tradition prussienne formé au Collège français de Berlin et passé par l'Ecole d'Artillerie. Homme de goût et de culture autant que de caractère, il séduisit les coloniaux d'Afrique qui l'approchèrent indépendamment de leur nationalité. Décoré Pour le Mérite par l'empereur Guillaume II en 1916, il en fut averti par le général boer Jan Smuts contre lequel il se battait !

La quasi-totalité des opérations alliées furent conduites par l'Union Sud-Africaine sous le commandement du général Botha. La France ne s'impliquant que dans la prise du Togo, la colonie-modèle du Reich, et au Cameroun. Pour finir la page d'histoire, Le Togo fut donné à la France, ainsi que le plateau camerounais, les Anglais récupérant la chaîne de la dorsale camerounaise contiguë au Nigéria ; le Rwanda-Burundi fut donné aux Belges ; l'Afrique orientale allemande fut recomposée au sein du Tanganyka pour devenir plus tard la Tanzanie en agrégeant Zanzibar. L'empire colonial allemand ne dura que quarante-sept ans. Il était formé des quatre possessions africaines, mais aussi de la grosse base navale chinoise de Tsingtao, la Nouvelle-Guinée pour partie, les Samoa, les Marshall, Palau et Nauru, les Salomon du nord, les Carolines pour moitié et les Mariannes, Bougainville. Le commandement était fixé au nouveau port de Rabaul, Nouvelle-Bretagne des Bismarck. Les tribus locales n'étant pas corvéables, les Allemands louèrent de la main d'oeuvre auprès des corporations shanghaïennes et cantonaises pour défricher et planter les denrées exotiques dont ils voulaient faire commerce. Ces possessions très étendues aux antipodes de l'Empire allemand fonctionnèrent en symbiose avec les puissances industrielles du Pacifique Nord jusqu'à ce que les affaires se gâtent en Europe.

La tentation coloniale fut l'erreur majeure du IIè Reich qui, à la Belle Epoque, dominait sans partage toute l'industrie et la recherche européennes. Ce soft power l'appelait à organiser un jour l'espace économique continental (l'Allemagne démocratique s'y met maintenant depuis que la Grande Bretagne s'en désintéresse). Mais le projet colonial, et la mise en chantier d'une flotte océanique pour l'appliquer, heurtèrent les sensibilités des deux empires anglais et français, surtout la thalassocratie britannique. Si la Grande Bretagne n'avait pas jusque-là de contentieux sérieux avec le Reich, la France pour sa part était en quête de revanche après la défaite de 1870. On ne refera pas l'histoire, mais l'empire colonial allemand fut fatal à l'Empire allemand. Malgré l'Entente cordiale, jamais les Anglais n'auraient répondu à nos demandes d'engagement si la flotte impériale s'était limitée à la Baltique et ne les menaçait pas sur la Mer du nord et au long cours. Il reste de l'empire colonial allemand une empreinte à Tsingtao (Qindao) où une brasserie réputée fournit une excellente bière à fermentation basse aux supermarchés européens.








Combien d’fois l’a t’on parcourue
Cette petite piste,
En traversant la lande herbue
Lorsque le jour se lève.
En écoutant le rythme
De la chanson intime
Oh ! oh ! Ô porteurs
Et askaris, haïdo, heile safari
Ô porteurs et askaris, haïdo, heile safari !

Et quand un jour nous partirons
Pour le dernier voyage,
Et chante-nous cette chanson
Comme un dernier hommage.
Et s’il ne pleure personne
Que Dieu nous pardonne
Ô nos porteurs
Et askaris, haïdo, heile safari.
Ô porteurs et askaris, haïdo, heile safari !


Heia Safari


samedi 7 novembre 2020

Nouvelles du front

Il se passe des choses intéressantes ce mois-ci. Nous en avons retenu deux. La torah électorale américaine, le retour allemand à ses fondamentaux d'après-guerre ; par lequel nous commençons.

AKK, patronne fédérale de la CDU et ministre de la défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer donc, a publié sur Politico (clic) un billet définitif sur la relation transatlantique germano-américaine, la veille de la présidentielle. Une rapide lecture confirme que les vessies françaises de la défense europenne n'éclairent plus vraiment à la Chancellerie. Il y a les mots, il y a les faits. Devant la menace trumpienne, qui s'estompe un peu ces jours-ci, de réduire le corps expéditionnaire américain d'un tiers en Allemagne, le BMVg de Berlin a acheté 45 avions à capacité nucléaire Boeing F-18 Super Hornet pour emporter les bombes atomiques US de type B61. Ces avions éprouvés remplacent les Panavia Tornado en fin de vie. Quant aux Tornado restants ils seront remplacés par des EF-2000 Typhoon produits en Allemagne. Sur un programme de 93 unités, 38 viennent d'être commandés chez Airbus. La question reste de savoir si l'avion SCAF franco-allemand succèdera après 2040 à cette flotte remaniée pour la Luftwafe. A priori oui, la synergie industrielle entre les avionneurs européens est une question de vie ou de mort.

Quant aux mots, ils sont très explicites. AKK appelle de ses vœux la signature du TAFTA et tout laisse penser qu'avec le relais d'Ursula von der Leyen à laquelle elle a succédé au ministère, appuyé sur les pays européens libre-échangistes, il en sorte quelque chose d'au moins commercial ! Parallèlement, le budget militaire va atteindre bientôt le plafond magique des 2%Pib pour remettre en état des armements dont l'entretien fut négligé à divers motifs qui ne furent pas que budgétaires. Il y a un pacifisme rampant dans la classe dirigeante allemande ou rhénane pour être précis.

Cette déclaration se double de la réaffirmation d'un destin atlantique commun à l'Europe "allemande" et à l'Amérique du Nord pour la défense des valeurs de la démocratie, ce qui consolide l'OTAN autour de son principal pilier remonté en puissance, l'Allemagne. Quid de la défense européenne ? Il ne faut pas confondre "industrie d'armement européenne" et "défense commune européenne", ce que les Français se plaisent à mélanger pour brouiller une intention de leadership. L'Allemagne enterre le concept de défense autonome européenne intégrée, même alliée dans l'OTAN à d'autres, sachant qu'elle a derrière elle vingt-cinq pays de l'Union européenne ; soit tous sauf la France. Aucun état-major européen n'a envie d'obéir à l'état-major français. Aucun gouvernement européen n'a envie d'être embarqué dans une future aventure post-coloniale de la Grosse Nation. Mais de cela monsieur Macron et ses minions ne veulent rien savoir. La défense européenne est devenue une question de foi. Nous disons depuis quinze ans que nous sommes seuls dans ce défi ! L'Allemagne vient de donner le coup de gong. Terminé ! Passons aux choses moins sérieuses.


Les Etats-Unis, première puissance du monde (que nous ne voyons rattrapée par personne encore), nous offre ces jours-ci le spectacle d'élections burlesques qui nous tirent des larmes. Et Loukashenko se marre ! A l'heure où nous mettons sous presse, on fouille les corbeilles à papier à la recherche de bulletins égarés ou détruits. Le scrutin est en lui-même un sketch, chaque Etat organisant le sien, la seule chose obligatoire pour tous est que le vote se tienne le même jour, et encore y a-t-il des accomodements sur les délais de poste par endroit. Le vote est une chose, le dépouillement, qui a tout de la corvée de bois, dépasse l'entendement - on peut par exemple téléphoner à un électeur pour qu'il confirme sa signature sur l'enveloppe. A la fin (pas encore !) le vote populaire désigne les grands électeurs qui iront plus tard porter leurs voix à Washington, soit par la règle du tout ou rien, soit à la proportionnelle. Mais me direz-vous, pourquoi la classe politique américaine n'a-t-elle jamais voulu ou pu réformer un mode de scrutin venu du fin fond de l'Ouest sauvage ? Parce que la Constitution des Etats-Unis d'Amérique de 1787 est sacrée. Ce n'est pas qu'un mot, la constitution de 1787 est au niveau de la Bible, de la Torah ou du Coran. Elle ne se réécrit pas puisqu'elle fut inspirée aux pères-fondateurs par l'Esprit saint et les Lumières. On l'amende si nécessaire par codicilles.

On peut gloser sur cette religion américaine du texte fondateur de la démocratie, mais on en comprendra la sacralité si l'on considère que le pays n'a pas d'histoire. Plus justement, l'Etat-nation américain n'a pas d'histoire. Avec la Déclaration d'indépendance de 1776, la Constitution de 1787 représente les papyrus de la pyramide, les rouleaux de la Mer morte. Ils n'ont rien de plus vieux en rayon, puisque les Indiens de la Plaine n'écrivaient pas. C'est pourquoi je me gausse d'entendre les politologues payés au mois nous expliquer la réforme indispensable du système électoral américain à la mode de chez nous. Ça ne les intéresse pas. C'est leur histoire à eux. Disons pour finir que le défaut d'une longue histoire ne les prive quand même pas de monuments aux morts. Les Etats-Unis ont partout livré bataille et ce n'est pas Joe Biden qui va se retirer à l'ashram ! Le désir de défaire ce que Trump a fait le poussera à intervenir, contre son gré peut-être pour l'avoir entendu lors d'une visite de vice-président à Kaboul où il avait défini la stratégie américaine en trois mots (de mémoire) et d'une courte explication : Occupy, Rebuild, Transfer ! La courte explication disait que le but ultime de l'intervention en Afghanistan était de sanctuariser les bombes atomiques pakistanaises en évitant par tous moyens la désintégration du pays. S'il n'a pas changé, Joe Biden ne sera pas un partisan d'une empreinte américaine partout dans le monde, mais les circonstances géostratégiques l'y obligeront, sauf à réarmer le Japon pour le Pacifique Nord et l'Europe anglo-saxonne pour l'Atlantique Nord. Deux tabous.

D'autres sujets auraient mérité un échange avec le distingué lectorat de Royal-Artillerie, à commencer par l'immiscibilité de l'islam en Europe continentale ; nous n'avons pas l'expérience et le flegme du Raj britannique pour vivre avec ce doute permanent de l'agenda caché des masses tranquilles en phase de réveil. Reste la Chine et le dernier conclave du Parti communiste chinois qui a approuvé le 14è Plan quinquennal, la coercition patriotique et la trajectoire Xi Jinping dite "Vision 2035". On y reviendra fatalement.

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