S'ouvre aujourd'hui le calendrier de l'avent, l'avant-Brexit. Dans un mois, nous saurons si l'impossible n'est vraiment pas anglais ! Ce billet a été annoncé dans l'article du 22 novembre 2020 titré L'Heure de l'empire sous l'hypothèse d'une fédéralisation européenne forcée par les Etats-Unis pour permettre leur désengagement du vieux monde. Nous jugeons le Frexit impossible à réaliser tant que la communauté économique et financière sera debout, et nous invitons le distingué lectorat de Royal-Artillerie à comprendre nos objections. Mais revenons d'abord sur la tentation du retrait américain par une prochaine administration.
Pourquoi partiraient-ils ?
Essentiellement pour suivre la dérive des pôles stratégiques qui situe le centre de gravité du monde dans le Pacifique Nord et bien moins désormais dans l'Atlantique Nord. C'est Barack Obama qui a initié le mouvement. A cela s'ajoute la frustration de voir les puissances européennes dégager des ressources budgétaires du domaine de leur défense au bénéfice de régimes sociaux jugés outre-atlantique exorbitants. Le Pentagone s'irrite à l'idée de payer les pensions de retraite européennes en couvrant le manque à cotiser de pays ingrats, même si les Etats-Unis se rattrapent en vendant beaucoup d'armement en Europe. Il n'en demeure pas moins que tant la démographie que le PIB de l'Union la placent dans le triumvirat économique mondial et que plus rien ne justifie le maternage militaire américain.
Ce qui freine le repli américain est la crainte du chaos stratégique. Comme le suggère l'article précité, des lignes de fracture existent dans l'Union européenne qui ne demandent qu'à s'élargir au fur et à mesure des défis que lui oppose le reste du monde. Jusqu'ici l'intégration des armées dans l'OTAN et les manœuvres fréquentes en coalition sous un état-major unique ont forcé la coopération pour finalement construire un outil de représailles crédible ; mais disons-le carrément, chaque pays majeur de cette Union a sa propre stratégie de puissance qui ne demande qu'à s'exprimer. Rapidement :
Le Royaume-Uni sur le départ a bien vu la dérive des pôles et s'estime en capacité d'en profiter au sein du Commonwealth. Il est associé-captif des Etats-Unis pour sa dissuasion nucléaire et doit donc composer.
L'Allemagne donne des gages de bonne volonté au sein de l'Europe pour sans doute masquer sa propension à dominer tout son hinterland oriental qui lui sert de sous-traitance industrielle et de marchés d'appoint. Elle ouvre le plus grand possible l'immense marché russe à ses productions badgées "Germany". Elle voit sa défense stratégique mieux garantie par le croisement d'intérêts commerciaux mais cette vision pacifique achoppe sur les limites de sa crédibilité militaire réduite à la portion congrue. Elle a besoin de revamper ses forces armées pour ne pas se faire humilier par le Sultan-Calife et tenir son rang en Mer baltique. Donc elle réarme pour faire sérieux.
L'Italie a depuis longtemps compris qu'elle était seule en Méditerranée malgré les encouragements français, et craint surtout de lever contre elle toute coalition de circonstance dans ses eaux. A la charnière des deux bassins maritimes qu'elle surveille, elle coopère avec toutes les nations méditerranéennes selon ses moyens, y trouvant des apaisements que la force ne lui procurera pas, même si elle a construit une marine de guerre performante.
La France est le mouton noir de l'Alliance atlantique. Elle refuse d'accepter son déclassement historique, s'arc-boutant sur des positions fragiles comme le siège permanent au Conseil de Sécurité, les bases militaires et navales disséminées en Afrique, les possessions ultramarines qui l'impliquent dans la stratégie des grands mais lui coûtent un bras. Elle s'est mise en tête de construire sous son égide une défense européenne indépendante (ou autonome) sans parvenir à comprendre les réticences de tous ses partenaires à ce projet.
Les autres pays ouverts sont concernés par la défense de leur propre territoire avec des bonheurs divers selon les mitoyennetés géopolitiques. Quant aux pays enclavés, ils ont la chance d'avoir un théâtre d'opérations parfaitement défini pour lequel ils déploient des moyens adaptés au plus juste, comptant sur le renfort atlantique au besoin. Finalement c'est simple !
Probabilité d'un retrait
Joe Biden arrive à la Maison Blanche - enfin presque ! - avec le vieux slogan de l'Amérique guidant les peuples vers la démocratie qui brille des mille feux de la liberté... Il promet de ne pas malmener ses alliés mais ils doivent s'attendre en contrepartie à être convoqués au rétablissement de l'imperium occidental sous la férule américaine. Face aux empires revenus et quelques autres gros morceaux comme l'Inde, l'affaire n'ira pas de soi. Quel stratagème les "services" trouveront-ils pour forcer le passage des peuples opprimés vers l'utopie démocratique ? J'ai l'impression d'avoir vu le film.
Dans la deuxième partie, la vieille Europe traîne les pieds puis refuse de s'impliquer comme certains en 2003 dans l'affaire d'Irak*, et la nouvelle Europe se rallie au Pentagone (comme en 2003) pour conserver son parapluie nucléaire. Devrait s'enclencher alors la désintégration du NATO (bras militaire de l'Alliance ainsi appelé par commodité) en Europe occidentale, et dans l'impossibilité stratégique pour les Etats-Unis de maintenir un dispositif militaire sur la seule Europe orientale, la décision de fonder les Etats-Unis d'Europe pour éviter le chaos devrait leur permettre de sortir du théâtre d'opérations dans de bonnes conditions. Au même moment serait promulgué le TAFTA, si ce n'est déjà fait sous pressions allemandes. Sans même parler des déficits de contribution européenne au budget de l'Alliance dénoncés depuis trente ans, la tentation sera forte au Pentagone et au Sénat de laisser la riche Europe se défendre par elle-même en Eurasie. Nous ne parlerons pas de la chimère alternative d'une défense européenne sous parapluie français qui fut traitée maintes fois sur ce blogue. Une Fédération sera alors mise en œuvre avec les incitations qui vont bien. Les pays illibéraux clients des Etats-Unis y seront contraints pour leur sécurité, la collaboration en confiance avec les Russes étant ruinée pour deux générations.
Outre la France (et le Canada), des pays qui comptent dans l'Alliance atlantique ont refusé l'aventure mésopotamienne : la Belgique, siège des commandements NATO, l'Allemagne, base-arrière logistique NATO, la Norvège, flanc-garde arctique NATO, la Grèce et pour mémoire la Turquie.
Tentation du Frexit
Comme la France, légataire universel du gaullisme boudeur, refusera de devenir un vingt-septième inter-pares de l'empire napoléonien et que ses amis refuseront net toute prééminence française dans la Fédération à quelque motif que ce soit, la tentation de sortir du jeu sera forte, au moins pour coller aux manifestations de colère publique, si la rue gouverne toujours ce pays.
Contrairement à un idée répandue au sein des droites dures, il n'est pas sûr que les populations poussent à un retrait de l'Union européenne. Les Français, abrutis de socialisme, ont perdu le goût du risque même si beaucoup mais minoritaires restent vaillants à soutenir le pays. Mais, comme on l'a vu chez les GIPSI en 2008, le retour à une monnaie nationale gagée sur la banqueroute sociale aura peu de supporters, à part les assistés à franc constant ! Le second problème perçu par les gens viendra du spectacle désolant de l'état de notre société providence. Comme le disait ce tantôt Christian Saint-Etienne dans L'Opinion à l'occasion de la sortie de la pandémie du coronavirus chinois : « Le décrochage de l’économie française sera le double de l’allemand en 2020, comme le nombre de morts par million d’habitants. L’Etat français est obèse, inefficace, incapable d’anticiper et la dérive des finances publiques obère l’avenir ». Qui fera confiance à cet Etat technocratique perpétuellement en déficits pour conduire un Frexit ? Et de quoi parle-t-on déjà ?
Le Frexit pour les nuls ou pour les Anglais
Le Brexit, qui est loin d'être achevé à l'heure où nous mettons sous presse, conjugue, au milieu de cent faiblesses, quatre avantages à son succès éventuel que la France n'a pas :
- Une monnaie de réserve internationale, 100% convertible, la livre sterling ;
- L'insularité de ses territoires (à l'exception de l'Ulster et de Gibraltar);
- Une place financière internationale dont l'ingénierie est la première au monde ;
- Un faisceau mondial d'influences réciproques avec ses dominions et l'ancien Raj indien, facilement tranformable en zone de libre-échange, le Commonwealth.
- Ajoutons-y l'orgueil inné de la race britannique.
En dépit de celà, le gouvernement de Boris Johnson n'arrive pas à s'extraire de l'imbrication économique malgré de nombreuses dérogations arrachées de haute lutte lors des traités d'entraves, les Opt-Out.
La France est tout à l'opposé.
- Elle n'a pas de monnaie alternative crédible (même Marine Le Pen s'en est rendu compte, c'est dire).
- Sa géographie la place au cœur des flux logistiques européens qui ne peuvent l'éviter qu'en traversant les montueuses républiques alpines. Elle bloque la péninsule ibérique jusqu'au Maroc (prochain candidat au Marché commun).
- La place financière de Paris, si elle monte en technicité, ne sera jamais une place de premier plan, enchâssée qu'elle est dans une République socialiste, ennemie du succès et des profits (la Bentley du Garde des Sceaux élévé par une veuve femme de ménage fait jaser les jaloux !).
- Son domaine ultramarin ne lui est d'aucun secours puisqu'elle le porte à bout de bras et que les ZEE immenses n'ont de valeur qu'exploitées. Nous ne les exploitons pas faute d'investisseurs, à peine si nous avons les moyens de les défendre dans le domaine de la pêche industrielle. Et pour la citer, la Francophonie reste cantonnée à la culture et aux valeurs humanistes ; elle n'est pas tranformable en zone de libre-échange ayant du sens.
Tout comme chez les Anglais, la libération des chaînes européennes achoppe devant l'imbrication économique bien plus nouée chez nous puisque nous sommes un pays-fondateur de la CEE au cenntre du jeu. Le marché des produits français est d'abord le marché européen, bien avant la grande exportation pour des produits de niche comme le luxe, la nourriture chère, l'armement. L'aéronautique est une coopération industrielle franco-allemande hors-sujet. Défaire les mille liens européens en France relève des travaux d'Hercule et nous n'avons aucun Hercule au bataillon. Personne en France, à notre connaissance, ne s'est sérieusement attelé à l'étude des travaux nécessités par le Frexit en chassant le diable dans tous ses détails, à part Michel Barnier. N'ayant aucunement la prétention de lire dans les feuilles de thé (quoique!), nous attendrons donc le 2 janvier 2021 pour amender le constat d'impossibilité à la lumière de la séparation effective du Royaume-Uni de l'Union européenne.
50% des Rafale sont cloués au sol pour entretien ou réparations (source Cornut-Gentille) |
Conclusion
Les Anglais y parviendraient-ils à la fin, en acceptant d'en payer le prix, que nous ne saurions transposer l'exploit en France de par les contraintes géopolitiques et économiques qu'un Etat aux abois ne pourra desserrer. Quarante ans de clientélisme démocratique ont rendu le peuple réfractaire à juste raison à tout sacrifice consenti au bénéfice de toujours les mêmes. La politique sociale poursuivie en dépit de l'insuffisance de ressources nous a conduits à la banqueroute, et le régime de combines parlementaires jette les bourgeois vainqueurs d'un jour sur les biens et avantages des bourgeois vaincus, à charge de revanche, le peuple faisant l'écart de points ! Le régime dévore la nation qui lui est distincte.
Nous ne sortirons pas de la nouvelle union européenne, fédérative, confédérée, que sais-je, parce que nous en sommes incapables quelle que soit l'intensité des vociférations souverainistes ! Ce pays, envahi de problèmes et de dettes, n'a plus de ressort et encore moins un Projet national comme en ont connu nos ancêtres. A chaque étape compétitive, à chaque défi mondial, nous reculons d'une case parce que nous avons tout remis dans les mains d'un Etat qui ne mérite pas notre confiance. L'affaire de notre indépendance est pliée, sauf si !
Sauf si... l'Union européenne se désagrège avant même que nous choisissions d'en sortir. Le retrait américain, envisagé dans cet article, porte en lui les germes explosifs d'une rupture Est-Ouest sur le continent ; mais au milieu des ruines, la France telle qu'elle est gouvernée aujourd'hui sera un bouchon dansant sur la houle des circonstances parce qu'elle n'a aucun Projet en propre. Toute la prospective française s'applique au projet européen, nous n'avons aucun projet de renaissance française promu par un organisateur du temps long porté par la nation. Nous ne cessons depuis vingt ans de convoquer l'Europe à palier nos carences, et ce dans tous les domaines, jusque dans la culture de la betterave ! Pour susciter un changement de paradigme et se défaire des embarras d'un régime politique suranné, perverti par une bourgeoisie d'Etat qui en a fait sa chose à travers la haute fonction publique, il faut se séparer de la technostructure que Charles Maurras appelait "les Bureaux". On se doute bien que drappée dans sa "légitimité indiscutable", elle lèvera tous les remparts prévus pour sa perpétuation.
En fait nous ne resterons la France que par un mouvement qui ressemblera à une révolution, et pas seulement sous les préaux ! Nous ne resterons la France que si nous nous chaussons à la pointure de nos pieds et cessons de nous épuiser à régenter les mœurs sociales et culturelles du monde entier ! Courir avec des galoches en 45 quand on fait du 42 est impossible sauf à finir le dernier. Nous ne resterons la France que si nous concentrons nos atouts (on peut les citer en note) dans un périmètre contrôlé et si nous nous renforçons dans tous les domaines essentiels et coupons le bois mort, l'Etat-providence ouvert aux quatre vents dut-il en mourir ! Nous ne resterons la France que si nous sommes capables de coopérer loyalement avec nos voisins immédiats que la géographie et les quarante rois nous ont donnés.
La République jacobine à la française, avec son "pacte" venu d'on ne sait où, sa laïcité dévoyée dans l'injure, son "contrat social" que personne n'a signé, son impécuniosité chronique, ses valeurs mortifères et son arrogance notoire, c'est du lest pour un nouveau départ en dehors d'une Europe institutionnalisée. La reconstruction d'une monarchie fédérative, sociale et décentralisée semble inévitable pour affronter les défis du monde nouveau ; libre à elle de coopérer, d'optimiser ses dépendances, de vivre avec les autres sans contraintes déraisonnables, pour le bien de tous.
Au roi, et vite !
Postscriptum
Les atouts français sont réels malgré l'état de calamités de la gestion publique :
- le territoire exceptionnel d'abord qui fait de ce pays le plus beau du monde ;
- la richesse de ses terres arables et la diversité des terroirs producteurs ;
- un savoir-faire dans tous les domaines qui ne demande qu'à se libérer ;
- une jeunesse inventive et volontaire que l'avachissement moral de la classe politique n'a pas complètement pourrie ;
- des fleurons industriels reconnus ;
- des filières de confiance dont les étrangers sont friands ;
- une armée professionnelle responsive ;
- une histoire riche et lisible par tout le pays ;
- une culture, une littérature, une langue à nulle autre pareille qui a remplacé le grec ancien dans sa construction mentale.
- ......notez les vôtres...
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