Amable de Baudus (Cahors 1761 - Poitiers 1822), magistrat, publiciste et agent de renseignement, d'une vieille famille toscane prospérant à Saint-Antonin-Noble-Val en Rouergue, s'étant déportée à Cahors à la fin des guerres de Navarre quand la vicomté passa à la Réforme, restera dans l'histoire de l'Emigration comme le rédacteur du Spectateur du Nord à Hambourg, très prisé des chancelleries, puis, plus tard comme directeur du service de censure du roi Louis XVIII.
C'est par le site Vexilla Galliæ que le Piéton a découvert le sujet de cet article, attiré par l'estimable recension que fit Florence de Baudus de la biographie de son ancêtre.
La liste des emplois d'Amable de Baudus suffirait à peser la richesse de sa vie. Personnage de seconde ligne, comme on dirait dans l'escadre, il observe tout, l'écrit dans son journal ou le transmet en secret à Talleyrand, puis à ses successeurs dans l'emploi de diplomate. Le livre est bien écrit mais comme dans tous les livres "de famille", on commence par les origines du clan et le cheminement jusqu'au membre éminent dont on parle. Dans cette biographie, cette première partie est un peu longue puisqu'elle occupe une trentaine de pages, n'apportant pas grand chose à la compréhension de la période étudiée mais qui ravira neveux et cousins de l'auteur. C'est après que démarre le thriller. Car c'en est un. L'époque s'y prête certes, mais la narration est nerveuse et fuide à la fois. Le style d'écriture de Florence de Baudus est agréable et rapide par la conversation soutenue de l'auteur avec la prose du XVIIIè siècle. On ne lâche plus son bouquin avant de l'avoir fini.
Plus près de la curiosité des lecteurs de ce blogue, l'ouvrage participe d'une exploration de l'Emigration et croise tout ce que nous avons lu sur le sujet jusques et y compris l'apathie relative des deux princes du sang, ballotés entre exil et proscription, qui le plus souvent se paient de mots à l'endroit de leurs fidèles et courtisans. On ne reviendra pas sur l'affaire Quiberon et l'incurie d'Artois. Mais on comprend que leur retour à Paris par deux fois fut pour l'Europe metternichienne la solution de facilité. La cause était partout entendue, que seul Provence sut faire mentir un temps.
L'auteur laisse deviner une prévention contre les Bourbons. La Restauration n'est que l'exhalaison finale d'une race au terme de sa force. Ceux de Naples, Bourbons Deux-Siciles, sont volontairement méjugés pour mettre en valeur Murat (du Lot lui-aussi) et Caroline Bonaparte qui entrent dans leurs palais à la faveur du transport de Joseph Bonaparte à la couronne d'Espagne que Charles IV a libérée (1808). Mais ce billet vise autre chose. Il me revient une réflexion de Gérard de Villèle sur les certitudes définitives des légitimistes intégraux (ceux que le Piéton appelle les "ultrabrites") sur la période de la Restauration, alors qu'ils n'en connaissent que ce qu'en disent les livres, livres savamment choisis en plus, parmi ceux qui les confortent dans leurs préjugés (ou postjugés) ; sans rajouter qu'aucun bien sûr n'y a jamais vécu, sauf le comte de Saint-Germain. L'époque tumultueuse ô combien, est complexe, infiniment complexe et ceux qui l'ont traversée devraient être remis en situation dans leurs réactions, leur enthousiasme, leur distance, leur dédain. C'est bien le cas d'Amable de Baudus. Issu d'une famille fidèle au roi très chrétien qui a abandonné ses terres pour ne pas le trahir, il accepte la Constituante et devient maire de Cahors en 1790, mais refuse la constitution civile du clergé.
Après Varennes, il rejoint l'Emigration des princes sans grand succès, erre un peu et se fixe à Hambourg où il publie le Spectateur du Nord qui finalement établira sa "gloire". Perspicace, productif et modéré dans ses opinions politiques, il attire l'œil de Talleyrand, ministre des relations extérieures du Directoire, qui l'emploie comme agent germanophone de renseignement puis l'envoie fouiner à la Diète impériale de Ratisbonne où se réorganisent les principautés allemandes. Etc. Revenu enfin à Paris sous le Consulat, chez Talleyrand toujours, il acceptera de gouverner l'éducation des fils du nouveau roi de Naples, son païs, Joachim Murat de Labastide-Fortunière en Quercy, malgré le parcours sanglant du jeune maréchal à l'endroit des royalistes parisiens et des patriotes madrilènes. Mais la carrière éblouissante du Murat des charges de cavalerie sans doute le décide-t-elle ! Il s'investira jusqu'au bout et bien après l'exécution du roi de Naples déchu, dans la protection de cette famille royale. Puis on descendra de la berline de Gand. Baudus rentre enfin chez sa femme à Poitiers. Aux Cent jours il se mouille pour son ami Murat dont l'impétuosité met en danger les plans de l'Empereur revenu. Il sera appelé ensuite au service de Louis XVIII pour la contre-propagande et le contrôle des publicistes, derrière le duc de Richelieu (1766-1822), président du Conseil honni des ultras parce que trop modéré à leurs yeux, que Baudus appuiera jusqu'au bout, jusqu'à s'en faire un ami.
Baudus, lit et écrit beaucoup (trop pour sa santé) mais il n'est pas un tâcheron d'Etat. Il est à la table de la noblesse d'Etat quand ce n'est elle qui dîne à la sienne. Il fréquente du beau monde et des évêques qui en font le siège, surtout quand se rediscute le concordat de Pie VII. Mais il n'accèda jamais à la secrétairerie bien qu'il en eut les qualités morales et intellectuelles, et de solides relations. Pour autant il ne poussera jamais son avantage dans le commerce des princes antérieurs, non plus qu'il ne fréquentera la Cour. Peut-être lui manqua-t-il la fortune qui fait et défait celle des autres ? Il est des gens honnêtes qui ne savent pas gagner.
Florence de Baudus a déplacé des tonnes d'archives pour pallier la distance temporelle (on verra tout ça dans les annexes à son ouvrage). Deux choses nous interpellent qui ne sont pas expliquées :
La première est la faible volonté d'Amable de se réunir avec sa famille malgré la correspondance aimante et bienveillante qu'il lui adresse et qu'il en reçoit, sachant aussi qu'il la soutient pécuniairement autant qu'il le peut et n'y manque jamais. A leur égard, son souci balance entre la survie financière de la famille séparée de lui et l'incontournable obsession de l'éducation de ses trois fils qu'il ne voit pas beaucoup. Ils finiront tous les trois à l'armée. On peut aussi penser qu'Amable, si loin si longtemps et toujours entouré du beau sexe, a pu avoir des "fréquentations", à moins que son portrait très mâle latin ne dissimule un tempérament de confesseur.
La seconde est chez lui l'ardente obligation de servir l'Etat (sauf la Convention jacobine bien sûr) qui le conduit à obéir à toutes injonctions de ses maîtres. Il est souvent coincé par les circonstances de la tragédie nationale qui ne lui offrent aucune échappatoire, mais il a le tropisme ancillaire de l'Etat et ne se dérobe jamais à l'appel. Même à contremploi dans la censure pour un ancien publiciste renommé, il se jette à corps perdu dans la besogne avec zèle, jusqu'à modéliser pour Richelieu les meilleures méthodes de contrôle des journaux. C'est d'avoir vécu hors d'atteinte sous la Convention qui l'a sauvé de son impétuosité intellectuelle, mais à l'inverse d'autres émigrés qui, selon le mot de Talleyrand n'ont rien appris ni rien oublié, Baudus a su raison garder, les yeux ouverts sur l'évolution des mœurs politiques de son temps dans tout l'espace européen d'alors, puisqu'il a mis au-dessus du bouillonnement des idées l'intérêt supérieur de la France tel qu'il le percevait dans la position tenue. En sortant des chemins creux qui n'aboutissent pas, prenons-en de la graine à l'avenir, pour l'avenir.
L'intelligence d'abord. Que Dieu donne !
Le titre de ce livre à lire absolument est : Amable de Baudus - Des services secrets de Talleyrand à la direction de la Censure sous Louis XVIII Ed. SPM/L'Harmattan Paris 2012 - chez Decitre à 34 euros (380 pages en 160x240).
Marie Jean Louis Amable Baudus de Villenove |